Washington D.C. d’hier à aujourd’hui – mon expérience

L’assaut populaire du 6 janvier 2021 au Capitole de Washington est encore frais dans nos mémoires. Je m’y suis rendu le 25 octobre dernier sans y déceler la moindre trace de ce tragique épisode si ce n’est les barricades qui empêchent les gens de s’en approcher.

C’était en 1977

L’abbé Gilles Marchand en 1977

Ce n’était pas ainsi en 1977 lorsque j’ai visité le Capitole en compagnie d’un groupe d’étudiants, majoritairement africains, de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Notre aumônier, l’abbé Gilles Marchand avait préparé ce périple pour permettre aux étudiants étrangers de mieux connaître les États-Unis. Plus de quarante ans plus tard, je garde néanmoins la même impression; celle d’un grandiose pays aux pieds d’argile.

Polarisations

Les polarisations ethniques, culturelles et économiques attirent mon attention . Les extrêmes se côtoient au grand jour. Ce n’est certes pas un phénomène unique aux États-Unis. Mais, en touriste que je suis, cela me semble profondément associé à l’environnement culturel américain hyper productif et compétitif, source d’insécurité et de violence. La prolifération des armes à feu contribue à ce phénomène.

Heureusement pour nous, notre maison est située dans un quartier sécurisé où siègent beaucoup d’ambassades. Il est possible de circuler sans crainte, même le soir. Ce qui n’est pas le cas dans un quartier voisin, m’a-t-on dit.

Chicago en 1999

En compagnie de monsieur Justin McCarthy en 1999

J’avais déjà compris cela lorsque je suis allé rendre visite à Julien Cormier à Chicago en 1999. À l’époque, nous avions une communauté de missionnaires dans le quartier d’Austin. Sa particularité était qu’elle était composée exclusivement d’Afro-Américains. J’avais interviewé chez lui monsieur Justin McCarthy, le dernier résident Blanc du quartier. Il y était depuis 1963 et il avait 86 ans à cette époque. Il a assisté à la migration progressive des Afro-Américains dans un quartier historiquement composé d’immigrants irlandais catholiques. Justin a été le premier président d’une association appelée Organisation for Better Austin (O.B.A.) qui avait pour objectif de faciliter une transition pacifique des institutions locales à une époque où les tensions raciales provoquaient des émeutes dans d’autres villes américaines.

La panique s’est emparée des Blancs, de m’avouer Justin, qui ont tous quitté sous la pression d’appels téléphoniques de spéculateurs fonciers.

Reportage publié dans la revue Univers, mars/avril 1999, page 11 à 16.

« N’attendez pas une dévaluation plus grande de votre propriété et vendez dès aujourd’hui. C’est ma dernière offre. »

Systématiquement, d’une rue à l’autre, les gens ont vendu leur maison et migré vers les banlieues de Chicago en pleine croissance. La détérioration du quartier s’est alors accélérée et la méfiance a prévalu. Non seulement le quartier d’Austin a vu une partie sa population s’exiler, mais la ville de Chicago est passée de 3,6 millions d’habitants en 1950 à 2,7 millions depuis 1990 jusqu’à aujourd’hui.

Du mémorial Lincoln au Capitole

Tous ces souvenirs me sont revenus lorsque je marchais le long de la vaste étendue verdâtre et presque désertique entre le Capitole et le Mémorial de Lincoln avec, au centre, l’emblématique obélisque du monument de Washington. Je me questionnais sur la propension des Américains à prendre possession de lieux et de territoires par vagues migratoires. À bien y penser, c’est l’histoire de l’humanité.

Photos de 2021

Le quartier Queens à Brooklyn, New York

J’ai constaté la même chose quelques jours plus tard lorsque nous sommes allés dans le quartier Queens à Brooklyn. Vous pouvez lire l’article que j’ai publié à ce sujet sur mon blogue; « Brooklyn, Queens, 30 octobre 2021 ». Ce qui n’est pas dit dans ce reportage est le fait que les populations afrodescendantes de courte ou de longue date ont migré dans cette partie de la ville de New York d’une manière très semblable à celle du quartier d’Austin à Chicago.

