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Polytechnique: une tragédie «qui fait partie de notre identité collective»

AUDREY TREMBLAY, Le Nouvelliste, 6 décembre 2019

La Tuque — La tuerie de Polytechnique a marqué profondément la société québécoise. Trente ans plus tard, on commémore les tristes événements du 6 décembre 1989. Cette journée-là, Serge St-Arneault a perdu sa sœur, la Latuquoise Annie St-Arneault. Aujourd’hui, il souhaite que la mémoire de sa sœur traverse le temps, que le gouvernement prenne ses responsabilités dans le contrôle des armes à feu et que le courage de prendre la parole apporte un baume sur les âmes blessées.

«Les femmes vivent encore des drames, les femmes sont encore violentées, il y a encore des femmes qui sont assassinées par arme à feu par des hommes encore aujourd’hui. Les statistiques montrent qu’il faut continuer de prendre tous les moyens nécessaires pour protéger les femmes. Il faut lutter contre la violence faite aux femmes. Je pense que l’un des moyens efficaces est celui du contrôle des armes à feu. Mon souhait, c’est qu’au Canada il y ait un réel contrôle des armes à feu», lance Serge St-Arneault.

Trente ans après le drame, il a enfin pu rencontrer Monique Lépine, la mère de Marc Lépine, l’auteur du meurtre des 14 étudiantes de l’École polytechnique de Montréal. C’est avec une grande nervosité qu’il s’est rendu à cette rencontre dernièrement.

«J’avais le sentiment de devoir le faire. J’étais prêt à la rencontrer et j’avais un désir de la rencontrer. Ç’a été un moment d’apaisement mutuel. […] Le drame est toujours là, la cicatrice est toujours là, mais le baume vient apaiser. Je comprenais son drame et elle comprenait le mien. On s’est retrouvé à travers le drame qu’on partage.» «C’est ensemble, dans le partage, qu’on peut surmonter les épreuves et trouver un sens à la vie au-delà des drames. C’est un peu ça que j’ai essayé de partager avec elle.»

L’année du drame, raconte-t-il, il s’était retrouvé à l’oratoire Saint-Joseph en compagnie de quelques familles des victimes. «Je me souviens du père d’une des victimes. Il disait que c’était dommage de ne pas pouvoir rencontrer madame Lépine puisqu’elle est aussi une victime comme nous. […] Quand je l’ai rencontrée, je lui ai dit que déjà, il y a trente ans, on avait le désir de la rencontrer, mais qu’on ne savait pas comment faire. Trente ans plus tard, je l’ai fait au nom des familles», souligne Serge St-Arneault. Ce dernier lui a dit, entre autres, qu’il l’avait toujours considérée comme une victime, comme «l’une d’entre nous». Ce moment n’a pas été sans émotion.

Trente ans après le drame, Serge St-Arnault n’est plus seulement Serge, il est devenu le «frère d’Annie St-Arneault.» «Pour moi, que je le veuille ou non, il n’est pas et ne sera jamais question de passer à autre chose»! Cette nouvelle identité me colle à la peau. […] Les souvenirs douloureux s’intègrent en nous, en tant qu’individus ou sociétés. Ces souvenirs forgent notre identité.»

«La tragédie de Poly nous colle tous à la peau. Elle fait maintenant partie de notre identité collective. À vrai dire, c’est plus profond qu’un simple tatouage. Depuis lors, nos choix et notre détermination comme groupe social à lutter pour l’égalité hommes-femmes à tous les niveaux ont été, sont et seront encore inspirés par la tragédie de la Poly. D’où l’importance de préserver cette douloureuse mémoire», note-t-il.

Impossible de tourner la page sur une histoire comme celle-là, les cicatrices de blessures sont éternelles pour M. St-Arneault. Malgré la grande douleur, il faut se souvenir pour agir et travailler ensemble pour bâtir un monde meilleur.

