Une composition intitulée ‘Papa tout bas’ a été interprétée par les élèves de l’école Jeunes musiciens du monde. Puis, un moment de prière a été introduit un discourt du Grand Chef Konrad Sioui et un chant des membres des Premières Nations intitulé ‘Le chant de l’eau’. Après quoi, accompagné de sa guitare, Mgr Louis Corriveau a chanté un magnifique chant intitulé ‘Ta nuit sera lumière de midi’. Ont suivi une prière de Mgr Bruce Myers de l’Église Anglicane de Québec ainsi qu’un chant du quatuor anglican de Québec. Finalement, monsieur Yacov Weil, le nouveau rabbin de la communauté juive de Québec, a chanté l’El Male Rahamim.
La soirée s’est terminée avec un discourt de monsieur Boufeldja Benabdallah, cofondateur du Centre culturel islamique de Québec ainsi que de monsieur David Weiser. Le chant final sur la mélodie Allelujah de Leonard Cochen interprété par madame Nancy Lapointe, monsieur Daniel L Moisan accompagné par tous les participants de la soirée et les enfants dont certains sont maintenant les orphelins de ces hommes qui ont été assassinés.
Le groupe s’est déplacé en après-midi vers la galerie d’art africain Espace Mushagalushasitué à un coin de rue du Centre Afrika. Les masques et autres objets d’art ont été témoin du talent des élèves dans une danse rythmée. Les rires, les commentaires et l’excitation se sont mariés avec un grand sérieux chez ces jeunes esprits ouverts à la différence culturelle.
Cette journée d’insertion africaine a enrichi leur connaissance de l’Afrique et leur compréhension des cultures africaines sur lesquelles ils ont fait des recherches et étudié pendant plusieurs semaines. Nous espérons revoir les élèves de l’école secondaire Jean-Jacques Bertrand pour une onzième fois l’année prochaine.
Merci à toute l’équipe du Centre Afrika et aux artistes qui ont largement contribué au succès de cette belle journée : Jean Marie Mousenga, Saandiya Allaoui, Adama Daou, Zenabou Ouedraogo, Luc Bambara, Cathy Mbuyi et Jean-Claude Kamina Mulodi, Jean-François Bégin et Serge St-Arneault.
I am the brother of Annie St-Arneault, one of the victims of the tragic shooting at the Polytechnic School in Montreal on the 6th of December 1989. This event has not only changed my life, but also it has been inscribed in the collective imagination of Quebecers in an indelible way, a bit like a collective traumatism.
The debate about the arms control started after this tragedy. The young murderer had used a semi-automatic weapon, a Ruger Mini-14, to murder my sister Annie and 13 other women, under the pretext that these women were aspiring to take over professions historically attributed to men. He was furious against these feminists who were defying his male identity.
Rightly so, all women felt threatened and all men had become, by rebound, victims by developing a form of guilt by association. It is as if they were sharing unconsciously a ring of violence following the brutal acts carried out by one of them.
Just as Marc Lepine blamed the feminists, Alexandre Bissonnette, the presumed gunman at the Mosque in Quebec City in January 2017, had left hateful messages against the Muslims. Why Quebecers should feel guilty by association for an action committed by one of them, by unjustly killing honest Muslims, socially integrated in the Quebec society? No more should the Muslims feel guilty by association on account of the hatred spread by some Muslim extremists, who do not even live in Quebec. Another equally dangerous association is to identify all Catholic priests as pedophiles.
Think of it, men or women, we are all victims by association to the senseless violence perpetrated by individuals who abuse of their power, wherever they are, using firearms for the bloodiest; or by intimidation, fury, verbal aggressiveness, brutality, abuse, aggression, rape and abuse of confidence.
However, in spite of all, our personal and collective tragedies can become a springboard for us to uplift ourselves to something better as far as we are endeavouring to denounce all forms of violence and abuses, wherever they come from. Often, the victim carries the burden of guilt. The denunciation, that is to say the act of speaking, frees from a heavy burden hidden in the heart since too long. This is what we see with the movement about sexual harassment called #MeToo, or with the national enquiry concerning native women and girls who have disappeared or been murdered.
I pray that men will learn to express their feelings openly and their sorrows when we commemorate the violence made against women. It is also my prayer that believers both Christian and Muslim, or any other religion, will no longer carry the burden of violent actions carried by a few, and that together we mobilize ourselves against all forms of fanaticism. Finally, closer to me, it is my prayer that priests will cease to suffer by association the justified condemnations meant only for the clerical pedophiles.
We have all been made fragile by our own wounds; bodily, emotionally and psychologically. My last prayer will be that we may find somewhere to relieve our deceitful guilt by association which poisons our personal and collective memories. While violence finds its root in the fears and the unspoken words, the way to peace is found in mutual trust.
The slaughter on December 6, 1989, as well as that of January 29, in Quebec City, have happened with the use of a firearm. Therefore, it seems relevant that we denounce all the different faces of violence, including Islamophobia.
Par Serge St-Arneault, prêtre missionnaire catholique.
Je suis le frère d’Annie St-Arneault, l’une des victimes de la tragédie de la Polytechnique de Montréal du 6 décembre 1989. Cet évènement a non seulement changé ma vie, mais il s’est aussi inscrit dans l’imaginaire collectif des québécois d’une manière indélébile, un peu comme un traumatisme collectif.
Le débat autour du contrôle des armes à feu a pris son envol à la suite de cette tragédie. Le jeune meurtrier a utilisé une arme semi-automatique, un Ruger Mini-14, pour assassiner ma sœur Annie et treize autres femmes sous le seul prétexte d’être des femmes qui aspiraient à pratiquer des professions historiquement attribuées aux hommes. Il rageait contre ces féministes qui bafouaient son identité masculine.
À juste titre, toutes les femmes se sont senties menacées et les hommes sont devenus, par ricochet, des victimes en développant une forme de culpabilisation par association. C’est comme s’ils partageaient inconsciemment une aura de violence consécutive aux actes de brutalité commis par l’un d’entre eux.
Tout comme Marc Lépine blâmait les féministes, Alexandre Bissonnette, présumé tireur de la Grande Mosquée de Québec en janvier 2017, a laissé des messages haineux contre les musulmans. Pourquoi les Québécois auraient-ils à se sentir coupables par association pour le geste qu’un des leurs a posé en assassinant injustement des musulmans honnêtes et socialement intégrés dans la société québécoise ? Pas plus, les musulmans n’ont à se culpabiliser par association à cause de la haine propagée par des extrémistes musulmans qui ne vivent même pas au Québec. Dangereuse association également que celle d’identifier tous les prêtres catholiques à des pédophiles.
À bien y penser, homme ou femme, nous sommes tous victimes par association de la violence insensée perpétrée par des individus qui abusent de leur pouvoir, quel qu’il soit; arme à feu pour les plus sanglants ou par intimidation, fureur, rage, agressivité verbale, brutalité, maltraitance, molestation, viols et abus de confiance.