« Nous sommes chanceux, de me dire mon confrère Bartholomew Mrosso, car nous sommes dans une zone sécurisée. Mais, plus loin, il est préférable de ne pas s’y aventurer. »

Ce conseil est valide pour tous, sans distinction radiale. Pourtant, je me suis senti tout à fait à l’aise là où vivent mes confrères. Les maisons sont certes modestes, mais ces propriétés et les rues sont propres, bien entretenues. C’est bien loin des images désolantes du quartier Queens projetées dans le film Coming to America, produit en 1988 et mettant en vedette Eddie Murphy. La fiction caricature la réalité. Excusez-moi, c’est vrai! Je n’ai séjourné que 24 heures aux Queens. C’est trop peu pour connaître un endroit aussi vaste que Brooklyn.

De retour à Chicago en 1999

Ça me rappelle encore une fois le quartier d’Austin de Chicago, souvenez-vous, entièrement peuplé d’Afro-Américains. Je m’étonnais du regard apeuré des enfants lorsque je prenais le métro pour me rendre au centre-ville. Revenant d’Afrique, me retrouver entouré de Noirs était pour moi tout à fait normal. Mais un Blanc, marchant le long des rues d’Austin, éveillait des suspicions.

« Que faites-vous dans la rue en pleine nuit, avait demandé un policier à Julien?  »

Un Blanc rodant la nuit dans un quartier renommé pour être « dangereux » ne peut prendre ce risque que pour vendre de la drogue.

« Je reviens de la pharmacie, de répondre Julien. »

« Êtes-vous de ce quartier ? »

« Oui. Je suis le curé de la paroisse St-Martin-de-Porrès. L’église est à deux pas d’ici. »

Le racisme

Je comprends que les questions raciales sont toujours complexes, partout sur la planète. Elles me semblent cependant omniprésentes dans la fabrique sociale américaine. Pourtant, la diversité est source de créativité, d’innovation. Il y a des exemples remarquables de réussite de coexistence interraciale aux États-Unis.

En revanche, et l’exemple l’assaut populaire du 6 janvier 2021 au Capitole de Washington le montre bien, les États-Unis ont atteint un très haut degré de polarisation alimenté par un discours politique haineux. Que penser de ceux qui prônent une nouvelle guerre civile?

Sur les marches du Capitole en 1977 et en 2021

Quel contraste entre une manifestation de chrétiens sur les marches du Capitole en 1977 dénonçant le soutien du gouvernement américain à des régimes tortionnaires et la meute en furie s’apprêtant à assaillir le même endroit en 2021. Aujourd’hui, la meilleure vue rapprochée de ces lieux se situe derrière un plan d’eau.

Notre témoignage

Que ce soit à Chicago, aux Queens de Brooklyn ou ailleurs, notre témoignage missionnaire est le même; nous affirmons qu’au-delà de nos différences raciales, culturelles et même religieuses, nous sommes tous des enfants de Dieu, égaux en toutes choses, car aimés sans distinction d’un même Père. Amen!

Au lendemain de la dernière élection présidentielle américaine, les manifestations pro-Trump étaient devenues routinières à Washington. Tous les mois, ses partisans débarquaient dans la capitale américaine pour dénoncer une fraude électorale qu’aucun d’entre eux ne savait étayer. Mais ce jour-là, le 6 janvier 2021, l’atmosphère était différente. La colère dans les yeux, la rage au ventre, les sympathisants du président sortant se sont transformés en séditieux. Et la ville, ses résidents, ses politiciens et ses journalistes les ont regardés prendre d’assaut le Capitole américain, en état de choc généralisé.

RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE, Le Devoir, 2 janvier 2022
La prochaine élection présidentielle américaine se conclura-t-elle… sur un coup d’État ? Pour certains, l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, il y aura un an le 6 janvier, annonce le scénario catastrophe. D’ici là, le sort de la démocratie américaine pourrait reposer sur les travaux de la commission d’enquête du Congrès, qui veut faire la lumière sur ce qui s’est passé à la Maison-Blanche pendant l’émeute.

RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE, Le Devoir, 3 janvier 2022
Qui sont les partisans de Donald Trump qui ont pris d’assaut le Capitole des États-Unis le 6 janvier dernier ? Le politologue de l’Université de Chicago Robert Pape a tenté de répondre à cette question en analysant avec son équipe le profil de 677 des quelque 700 personnes arrêtées pendant et après l’attaque. Il a également conçu deux grands sondages nationaux pour mesurer le sentiment insurrectionnel aux États-Unis. La Presse s’est entretenue avec lui.