Annie St-Arneault

Cela passe, notamment, par un meilleur contrôle des armes à feu. D’ailleurs, il milite en ce sens depuis plusieurs années. Encore récemment, il signait une lettre adressée au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Bill Blair, demandant de mettre en œuvre un moratoire immédiat sur la vente des armes d’assaut, ainsi qu’une interdiction permanente sur l’importation et la fabrication des armes de poing. «La volonté de la majorité en faveur d’un meilleur contrôle des armes à feu est également issue de ce drame. Cette volonté est d’ailleurs partagée par l’ensemble des Canadiens partout au pays», insiste-t-il.

Durant la récente campagne électorale fédérale, le Parti libéral s’est engagé à bannir les armes d’assaut et permettre aux municipalités qui le souhaitent d’interdire les armes de poing sur leur territoire. «De toute évidence, demander aux municipalités d’interdire les armes de poing serait non seulement inefficace, mais irréaliste compte tenu des luttes politiques longues et acrimonieuses contre le lobby des armes auxquelles ferait face tout maire», estime M. St-Arneault. «C’est au niveau fédéral seulement qu’on peut parvenir à un certain résultat tangible», ajoute-t-il.

La parole libératrice

Le livre «Ce jour-là. Parce qu’elles étaient des femmes» sera lancé prochainement. L’ouvrage de l’auteure Josée Boileau fera, entre autres, le fil des événements et rendra hommage aux victimes.

«Il y a quelques pages sur chacune des femmes. J’ai vu le texte sur Annie. Ça donne un tableau assez complet de sa vie, ses moments forts. Il y a des citations de sa plus grande amie d’enfance qui s’appelle Sonia Beauregard. «Elle aussi a fait un cheminement extraordinaire il y a quelques mois. Trente ans plus tard aussi. On a repris contact. La parole libératrice… trente ans plus tard Sonia a réussi à trouver les mots pour dire ce qu’elle portait dans le plus profond d’elle-même depuis tant d’années.»

Serge St-Arneault dit «elle aussi», parce qu’il fait référence au récent témoignage d’Yves Bouchard, l’un des deux professeurs présents dans la salle de classe où a surgi Marc Lépine avec une arme à feu. «Ça fait 30 ans qu’il garde ça dans son cœur, il n’a jamais été capable d’en parler. […] En ce triste, car il n’y a rien de réjouissant, trentième anniversaire du drame de la Poly, une parole surgit enfin, prélude d’un début d’apaisement. C’est le cas d’Yves Bouchard. […] Sa petite-nièce, Pascale Devette, n’a pas vécu l’époque du drame. C’est pour elle que son oncle a ouvert son cœur, trente ans plus tard.»

«Au même moment, Monique Lépine a présenté son livre intitulé « Renaître. Oser vivre après une tragédie». Croyante, son livre expose son cheminement vers une reconstruction, une transformation progressive menant à une guérison individuelle et collective. À vrai dire, une démarche spirituelle».

Serge St-Arneault pense qu’à travers ses écritures et ses conférences Mme Lépine a su trouver une parole de consolation. «Elle partage son drame, mais beaucoup de gens se reconnaissent dans le drame qu’elle a vécu. Tout le monde vit un drame dans sa vie à un moment ou un autre. La parole devient un lieu de partage et de réconciliation, d’apaisement… Je fais référence à la parole dans le sens qu’Annie était poète. Son recueil de poésie. Il y a des éléments un peu dramatiques là-dedans aussi.»

«Il me semble que les deux livres cités ne se contredisent pas. À leur façon, ces deux livres rendent honneur au désir d’Annie que «sa parole traverse le temps», a-t-il conclu.

Pour une société plus humaine: Monique Lépine de passage dans la région

Martin Lafrenière, Le Nouvelliste

TROIS-RIVIÈRES — «Si quelqu’un souffre, aidons-le. Il faut améliorer la société pour les humains. On ne prend pas assez soin de l’humain.»