Pourtant, nos tragédies personnelles et collectives peuvent malgré tout devenir des tremplins pour nous élever vers quelque chose de mieux dans la mesure où nous nous engageons à dénoncer toutes les formes de violence et d’abus, quel que soit le milieu ou l’endroit. Souvent, la victime porte le fardeau de la culpabilité. La dénonciation, c’est-à-dire la prise de parole, libère d’un poids trop longtemps enfermé dans les cœurs. N’est-ce pas ce que nous observons avec le mouvement de témoignage sur le harcèlement sexuel #MoiAussi – #MeToo ou encore avec l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ?
C’est ma prière que les hommes apprennent à exprimer ouvertement leur peine et leurs sentiments lors des commémorations contre la violence faite aux femmes. C’est aussi ma prière que les croyants chrétiens, musulmans, ou de toute autre religion, ne portent plus le fardeau d’actes violents commis par quelques-uns et qu’ensemble on se mobilise contre le fanatisme. Et enfin, plus près de moi, c’est ma prière que les prêtres cessent de subir par association une condamnation justifiée qui s’adresse uniquement aux pédophiles cléricaux.
Nous sommes tous et toutes des êtres fragilisés par nos blessures corporelles, émotionnelles et psychologiques. Ma dernière prière est que nous puissions trouver des lieux d’échange pour soulager cette sournoise culpabilisation par association qui empoisonne nos mémoires personnelles et collectives. Alors que la violence trouve sa racine dans les peurs et les non-dits, le chemin de la paix repose sur la confiance mutuelle.
La tuerie du 6 décembre 1989, tout comme celle du 29 janvier à Québec, a été commise par l’utilisation d’une arme à feu. Il semble donc pertinent de dénoncer tous les visages sous lesquels se profile l’intolérance, incluant l’islamophobie.
J’ai eu la chance de participer au grand rassemblement de 800 jeunes universitaires catholiques du Canada à Ottawa. Ces jeunes provenaient de 15 universités canadiennes. Ils sont tous membres du Catholic Christian Outreach (CCO) qui a pour mission de proclamer l’Évangile de manière claire et simple sur les campus du Canada.
André et Angèle Regnier
CCO a été fondé par André et Angèle Regnier en 1988 à l’Université de la Saskatchewan. Des humbles débuts d’une poignée d’étudiants, le mouvement est maintenant au service de milliers d’étudiants dans tout le Canada. Celui-ci encourage les jeunes adultes à vivre pleinement leur foi catholique en mettant l’accent sur la formation de leaders pour le renouveau du monde. Des équipes de missionnaires composées d’une centaine de permanents dirigent l’apostolat dans les campus. Les étudiants sont invités à une conversion profonde, enracinée dans une relation personnelle avec Jésus Christ.
Débuté il y a maintenant 29 ans à l’université de Saskatchewan, le thème du congrès de cette année coïncidait avec le 150e anniversaire de la Confédération canadienne et s’est donc tenue à Ottawa sous un froid mordant quoique bien au chaud à l’intérieur de l’hôtel Westin.
J’ai joint mon confrère Armand Galay de Toronto. Armand est originaire des Philippines et a été missionnaire en Afrique du Nord et au Burundi. Plusieurs membres de sa famille ont immigré à Vancouver. Bref, nous avons dansé aux sons des chants de louange, participé aux échanges et profité de la qualité des témoignages de foi et des conférences. L’organisation et le sérieux des jeunes étaient exceptionnels. C’est tout de même remarquable que tant de jeunes femmes et hommes investissent les cinq derniers jours de l’année pour approfondir leur foi catholique avec tant d’enthousiasme.
Quelques temps forts ont façonné ce congrès. Entre autres, il y a eu le dévoilement de la relique de Saint François-Xavier. Cette relique est l’avant-bras du Saint enchâssé dans une boîte vitrée. En accord avec les évêques du Canada, celle-ci voyagera dans tout le pays dans les prochains mois sous la direction du CCO. Il y a eu aussi le message du Pape François à la jeunesse canadienne sur vidéo qui a annoncé la tenue d’un synode des évêques en 2018 sur le thème des jeunes, la foi et le discernement vocationnel. Finalement, située à quelques coins de rue de l’hôtel, la Basilique Notre-Dame d’Ottawa s’est remplie à pleine capacité incluant les balcons latéraux pour la messe du 31 décembre au soir.
Signe des temps, ce genre de rassemblement met en évidence l’appel missionnaire de chaque catholique. Il faut miser avant tout sur le témoignage de foi d’une jeunesse enflammée par la parole de Jésus. Or, l’Église Catholique a quelque chose à proposer aux jeunes qui sont à la recherche d’une appartenance communautaire au sein d’une diversité qui s’accroit à la mesure des courants migratoires qui semblent s’accélérer. Aussi, il n’est plus réservé aux seules Églises Protestantes évangéliques à insister sur la conversion personnelle à Jésus-Christ. C’est d’abord et avant tout grâce à cette expérience profondément spirituelle que toute mission débute. Elle permet alors de devenir audacieuse, surprenante et engageante. Ce qui prime maintenant, c’est de nous investir dans le renouveau de la mission des jeunes croyants issus de la tradition catholique.
Le tout s’est terminé avec les traditionnels feux d’artifice du Nouvel An sur la colline parlementaire qui nous avons admiré de la fenêtre de l’hôtel.
Le rassemblement prévu par le groupe Tous contre un registre des armes à feu n’aura finalement pas lieu sur le site du parc du 6-Décembre-1989 près de l’Université de Montréal. Le tollé provoqué par cette annonce aura eu gain de cause contre ce groupe proarmes. Celui-ci revendique le droit de s’exprimer. Alors que ce droit leur est accordé pourquoi donc faire des revendications sur un lieu hautement symbolique qui n’a jamais été autre chose qu’un lieu de souvenir, de commémoration et de soutien pour les familles victimes d’armes à feu?
Guy Morin a le mérite d’avoir provoqué tout le monde. «Ça fait 28 ans, dit-il, qu’ils (Poly se souvient) sont instrumentalisés. Nous, on veut que ça s’arrête, l’instrumentation de ces gens-là à des fins pécuniaires et politiques, pour passer à un autre agenda.» Mais à qui s’adresse-t-il? Ne s’est-il pas lui-même laissé instrumentaliser par les puissants lobbies proarmes qui nagent dans des millions alors que ces «gens-là» n’ont à vrai dire que leur argent de poche? Guy Morin ne fait-il pas lui-même de la politique en arborant ses propos dans les médias?