CAMILLE CAMDESSUS, AGENCE FRANCE-PRESSE,
La Presse,  5 janvier 2022

(Washington) Réveiller les souvenirs ou passer à autre chose ? Un an après l’attaque du Congrès par des partisans de Donald Trump, les élus du temple de la démocratie américaine peinent à panser les plaies du « 6 janvier ».

Fabien Deglise, Le Devoir, 5 janvier 2022.

Plus de trois heures. 187 minutes. C’est le temps durant lequel l’ex-président américain Donald Trump a résisté aux nombreux appels de son entourage l’implorant de calmer la foule en train de prendre d’assaut le Capitole, à Washington. Sous les regards interdits du monde. C’était il y a un an, le 6 janvier 2021.

Extrait – Idéologies et polarisation aux États-Unis. La Presse, 9 janvier 2022
Cet essai du professeur de science politique Philippe Fournier jette un regard sur l’extrême polarisation culturelle et politique qui frappe les États-Unis ainsi que sur les transformations importantes du siècle dernier en accordant une attention particulière à deux situations tenaces : les inégalités socioéconomiques et le racisme.

CHARLOTTE PLANTIVE, AGENCE FRANCE-PRESSE,
La Presse, 14 janvier 2022
(Washington) Stewart Rhodes, inculpé de « sédition » pour son rôle dans l’attaque sur le Capitole, illustre le glissement de l’extrême droite américaine, passée de l’opposition au gouvernement fédéral à la défense farouche et en armes de Donald Trump.

Québec presse Ottawa d’agir

Photo: Jacques Boissinot (Archives) La Presse canadienne Québec demande à Ottawa d’en faire plus pour lutter contre la violence par armes à feu après la mort d’un adolescent de 16 ans à Montréal dimanche dernier. 

Marie Vastel et Alexandre Robillard, respectivement à Québec et à Washington, Le Devoir, 18 novembre 2021

Le premier ministre François Legault a pressé mercredi le gouvernement fédéral de lutter plus activement contre la violence par armes à feu.

M. Legault a fait cette déclaration trois jours après le décès d’un adolescent de 16 ans, à Montréal, qui a été tué par balle. « C’est terrible, a-t-il dit. Je ne reconnais plus Montréal. »

Juste avant de présider une réunion du Conseil des ministres, M. Legault a envoyé un message au gouvernement de Justin Trudeau. « Il faut qu’il en fasse plus », a-t-il affirmé, avant de s’engouffrer dans l’édifice. 

Quelques minutes plus tôt, la ministre québécoise de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, avait demandé au gouvernement fédéral de passer à l’action dans la lutte contre les armes à feu.

Mme Guilbault a souligné mercredi que le ministère fédéral de la Sécurité publique avait été pourvu de deux ministres lors de la dernière formation du Conseil des ministres de Justin Trudeau. Dans un point de presse, à Québec, Mme Guilbault a demandé à Ottawa d’être « un partenaire incontournable dans la lutte contre cette violence ».

« On comprend tous qu’il y a eu une élection, il y a deux ministres de la Sécurité publique qui ont été nommés en plus au fédéral, a-t-elle dit. Je leur ai envoyé une lettre avec les demandes du Québec, dont une très claire en ce qui concerne la violence liée aux armes à feu. J’ai fait une demande de rencontre et j’attends une réponse. »

Mme Guilbault a souligné que le contrôle des armes à feu commençait par le blocage de leur trafic aux frontières, et que la gestion des frontières est de compétence fédérale. Le Code criminel et les peines qu’il contient dépendent également des décisions des législateurs fédéraux.

« Quand tu possèdes une arme, légalement ou non, et que tu t’en sers, il faut que la peine que tu reçois soit proportionnelle avec la gravité de l’acte et surtout, à l’origine, dissuasive, a-t-elle dit. Si je sais que je peux me servir d’une arme et que je vais avoir quelques mois [de prison] comparativement à quelques années, ça peut peut-être en dissuader certains. »

Quant aux armes de poing, Mme Guilbault croit que le fédéral doit avoir une position claire. « La fameuse question des armes de poing, il y avait eu un projet de loi pour donner ça aux Villes, et les Villes étaient contre. Nous aussi. Il faut une fois pour toutes qu’il se positionne contre ou qu’il soit clair pour qu’on bannisse les armes de poing, avec une position claire là-dessus », a affirmé la ministre.