À quelques jours du 30e anniversaire de la tuerie de Polytechnique, Monique Lépine a rendu visite jeudi aux étudiants d’une école secondaire trifluvienne, du Cégep de Trois-Rivières et de l’UQTR pour parler de l’épreuve qu’elle a dû traverser. Son fils, Marc, est l’auteur du meurtre des 14 étudiantes de l’École Polytechnique de Montréal.

Mme Lépine se souvient très bien de la fin de journée du 6 décembre 1989, alors qu’elle rentrait chez elle après une journée de travail. Ce n’est que le lendemain qu’elle a appris que son fils de 25 ans avait entraîné dans la mort ces jeunes femmes avant de s’enlever la vie. Durant plusieurs années, elle n’a pu aborder la question, cherchant à retrouver un équilibre dans sa vie marquée plus tard par la mort de sa fille à la suite d’une surdose de cocaïne.

C’est à force de réfléchir à sa situation, de lire sur ce qu’elle vivait et à partir du moment où elle a fait le ménage dans ses émotions, en comprenant d’où elles viennent et en voyant sa réaction face à elles, qu’elle a commencé à remonter à la surface. Trente ans après le drame, elle constate que non seulement de nombreuses personnes souffrent en silence, mais qu’avec toutes les histoires récentes de violence, d’intimidation et de harcèlement, l’histoire se répète. De là, l’importance d’exprimer les souffrances pour se libérer et de prendre soin des personnes.

«Il n’y a pas grand-chose qui a changé, car le changement vient du cœur. Je veux qu’on porte attention aux jeunes pour mettre un sens à leur vie. On a le droit de dire comment on se sent, mais pas avec la colère. La souffrance est une question de cœur. Quand tu gardes de l’amertume, si tu nourris la vengeance, attends-toi pas de sortir quelque chose de positif. Il faut nourrir de bonnes pensées. La colère peut t’amener à poser des gestes. Si tu ne parles pas de ce qui se passe, c’est comme un presto. Je pense que mon fils avait beaucoup de colère et ç’a sorti comme ça», a raconté Mme Lépine devant une trentaine d’étudiants de l’UQTR, qui de toute évidence n’étaient pas nés lors des événements.

Selon ce qu’on lui a rapporté, son fils aurait mentionné lors de la tuerie qu’il haïssait les féministes. Elle se demande ce qu’une féministe voulait dire pour lui. Infirmière d’expérience occupant un poste de cadre et ancienne étudiante à l’Université de Montréal, Mme Lépine affirme qu’elle aurait pu correspondre à la description d’une féministe et s’est demandé si son fils lui en voulait à un point tel de décharger son arme contre des femmes, elle qui avait emmené ses deux enfants lorsqu’elle a décidé de quitter un mari violent.

«C’est quoi, être un bon parent? Dans mon temps, c’était de pourvoir aux besoins matériels. Est-ce qu’on s’est soucié de ce qu’on ressentait à l’intérieur? On n’avait pas ces pensées-là», raconte Mme Lépine, qui se dit pour l’égalité entre les femmes et les hommes, mais qui ne milite pas comme féministe.

Une rencontre avec Serge St-Arneault

Mme Lépine vient de faire paraître un deuxième livre, Renaître, qu’elle considère comme «son chemin de guérison». Femme profondément religieuse, elle affirme avoir pardonné à son fils et a demandé pardon aux familles victimes des gestes de celui-ci.

Au lancement de son livre, il y a une semaine, elle a d’ailleurs rencontré des membres de deux familles victimes de la tuerie, dont Serge St-Arneault. Ce dernier est le frère d’Annie St-Arneault, une étudiante originaire de La Tuque qui a été assassinée par Marc Lépine.

Selon Monique Lépine, la rencontre avec M. St-Arneault a été bonne pour elle et pour lui. «On a pu se réconcilier au niveau du pardon. Il comprenait ma souffrance et je comprenais sa souffrance. Ça a été comme un baume.»