Selon ses dires Guy Morin veut démontrer que «Poly se souvient» utilise chaque année l’événement de la Polytechnique pour ramasser de l’argent, exiger un meilleur contrôle des armes à feu et sauver des vies. J’accorde à M. Morin deux bonnes réponses sur trois. Il est vrai que la vie des citoyens serait mieux protégée avec un registre pour les armes à feu. Cela a été prouvé depuis le démantèlement de la loi de 1995 sur le contrôle des armes à feu, votée en 2012 sous le gouvernement Harper. En effet, selon Statistique Canada, le nombre de décès reliés aux armes à feu a augmenté pour la troisième année consécutive. Là où Guy Morin se trompe, c’est que Poly se souvient ne ramasse pas d’argent lors de la commémoration du 6 décembre 1989.
Il veut nous tendre la main pour qu’ensemble nous puissions passer à un autre agenda. Je n’ai rien contre cela. Mais comment faire confiance à une main tendue quand l’autre tient une arme à feu? Nous aimerions tous, lui et moi, que les propriétaires d’armes à feu soient vraiment des gens garants de l’entreposage et de l’utilisation responsable de toutes leurs armes à feu. Malheureusement, Guy Morin a saboté un possible climat de collaboration en celui d’un affrontement, d’une opposition.
De quoi s’agit-il donc? En vertu de la nouvelle loi 64 sur l’immatriculation des armes à feu, toute arme à feu sur le territoire du Québec doit être immatriculée avec un numéro unique et inscrite à un fichier. Les transactions devront être signalées et l’arme pourrait être saisie en cas d’infraction. De toute évidence, et cela a été sans cesse répété, Poly se souvient n’est pas contre les propriétaires d’armes, ni contre la chasse, ni contre le tir sportif. Tout ce qui est demandé est la mise en place d’un système de contrôle raisonnable d’objets qui sont d’abord conçus pour tuer. Les proarmes s’acharnent à dénoncer ce registre des armes à feu en imaginant qu’il y a là un «contrôle excessif». Voilà l’erreur! Il n’y a rien d’excessif à mettre en place des lois civilisées pour protéger les vies humaines. Il y a beaucoup de lois imposées aux propriétaires de voiture pour assurer la sécurité publique. Nous comprenons tous que c’est pour notre protection même si on chiale de temps en temps. On sait que c’est pour notre bien.
À vrai dire, ce qui pose problème est le mot «contrôle». Qui aime se faire contrôler? Même un enfant va un jour exiger de ses parents de le laisser faire: «Je suis capable!» Et si on changeait le mot «contrôle» pour le mot «responsabilité». Au lieu de parler de «contrôle des armes à feu», nous pourrions avoir une loi de «responsabilisation des détenteurs d’armes à feu» en leur permettant de participer ou de devenir des acteurs dans la prévention du crime et des accidents reliés à la possession d’armes à feu.
L’enregistrement des armes et l’assurance de garder ces armes dans des lieux sécuritaires (à la maison ou en déplacement) deviendraient non pas une obligation imposée, mais relèveraient de la responsabilité participative des propriétaires d’armes à feu. Ceux-ci deviendraient alors des collaborateurs pour la santé et de la sécurité publique, en partenariat avec la police.
On pourrait étendre ce concept vers l’idée que nous serions les deux mains d’un même corps qui lutte contre le mal; les victimes et les propriétaires d’armes à feu uni dans un même but, celui de la prévention et de la responsabilité sociale. D’ennemis, nous deviendrions des amis!
Malheureusement, cela semble utopique. Mon intuition est simplement de dire que certains propriétaires d’armes à feu s’opposent au «contrôle» (sous toutes ses formes!), mais pas nécessairement à l’idée de détenir le ‘pouvoir’ de protéger les gens (femmes, enfants, personnes vulnérables) au service de la loi et de l’ordre.
Détenir une arme à feu, c’est détenir un «pouvoir». Le détenteur de ce pouvoir peut l’utiliser sagement ou en abuser. Il faut donc constamment se rappeler que pouvoir et domination sont souvent proches l’un de l’autre. D’où la nécessité de la loi pour la responsabilisation accrue des détenteurs d’armes à feu pour la protection des citoyens.
Je reviens à la main tendue de Guy Morin que je ne connais pas. Je n’ai aucune raison de croire qu’il est un méchant garçon, mais j’ai peur de lui. Là est la conséquence de mon traumatisme depuis l’assassinat de ma sœur Annie à la Polytechnique. Aurais-je un jour l’occasion de lui tendre ma main? Dès maintenant, même de loin, je la lui tends. C’est celle d’un prêtre catholique qui le bénit. Là est ma seule arme!
Cela dit, nous ne pouvons pas baisser les bras. D’autant plus que le groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes Polysesouvient mène de nouveau cette année une campagne pour demander à nos élus de renforcer le contrôle des armes au Canada.
Fraîchement arrivé à Montréal, j’ai repris contact avec Heidi Rathjen qui coordonne une conférence de presse qui se tiendra à Ottawa le jeudi 30 novembre. Heidi m’a invité à représenter les familles des victimes de la Polytechnique. J’y serai donc. Même si j’ai participé à un événement semblable en l’an 2000, ça me remue quand même profondément.
Les souvenirs remontent, un pincement du cœur réapparaît saupoudré d’une colère sourde de constater que le Canada, au lieu de maintenir bravement une politique de sécurité publique, a plutôt détruit un consensus unique au monde en faveur d’une protection contre les fusils semi-automatiques récemment légalisés dans le pays.
Bref, je vous invite à être attentif aux médias qui couvriront notre conférence de presse à Ottawa le 30 novembre prochain. J’assisterai aussi à l’illumination des 14 faisceaux en mémoire d’Elles, le mercredi 6 décembre 2017 à 17h00 sur le belvédère du Mont-Royal.
PolySeSouvient regroupe les témoins, survivants et familles des victimes de la tragédie à l’École Polytechnique qui appuient le contrôle des armes; le groupe a été mis sur pied suite aux premières menaces du gouvernement Harper en vue d’abolir l’enregistrement des armes d’épaule.
Cette mesure faisait partie de la loi adoptée en décembre 1995 pour laquelle madame Rathjen s’est battue pendant six années en tant que directrice de la Coalition pour le contrôle des armes, le mouvement pancanadien qu’elle a cofondé (avec Wendy Cukier) suite à la tuerie à Polytechnique qu’elle fréquentait alors comme étudiante. PolySeSouvient se bat actuellement contre un lobby pro-armes extrêmement bien organisé, dans le but d’assurer l’instauration d’un registre des armes d’épaule au Québec.
La trame de fond de cette œuvre1 est tout à fait d’actualité. Le premier acte met en relief les préjugés tenaces à l’endroit des missionnaires, préférablement catholiques, et de la religion chrétienne perçue comme une entité étrangère imposée à la tradition africaine.
D’ailleurs, peu de temps après mon retour au pays, j’ai rencontré un directeur de musée qui me demanda à brûle-pourpoint :
— « Avez-vous fait beaucoup de conversions en Afrique? »
Voilà une conception bien ancrée dans l’imaginaire collectif; le missionnaire conquérant qui part sauver des âmes.
— « Je n’ai fait aucune conversion que je sache, lui dis-je, si ce n’est que d’approfondir la mienne. J’ai toujours considéré ma mission comme étant celle d’accompagner avec respect et disponibilité les Africains que j’ai eu le privilège de connaître. Je n’ai jamais eu le souci de dire à qui que ce soit ce qu’il devait faire ou croire. Ce qui compte est d’établir un lien de confiance. L’essentiel est dans la manière de faire, la manière d’être. Le témoignage ‘parle’ davantage que bien des ‘mots’. »
De fait, j’ai mis beaucoup d’effort dans l’apprentissage des langues et je me suis initié aux coutumes et exploré l’histoire des peuples qui m’ont accueilli. Cela a varié considérablement selon les pays et les ethnies. Il y a autant de différences linguistiques et culturelles entre les populations africaines d’Afrique de l’Ouest que celles d’Afrique Australe qu’il peut y en avoir entre un Norvégien et un Grec même s’ils sont Européens. Néanmoins, lentement, les coutumes, de combien éloignées l’une de l’autre, trouvent des complémentarités.
Toute forme d’échange sous-tend un élément d’accueil, une forme d’importation qui est soit acceptée ou bien rejetée. Un discernement s’impose. C’est parfois bénéfique ou, au contraire, nocif. Parmi tout l’éventail d’idéologies économiques, politiques ou religieuses, le plus néfaste a été et demeure les idéologies colonialistes associées à la prolifération des armes de guerre. Les conflits armés ravagent tout sur leur passage. Je le sais pour l’avoir connu en République Démocratique du Congo dans les années 90 lorsque les militaires brûlaient les villages pour soi-disant pacifier le pays. Détruire est chose facile. Par contre, retisser les liens sociaux prend beaucoup plus de temps alors que les traumatismes perdurent.
Je me rappelle, du jour au lendemain, j’ai vu les gens se lever comme un seul homme pour aller combattre l’envahisseur. Même les grands-mamans marchaient avec une lance à la main, les enseignants, les enfants. Un spectacle incroyable. Des boissons à base d’herbes cueillies dans la brousse procuraient, selon la croyance, des propriétés d’invincibilité. En temps de crise, les réflexes ancestraux refont surface en éclipsant une foi chrétienne épidermique. Il ne faut pas se faire d’illusion; si la prédication de la foi en Jésus-Christ en terre africaine subsaharienne ne date réellement que d’environ cent cinquante ans, que dire alors des peuples européens qui ne sont pas encore « convertis » malgré 2000 ans de prêche?
Tout comme l’a dit le Cardinal Lavigerie2, c’est ma conviction que l’approfondissement du message évangélique s’établira par les peuples africains eux-mêmes. Qui peut mieux comprendre le sens des paroles de Jean Baptiste qui demande aux soldats de ne brutaliser personne, de ne pas faire de chantage et de se contenter de leur solde (Luc, 3,14) que ce catéchiste que j’ai connu à Gety au Congo qui a souvent fait face aux harcèlements des militaires? Selon Guy V. Amou, « cela explique en partie pourquoi nous nous sommes montrés réceptifs au message du Christ en dépit du traumatisme associé à notre rencontre avec ceux qui l’apportaient » (page 71).
En terme sociologique, il y a constamment un danger d’aliénation en absorbant sans nuance ou critique un processus de socialisation. Dans cette même ligne de pensée, Guy V. Amou propose d’offrir «une grille différente pour une lecture du monde » (page 70). C’est ce que mon confrère Bernhard Udelhoven a démontré dans son livre intitulé Unseen Worlds3 qui donne des pistes de réflexion sur la manière d’aborder le monde des esprits, de la sorcellerie4 et le satanisme.
Il ne s’agit pas de savoir si ces croyances sont vraies ou fausses. Là n’est pas la question. Le monde des « esprits » est une « réalité » comme l’air qu’on respire. Dans cet univers mental, ou cette vision du monde collectivement partagée par beaucoup de peuples africains, même dans la modernité, les grilles d’analyse associées à ces « réalités » sont tout aussi valables, appropriées et porteuses de sens que peuvent être les croyances ou superstitions occidentales. C’est une question de contexte culturel.
Or, les coutumes, les idéologies, de même que les textes sacrés ou religieux ainsi que les traditions ancestrales, aussi structurantes soient-elles socialement parlant, peuvent engendrer des formes d’aliénations collectives si elles ne sont pas remises en question. Il ne faut jamais oublier que toute forme de structure sociale ou mentale est d’origine humaine, fruit d’un processus d’assimilation ou d’intégration où l’éducation joue un rôle crucial. Il faut donc du courage, de la confiance en soi et la foi pour oser questionner l’ordre établi.
À ce titre, les accusations que Jésus porte contre les autorités religieuses du temple de Jérusalem l’on conduit à la mort. De dire que « le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27) signifie que les structures inhérentes à toutes les formes de socialisation sont faites pour l’avancement et la promotion des humains (libération) sans quoi, dans une mutation figée et absolue, se profile un danger d’enfermement (enfer!) ou encore d’aliénation.
Ainsi donc, il faut aussi se méfier des mécanismes de contrôle inhérents à toute forme de structure sociale, familiale, politique, économique et même (ou surtout!) religieuse. C’est là le propre des structures de radicalisation qui rejettent toutes autres formes de pensée que celles établies par les dogmatistes, les fondamentalistes, les extrémistes ou les sectaires et suprématistes de tout acabit. Selon Guy V. Amou, « la culture, où qu’elle soit, ne peut survivre en répudiant toute forme d’évolution » (page 72). Autrement, cela conduit « à la mort de l’âme ou du spirituel. »
Parallèlement, la parole de l’Évangile, au-delà du christianisme historique européen, est certes « étrangère, mais pas incompatible » (page 73), car le cœur de l’être humain est partout le même indépendamment des cultures, coutumes et rituels. Chacune de ses formes d’expression n’entrouvre qu’une facette de la fenêtre culturelle comprise dans le sens d’une expression ponctuelle ou d’une vision particulière du monde basée sur une perception limitée et incomplète.
L’attitude essentielle pour une rencontre interculturelle productive est celle de l’ouverture du cœur et l’absence de jugement. Dès mon arrivée au Congo, les gens me questionnaient à propos d’un missionnaire qui était retourné en Belgique après tout au plus une dizaine d’années. À leurs dires, il n’avait pas réalisé beaucoup d’œuvres sociales telles que des constructions (chose très répandue chez les missionnaires : écoles, dispensaires, églises, etc.), mais « il nous aimait »! Émerveillement, respect et amour sincère sont les ingrédients nécessaires pour que la rencontre des cœurs surpasse les limites culturelles. Cela permet même de s’accueillir réciproquement au-delà des différentes croyances.