Le trauma de la Poly 30 ans plus tard

Serge St-Arneault

Pourquoi en parler encore? Est-ce nécessaire de revenir sur ce triste événement? La réponse est pourtant simple : nous sommes toutes et tous marqués pour la vie par nos expériences malheureuses, parfois dramatiques. Ça nous colle à la peau et dans le cœur. Voilà tout!

Il y a aussi les reproches. Pourquoi ai-je encouragé ma sœur Annie à poursuivre des études universitaires à la hauteur de ses talents qui l’a menée à choisir l’École Polytechnique? Monique Lépine, la mère du jeune homme qui a surgi avec une arme à feu dans le but déclaré de tuer des ‘féministes’, a subi d’injustes réprimandes. « En un instant, dit-elle, mon statut social passa de conseillère professionnelle pour une centaine d’établissements de santé au Québec à celui de ‘mère d’un criminel’. »

Trente ans plus tard, après avoir été sollicité par sa petite-nièce, Pascale Devette, Yvon Bouchard a finalement accepté de parler, lui qui était l’un des deux professeurs présents dans la classe où la première fusillade a eu lieu. « On m’a reproché de ne pas être intervenu… », dit-il.

Mon expérience missionnaire en Afrique m’a révélé qu’il est impossible de savoir comment nous réagirions à un événement déstabilisant ou à une menace avant d’y faire face. On ne peut jamais s’y préparer adéquatement.

Dans le prologue du recueil de poésie d’Annie, publié en 2011, j’écrivais que « la rage abusive et meurtrière ne s’explique pas. L’intolérance s’acharne sur des cibles pour la simple raison d’être ce qu’elles sont : des femmes ou des enfants, des gens d’autres races ou de différentes idéologies et religions. Une fausse image de l’autre, exacerbée par une peur aveugle, semble à l’origine de comportements aussi absurdes que tragiques, comme ce fut le cas le 6 décembre 1989. »

Trente ans plus tard, je viens d’avoir la chance de rencontrer Monique Lépine lors du lancement de son livre intitulé « Renaître » avec le sous-titre ‘Oser vivre après une tragédie’. Croyante, son livre retrace son cheminement vers une reconstruction, une transformation progressive menant à une guérison individuelle et collective. En effet, le drame de la Poly a profondément marqué toute la société.

Les marques de nos traumatismes sont plus profondes que les tatouages appliqués sur la peau. Pourtant, je disais aussi dans le prologue que « le temps vient à notre secours. Avec le passage du temps, à la lumière de l’Esprit de Jésus, nous cessons de nous ronger de l’intérieur et de faire souffrir nos proches avec notre douleur personnelle. Le cycle de la violence prend fin et nos cœurs brûlent de la présence invisible de ceux et celles qui nous ont quittés, comme il nous arrive de saisir un morceau de la vie céleste en accueillant spirituellement la présence de Jésus au moment de la fraction du pain eucharistique. »

Trente ans, ce n’est finalement pas très long. C’est vite passé! J’espère que d’autres personnes comme Yvon Bouchard auront cette année le courage de s’exprimer. Monique Lépine le fait à sa manière. Son cheminement spirituel est remarquable. Le titre de son livre n’est pas anodin : « Renaître ». C’est ma prière que la trentième commémoration du drame de la Poly soit le début d’un regain d’espoir, car « au-delà de la tragédie, il y a l’amour ». C’est ce que nous vivons chaque fois que nous commémorons l’assassinant injuste de Jésus sur une affreuse croix avec cette mystérieuse conviction que le pardon nous est non seulement possible, mais également source de vie nouvelle et éternelle.

Je vous invite à visionner la très belle
entrevue avec Monique Lépine réalisée par TVA.

Au moment du drame, je me suis retrouvé à l’oratoire Saint-Joseph en compagnie de quelques familles des victimes. J’ai en mémoire ce père d’une des 14 femmes assassinées qui se demandait comment communiquer avec Madame Lépine pour partager avec elle notre désarroi. Nous la savions l’une des nôtres, impuissant pourtant à pouvoir le lui dire. C’est maintenant fait, trente ans plus tard!