LE DEUXIÈME ACTE
Le deuxième acte du livre se réfère à Saint Augustin (pages 106-107). Amou développe l’idée que « la musique affirme l’intelligence des sens.Et cette intelligence n’est rien d’autre que … le souffle divin en chaque être humain ».
Qu’en est-il alors de la richesse musicale des milliers de langues africaines? N’y a-t-il pas là aussi l’expression d’une intelligence des sens? La signification des mots, leur portée et leur évocation composent une grande richesse avec son lot de proverbes, de chants, de danses et de rituels qui ont pour source l’inspiration divine. Missionnaire au Malawi depuis 50 ans, mon ami Claude Boucher ne cesse de répéter que l’Esprit de Dieu agissait dans la vie de « nos » ancêtres bien avant l’arrivée des premiers missionnaires européens5.
Chaque peuple africain a conçu son mythe de la création; chez les Chewa d’Afrique Australe, le premier homme a été capturé dans un filet de poisson, chez les Ngoni du Malawi, il a été obligé de descendre des cieux par une corde6en punition pour avoir enfourché le taureau réservé à Dieu seul.
Ces nombreux mythes illustrent à leur façon l’ordre hiérarchique de la société, ses lois et tabous. Les noms de Dieu reflètent aussi une évocation de son mystère : il est nommé Mzimu Wamkulu = l’Esprit suprême, Chiuta ou Chauta = le Grand Arc-en-ciel, Chisumphi = le Donneur de la pluie, Leza = le Pourvoyeur, Namalenga ou Mlengi = le Créateur de l’homme et du monde.
Il n’est donc pas étonnant que la révélation du « Dieu Père » des Évangiles ait trouvé sa place dans le cœur des Africains au-delà de la dichotomie, souvent perçu comme une opposition, entre la foi ancestrale et le message apporté par les missionnaires. Essentiellement, c’est la même mélodie qui se fredonne; celle du « souffle divin en chaque être humain ».
Néanmoins, pour qu’une mélodie devienne harmonieuse, la parole, tout comme le souffle, a besoin d’un encadrement porteur de sens. Un simple son devient une parole dans la mesure où il est compris. Ce concept est minutieusement élaboré par Guy V. Amou dans le personnage de Joachim, un passionné de l’intégration des jeunes Africains au Québec par le biais de la formation de groupes d’échanges (page 123).
« L’objectif visé, dit-il, est de les ramener à définir, par eux-mêmes, ce qui, d’un point de vue culturel, les lie les uns aux autres » (page 125).
La démarche devient alors pédagogique en incluant la réalité québécoise. Une intégration réussie exige une attention « au patrimoine culturel de nos hôtes » (page 127). Quel est donc ce patrimoine?
LE TROISIÈME ACTE
La réponse se trouve dans le troisième acte. Selon l’auteur, ce patrimoine inclut l’apport indispensable des traditions autochtones (Amérindien, Métis ou Inuit7 françaises et gaéliques (page 169). Cela me semble particulièrement vrai en ce qui concerne les Amérindiens. Depuis plusieurs années, il y a en effet un éveil national dans tout le Canada pour tenter de faire réparation pour les erreurs historiques commises à leur détriment. En revanche, peu de choses sont dites de nos jours dans l’intégration des éléments culturels anglophones que nous avons assimilés comme peuple conquis il y a un peu plus de deux cent cinquante ans.
Selon Éric Bédard8, beaucoup d’historiens et d’intellectuels ont eu recours au concept de la survivance pour résumer les années qui s’écoulent de 1840 à 1950. Ce concept permet de souligner que le peuple canadien-français a tenu tête en démontrant qu’il possède une culture, un folklore et une mémoire collective. Malgré la grande pauvreté matérielle qui a sévi après la rébellion de 1837, ce peuple est parti à la conquête « des pays d’en haut9 » sous l’inspiration légendaire du curé Antoine Labelle.
Se distançant du pouvoir politique, ce peuple a aussi trouvé en l’Église Catholique un lieu où affirmer son identité et maintenir sa survie en affirmant sa foi catholique et la langue française. Cela a pris fin au tournant de 1950 qui nous a conduits à la Révolution tranquille10. L’avènement de l’identité québécoise des années 1960 a été la rupture avec la survivance. Nous n’étions plus de ceux « nés pour un petit pain11.» D’immenses chantiers ont vu le jour : nationalisation de l’électricité, réforme dans les domaines de la santé et de l’éducation, création de nouveaux leviers économique, etc.
Mais, était-ce trop tard? En effet, nos manières de penser, de manger, de travailler, d’administrer nos vies personnelles et sociales, même notre accent, sont plus proches de nos voisins anglophones que nos cousins Français. C’est à se demander si nous ne serions pas devenus, culturellement parlant, des Anglais d’expression française. Qu’à cela ne tienne, Amou met en relief l’attitude requise qu’il faut privilégier et qui consiste à « se rendre disponible aux modulations de l’univers autour de soi » (page 169). Curieusement, peut-être y a-t-il dans ces mots quelque chose de l’ordre ou du concept de la survivance? En effet, « se rendre disponible » ne veut pas dire « assimilation ».
Je ne peux m’empêcher ici de m’attarder un peu sur le traumatisme collectif vécu par les Canadiens12 suite aux défaites de 1759 et de 1837. Il faut se rappeler que l’état de guerre a prévalu pendant toute la période du régime français. Les massacres perpétrés par les Iroquois et les affrontements incessants contre les Anglais fragilisaient constamment une petite population déjà aux prises avec un taux élevé de morts causés par les noyades ou naufrages, les maladies (la petite vérole ou picote) ou par le gèle en période hivernale13.
« Soumise à une double capitulation, celle de Québec en 1759 et celle de Montréal en 1760, la Nouvelle-France y laisse ses biens, son prestige et jusqu’à son nom. (…) Dépossédés, spoliés, en partie ruinés, 60,000 habitants se retrouvent après la défaite dans un pays misérable14. »
Ensuite, de 1840 à 1870, au moment où triomphait le libéralisme économique, l’Église Catholique a agi comme un état en l’absence de l’État en prenant en charge, au nom de la charité chrétienne, les soins de santé et d’éducation pour ne nommer que ceux-là. En insistant sur la préservation de la foi et de la langue face à l’ennemi identifié comme « Anglais et protestant15», l’institution cléricale a finalement privilégié une religiosité basée sur la sacramentalité et les dévotions plutôt que l’accompagnement des croyants dans leur quête spirituelle plus intime. Bref, « il est impératif de critiquer notre passé collectif dans un Québec encore malade et souffrant de son passé religieux16. »
Le professeur Norman Cornett va dans le même sens en affirmant que « Le Québec, à cause de son histoire qui lui est spécifique en Amérique du Nord, jusqu’à la Révolution tranquille, doit faire le bilan de ce lourd passé quant à la religion (catholique). » Certes, « Au point de vue de la religion organisée, institutionnelle, dogmatique, le Québec vit une réaction à cause de ce passé pré-Révolution tranquille. Mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain? Là, il faut se poser la question. L’héritage du Québec est quand même riche et une bonne partie de cet héritage, de cette histoire, relève de la religion. Alors, prenons ce qui est bon et sachons faire la part des choses17. »
« Collectivement marqué par la religion catholique, le Québec ne pourra jamais s’expliquer sans elle. D’autre part, il n’y a pas de nécessité absolue entre ‘être québécois’ et ‘être catholique’. (…) Comment les Québécois feront-ils la paix avec leur passé religieux sans perdre l’acquis de leurs parents18? »
En d’autres mots : Comment concevoir un avenir personnel ou collectif sans tenir compte de son passé ? Au dire du professeur Norman Cornett « la langue en elle-même ne suffit pas pour garantir l’avenir du Québec. Il faut une substance culturelle. Or, dans une certaine mesure, la religion fait partie de cette substance. Il faut avoir une masse critique culturelle suffisamment affirmée pour assurer l’avenir de la société québécoise ou la nation québécoise19. »
Gilles Bibeau interprète cette observation en disant que « le Québec ne pourra survivre comme peuple à l’âge postmoderne que s’il s’appuie sur sa culture historique et que s’il reconnaît que la religion catholique se situe au cœur de cet héritage20. »
Tout récemment, j’ai trouvé des propos semblables émanant de Fatima Houda-Pepin21 publiés dans Le Journal de Montréal22 au sujet de l’épineuse question du retrait du crucifix du salon bleu du parlement. Pour elle; « Outre les Autochtones, le Québec est une nation fondée par des Canadiens français catholiques qui ont laissé leurs marques dans l’histoire, et cette histoire est aussi religieuse. L’Assemblée nationale en est dépositaire. »
Je note aussi que les deux premières lignes de notre hymne national se chantent par ces mots : Terre de nos aïeux, ton front est ceint de fleurons glorieux, car ton bras sait porter l’épée, il sait porter la croix! Ton histoire est une épopée des plus brillants exploits. Voici deux de ces fleurons glorieux :
« La conquête anglaise (de 1759) brisa d’un coup tout le rouage de l’administration civile, tout en laissant intacte la même organisation. Gouverneurs, intendants, conseillers et commandants étaient partis; les principaux seigneurs s’enfuirent à leur tour de la colonie, et ainsi le peuple, qui n’avait jamais appris à se gouverner ou à s’aider, se vit abandonné à ses propres conseils. L’anarchie s’en serait suivi sans les curés de paroisse, qui, assumant une mission de double paternité, à la fois spirituelle et temporelle, devinrent plus que jamais les seuls gardiens de l’ordre, par tout le Canada23 ».
Aussi, après la défaite de 1837, « l’Église a su user de la liberté religieuse pour construire un ensemble remarquable d’institutions fondées à la fois sur la sociabilité paroissiale et sur la dynamique d’ordre religieux en pleine expansion24 » À cela, dans une entrevue avec le sociologue Gérard Bouchard25, celui-ci aborde ce sujet sous l’angle des valeurs : « Quelles étaient les valeurs que l’Église Catholique essayait d’inculquer à ses fidèles québécois? Les valeurs de charité, d’égalité, de compassion, la solidarité. Il y a ça dans le crédo catholique. Elle a pas mal réussi de ce point de vue-là, je trouve. On est la société la plus égalitaire d’Amérique du Nord. Dans la lutte contre la pauvreté, on a fait preuve d’une efficacité extraordinaire durant les trois dernières décennies du siècle. Mais, je veux dire, collectivement, il faut être fier de ce qu’on est26. »
LA DERNIÈRE SCÈNE
Pour revenir maintenant aux personnages de David et de Céline dans le premier chapitre du roman de Guy V. Amou, ceux-ci représentent bien ces Québécois modernistes et avant-gardistes aux prises avec des questionnements identitaires. Il y a une peur à peine voilée dans les dialogues qui illustre bien celle qui s’est insérée dans notre psyché collective. La structure pyramidale du pouvoir clérical exerçant sa maîtrise bienveillante à l’image d’un dieu « tout puissant » s’apparente à une forme de mécanisme de contrôle qui caractérise les idéologies. J’ai déjà souligné cet aspect un peu plus haut. C’est là que se situe le danger d’aliénation! Peut-être y a-t-il ici l’une des raisons qui motivent les militants de la laïcité à agir pour le retrait de toutes formes de signes religieux dans l’espace public.
Dans un tel contexte, bien involontairement, la présence des migrants fait renaître chez les Québécois une peur de la religion perçue avant tout « comme une institution dont on a perdu le sens27 ». Le problème n’est donc pas chez les migrants, mais chez nous, c’est-à-dire dans notre propre perception remplie de craintes qui nous ancrent encore une fois dans un réflexe de « survivance » saupoudré de colère! Saurons-nous un jour nous « rendre disponibles aux modulations de l’univers autour de soi »? En d’autres mots, comment se faire confiance et faire confiance aux autres? C’est une question de choix. Pour contrer le danger d’aliénation, en tant qu’individu ou collectivement, nous devons faire des choix le plus consciemment possible en tenant compte de paramètres rigoureux (lois, règlements, constitutions, contrats, conventions, ententes, etc.) que ces choix présupposent. Le danger est de suivre une pensée dominante ou une idéologie sans discernement parce que « c’est comme ça28! »
ÉPILOGUE
Pourquoi l’histoire de Joachim devient-elle si tragique dans cette pièce de théâtre? Pourquoi un tel drame? La vie peut-elle être autre chose qu’une succession de tragédies personnelles et collectives? Je dis cela en référence à l’omniprésence des « esprits ancestraux » toujours aux aguets pour s’assurer que les enseignements transmis par la tradition soient observés. Au Malawi, cela s’appelle le mwambo. Cette expression englobe les rituels, les liturgies, la culture et les traditions c’est-à-dire tout ce qui empreinte le caractère identitaire des Chewa.
Selon ce concept, tout écart de conduite engendrera assurément un malheur tel qu’un accident, la maladie ou la mort. Cela a pour conséquence de générer une peur viscérale paralysante qui freine tout effort de changement au niveau familial, religieux ou encore politique.
Heureusement, la pièce théâtrale de Guy V. Amou ouvre des horizons libérateurs; certes expatrié, mais exilé, jamais! (page 165). J’ai moi-même vécu dans trois pays africains, le plus récent étant la Zambie. Essentiellement, ce que j’ai découvert semble a priori simpliste; la plupart du temps nos paroles s’évanouissent alors que nos gestes, nos regards et nos attitudes restent encrés dans les mémoires29.
C’est cela qui, me semble-t-il, m’a permis de me sentir à l’aise partout où je suis allé. Librement, je suis parti, librement je reprends contact avec mes racines québécoises après 36 ans de périple en Europe et en Afrique. Selon Guy V. Amou, cela est possible dans la mesure où nous conservons nos « attaches inusables avec nos origines » (page 165).
La liberté est un concept philosophique. De son côté, la libération voisine le pardon sincère à l’exemple de l’acteur principal de la pièce de théâtre; Joachim. Y a-t-il là un parallèle avec le drame de la mort injuste de Jésus sur la croix? En y pensant bien, c’est par ce sacrifice que l’humanité tout entière s’est délivrée de l’emprise d’un exil imposé pour revêtir l’esprit des expatriés qui endossent la réalité des choses.
« Je ne suis pas un exilé, mais seulement un expatrié » aux dires de Guy V. Amou. Cela est vrai dans la mesure où nous ne quittons pas mentalement de notre terre natale. Or, notre terre natale originelle et universelle est dans le cœur de Dieu depuis toute éternité. Un jour viendra où nous intégrerons définitivement nos origines d’enfants de Dieu sous un « ciel et une terre nouvelle (Ap. 21-22) ».
Là aboutira notre finitude!
(1) Guy V. Amou, Je ne suis pas un exilé, Théâtre, Les Éditions Grenier, 2017, 172 pages. Pièce de théâtre pour souligner les 25 années d’existence du Centre Afrika de Montréal en 2014.
(2) Évêque d’Alger et fondateur de la Société des Missionnaires d’Afrique en 1868.
(5) Selon le Pape François, il faut prendre en compte l’apport que les différents peuples et les différentes cultures « offrent au chemin du Peuple de Dieu ». Source : La Croix (sur Radio Vatican), 29 septembre 2017.
(6) Tableau réalisé par Claude Boucher, M.Afr, directeur du musée Kungoni à Mua, Malawi.
(7) Au Québec, on parle plus souvent des Amérindien, Métis ou Inuit.
(8) Éric Bédard, Survivance. Histoire et mémoire du XIXe siècle canadien-français, Boréal, 2017.
(9) Politique pour développer les chemins de fer et peupler le nord de la province de Québec.
(10) Certains chercheurs renvoient à un article du Globe and Mail ou du Montreal Star dans lequel serait apparue pour la première fois l’expression anglaise de « quiet revolution ». Cependant, personne n’est en mesure d’en donner la source exacte. Source : Jean-Philippe Warren – Professeur à l’Université Concordia, Le Devoir, 4 avril 2016.
(11) C’est une expression québécoise dont la définition exprime une certaine résignation face à un destin miséreux. Être né pour un petit pain signifie être né pour vivre pauvrement.
(12) Avant de promouvoir l’identité québécoise, nous étions des Canadiens français. Mais, à l’origine, nous étions les Canadiens.
(13) Tanguay, Cyprien, prêtre, À travers les registres, notes, Librairie Saint-Joseph, Cadieux et Derome, Montréal, 1886.
(14) Benoît Lacroix, La foi de ma mère, la religion de mon père, Bellarmin, 2002, page 19.
(15) Dans mon enfance, on disait souvent : « On va les avoir, les anglais! » comme pour affirmer notre désir semi-conscient de prendre collectivement notre revanche un jour.
(16) Propos recueilli du professeur Gilles Bibeau lors d’une conférence sur les enjeux de la diversité religieuse des migrants. Conférence organisée par l’Association canadienne pour la santé mentale au Centre Saint-Pierre le 3 septembre 2017.
(17) Entrevue sur YouTube (2013) : Pr. Norman Cornett en entrevue à La Chemise – Quelle place pour la spiritualité au Québec?
(18) Benoît Lacroix, La foi de ma mère, la religion de mon père, Bellarmin, 2002, page 30.
(19) Entrevue sur YouTube (2013) : Pr. Norman Cornett en entrevue à La Chemise – Symboles religieux au Québec: sacrés ou culturels?
(20) Correspondance privée.
(21) Fatima Houda-Pepin est une femme politique et une politologue québécoise. Elle était la députée de la circonscription de La Pinière à l’Assemblée nationale du Québec entre 1994 et 2014.
(22) Pour en finir avec le crucifix à l’Assemblée nationale, dans Le Journal de Montréal, 24 octobre 2017, page 26.
(23) Cyprien Tanguay : « L’accroissement continu et régulier de la population canadienne, provenait de l’excellente organisation qui existait parmi elle, et, cette organisation n’était autre que celle établie par le clergé canadien, le seul corps de l’État qui n’avait pas abandonné son poste à la suite de la conquête. Ce fait, si remarquable, a été hautement reconnu par un historien distingué, mais dont l’impartialité ne saurait être suspectée. Nous voulons parler de M. Francis Parkman, qui, à la fin de son The Old Regime in Canada, fait la remarque suivante : “The English conquest shattered the whole apparatus of civil administration at a blow, but it left her untouched. Governors, intendants, councils and commandants, all were gone; the principal seigniors fled the colony; and a people who had never learned to control themselves or help themselves, were suddenly left to their own advice. Confusion if not anarchy, would have followed, but for the parish priests, who in a character of double paternity, half spiritual and half temporal, became more than ever the guardians of order throughout Canada.” (The Old Regime in Canada, by Francis Parkman, p. 400; Boston: Little, Brown & Co. 1874). »
(24) Éric Bédard (2017) citant Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre. Crime et pauvreté au XIXe siècle québécois, Montréal, VLB, 2004, p. 237.
(25) Émission ‘Second Regard’ avec l’animateur Alain Crevier sur ICI Radio-Canada télé. Entrevue avec Gérard Bouchard, Raison et déraison du mythe, dimanche 26 avril 2015.
(26) Discours du père Serge St-Arneault lors de l’inauguration de la bibliothèque « Annie St-Arneault » (2015). Site internet « Espace Perso de Serge ». Également publié dans La Missive, Bulletin de l’Association des descendants de Paul Bertrand dit Saint-Arnaud (ADBStar), volume 10, numéro 1, Hiver-Printemps 2016.
(27) Propos recueilli du professeur Gilles Bibeau.
(28) Lorsque j’étais plus jeune, et c’est peut-être encore le cas, on disait des gens qu’ils « suivaient comme des moutons ». Cela laisse entendre qu’on fait comme tout le monde sans trop savoir pourquoi. Là réside le risque d’aliénation.
(29) « Je vous ai écouté l’autre jour à la messe au village de … », me suis-je fait dire plusieurs fois. « C’était bon! ». « Ah oui! Et qu’avez-vous retenu de mon sermon? » « Je ne m’en souvent plus, mais c’était bon! » Les sourires m’indiquent qu’il est resté une saveur de bonheur. Et c’est ce qui compte!
Texte rédigé par Serge St-Arneault, M.Afr, directeur du Centre Afrika, dans le cadre du lancement du livre ‘Je ne suis pas un exilé’, lecture publique accompagnée de chants du monde a cappella, 29 novembre 2017 à l’Écomusée du fier monde, Montréal.
Je savais que le petit Serge devait subir une autre opération pour son œil dimanche dernier. Mes tentatives pour rejoindre Robert Kalindiza, son papa, ont échoué. Or, je reçois aujourd’hui un courriel m’annonçant que l’opération n’a pas eu lieu. Les médecins craignent qu’une telle intervention chirurgicale ait des conséquences néfastes bien que la première opération ait été réussie.
Aux dires de Robert, il semble que ce problème difficilement détectable soit relié au cerveau. Les médecins américains qui ont étudié son cas vont poursuivre leur investigation en présentant ce cas à des collègues aux États-Unis. Ils ont insisté pour que les parents gardent espoir en se confiant à Dieu. Ceci dit, même là-bas, une telle opération s’avère très difficile.
Les parents sont découragés après tant d’effort déployé depuis janvier dernier. Le petit Serge ne comprend pas très bien ce qui se passe même si les parents essaient de le lui expliquer. Encore heureux que l’enfant soit encore vivant.
Les parents demandent pardon à tous les bienfaiteurs qui les ont soutenus par leur prière et financièrement. Ils ont fait de leur mieux. Aussi, d’autres besoins sont à combler; réparation de la voiture, frais de logement et frais scolaires pour le petit Serge et son plus petit frère Lorent.
Je peux vous certifier que l’argent envoyé à cette famille a été proprement utilisé. Merci à vous tous qui avez manifesté tant d’intérêt pour celle-ci. En ce qui me concerne, je n’ai plus grand-chose dans mes poches pour les aider. Je sollicite une nouvelle fois votre générosité. La demande du papa est de $700 US. Vous pouvez communiquer avec ma petite maman ou me rejoindre par courriel.
Au bas, vous trouverez le message de Robert Kalindiza tel que je l’ai reçu. Il y a aussi quelques photos, plutôt de mauvaise qualité, qui accompagnent la petite vidéo.
“The doctors failed to come up with a solution. They said the case is complicated and that they cannot dare repairing him for fear of lifetime disturbance.”
After all the effort we made since January, all the scans and diagnosis and the surgery that my son underwent, American doctors have ruled out that he should not go through any type of surgery. And they said we are lucky that the first surgery was successful but the case of Serge is complicated. The problem starts in the brain but it was very difficult to identify it. But the equipment that they brought from America revealed all the problems.
They said they will take his case to the USA for consultation and we should live with hope that one day things will be better. In God we should trust.
They even told us that even in America it will be very difficult to fix the kind of the problem.
We are discouraged. Serge is innocent. He does not know what is going on. He has gone through difficult situations. Thank God he survived. This time we tried to prepare his mind for the surgery but.
Sorry for all the effort that you have made with your family and friends to put back the life of my son back to normal, but it’s beyond our control.
My phone is failing to upload some photos that I took at the hospital, showing different doctors coming in turn to see Serge but all did not work.
But still may God continue to bless you. We are who we are because of you. Please do not turn your face away from us. We will not survive without you.
Please help us (700 dollars US). We are in dare need of it. We need to repair the car, rent and soon the children (Serge and Lorent) are opening school and we need to help them. Soon the better as per your wish.
See above all the photos of his brain and Doctors who tried their best to help Serge.
La messe dominicale cadrait bien avec notre prière pour papa Bastien. Nous venons tous de ce coin de pays. C’est comme une grande famille où l’esprit de nos ancêtres habite encore nos cœurs. Nous nous sommes souvenus des Perron, des Veillette et des Laquerre pour ne nommer que ceux-là.
La liturgie de ce dimanche nous invitait à saisir la main de Jésus qui est venu au secours de l’apôtre Pierre qui s’enfonçait dans l’eau. Nous lui avons demandé de saisir nos mains lorsque les tempêtes de la vie ébranlent notre foi.
Dans mon homélie, j’ai brièvement parlé de mon périple missionnaire en Afrique qui a débuté en 1981. De mes 30 dernières années, j’en ai vécu 25 en Afrique; en République Démocratique du Congo (autrefois le Zaïre), le Malawi et la Zambie. Si je devais résumer mon expérience, je dirais simplement qu’au-delà de nos différences culturelles, linguistiques et sociales, le cœur humain est identique partout.
Ce que j’ai appris de plus précieux de mes frères et sœurs africains c’est avant tout de mettre ma confiance en Dieu. Les défis sociaux en Afrique sont immenses, mais j’ai très souvent été en admiration devant la résilience, le courage et la ténacité des Africains.
Mais le temps est venu de revenir au Canada et de reprendre contact avec ma terre natale. Librement, j’ai répondu à l’appel de Dieu de devenir missionnaire en Afrique, librement je reviens pour en témoigner.
Plus d’une fois, j’ai été mis à l’épreuve dans mes capacités d’adaptation, mais je n’ai jamais perdu confiance. Avant tout, ici comme ailleurs, ce qui compte est de saisir la main tendue de Jésus. En réfléchissant, je réalise que cet esprit de confiance est l’héritage que nous avons reçu de notre papa Bastien. Nous pouvions toujours avoir confiance en lui. Il l’a prouvé dans son milieu de travail à l’usine de papier, dans ses engagements au sein du syndicat des travailleurs, de ses activités récréatives ou chrétiennes tel que le bénévolat. Papa Bastien était un homme de foi. Il avait peu de mots pour l’exprimer. Tout était dans son agir, son témoignage.
A sa manière, papa Bastien, un peu comme Jésus, a tendu la main à beaucoup de monde; une main solide, une grosse main pleine de tendresse, une main qui n’a jamais frappé, qui n’a jamais fermé le poing.
Les dernières années de la vie de papa Bastien ont été physiquement très pénibles. Il a beaucoup souffert, surtout les tout derniers jours de sa vie. C’est notre espérance qu’il repose maintenant dans les mains de Dieu. Dans son cas, le vent tumultueux de la vie est définitivement tombé.
Au côté de l’urne funéraire se trouvaient deux roses rouges; une pour papa Bastien et une deuxième pour Annie. Cette urne a trouvé place tout juste à côté de celle d’Annie devant la pierre tombale. Elle y est depuis presque 27 ans.
Pour nous qui sommes encore vivants sur cette terre, nous gardons confiance. Dans nos cœurs, il n’y a pas d’ouragan de doutes, de tremblements de terre effroyables ou encore de feu douloureux. Ces manifestations terrifiantes de la nature où le peuple hébreu espérait ‘rencontrer’ Dieu ont fait place au ‘murmure d’une brise légère’ (1er Roi, 19). Dans l’Évangile (Mt, 14,22-33), il est dit que les disciples étaient bouleversés, ils avaient peur et se mirent à crier. Et bien! S’il reste un relent de doute en nous, Jésus nous adresse ces mots: « Confiance! C’est moi : n’ayez pas peur! »
Merci, papa Bastien, d’avoir eu confiance en nous! Il y a beaucoup d’amour dans la confiance.