Elle a aussi fait valoir les efforts faits par le gouvernement québécois avec l’opération Centaure, qui regroupe 55 corps policiers du Québec dans la lutte contre la violence par armes à feu.

« Nos 55 corps policiers sont là-dessus, ils échangent du renseignement, il y a plein d’affaires qui se font, mais on a besoin du renseignement fédéral, a souligné la ministre. […] Il faut que le fédéral call la shot et décide qu’on déploie des ressources de la Gendarmerie royale du Canada. »

La prochaine mise à jour économique du gouvernement québécois prévoira des fonds pour des initiatives de prévention.

Au nom du gouvernement et en son nom personnel, Mme Guilbault a présenté ses condoléances à la famille de Thomas Trudel, tué par arme à feu dimanche sur la rue Villeray, à Montréal. Elle comprend l’angoisse que cet acte suscite chez les voisins et l’ensemble de la population, compte tenu de larecrudescence de la violence à Montréal ces dernières semaines. « Depuis dimanche soir, on est tous déchirés et un peu traumatisés par cette situation qui est survenue », a-t-elle dit avant de participer à la réunion du Conseil des ministres.

Nécessité d’agir

À Washington, à la veille d’un sommet avec ses homologues américain et mexicain, le premier ministre Justin Trudeau n’a pas précisé si le contrôle des armes à la frontière serait ajouté à l’ordre du jour de ses rencontres. « On a pris les mesures aux frontières, on a pris les mesures pour éliminer les armes d’assaut, a dit M. Trudeau en point de presse. Mais on comprend qu’il y a encore beaucoup plus à faire. »

Le premier ministre a répété son engagement électoral d’interdire les armes de poing. Son nouveau ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, est chargé de ce dossier.

« Cette tragédie à Montréal nous brise le cœur, a affirmé M. Trudeau. Surtout qu’elle suit plein d’autres tragédies [qui ont démontré] qu’il faut qu’on agisse. On va, comme je l’ai promis en campagne électorale, travailler avec Québec, avec Montréal, avec tout le monde qui veut bannir les armes de poing pour s’assurer que ça se fasse. »

La députée du Bloc québécois Kristina Michaud a demandé à M. Trudeau de déployer immédiatement toutes les ressources financières et humaines nécessaires pour enrayer le trafic d’armes aux frontières. « C’est hier qu’il fallait agir, a-t-elle déclaré dans un communiqué. Justin Trudeau doit malheureusement aujourd’hui réagir. »

Brooklyn, Queens, 30 octobre 2021

Par Serge St-Arneault, M.Afr

Nous quittons notre maison de Washington dès 4h40 du matin pour nous rendre à Brooklyn, New York. La circulation automobile s’intensifie rapidement au fur et à mesure que nous rejoignons l’autoroute MD295 N qui nous conduira vers Baltimore. Ensuite, direction nord-est vers Brooklyn; là est notre destination que nous atteignons plus de quatre heures plus tard.

Mon confrère Barthélémy Bazemo connaît bien la route. Réal Doucet et moi l’accompagnons pour la première fois. Un peu avant 9h00, nous trouvons un stationnement sur la rue Pacific, bloquée pour la circonstance. En effet, la messe présidée par Mgr Nicolas DiMarzio débutera à la Co-Cathédrale Saint-Joseph à 10h00 pour souligner son jubilé d’argent d’ordination épiscopale dont dix-huit ans en tant que septième évêque de Brooklyn. Nouvellement retraité, c’est aussi le moment de dire adieu aux chrétiens de son diocèse. Son successeur sera Mgr Robert J. Brennan.

Une trentaine d’évêques, une centaine de prêtres, des dizaines de séminaristes et une foule nombreuse participent à cette grandiose liturgie télévisée grâce aux studios professionnels installés au sous-sol de l’église.

La beauté de cette co-cathédrale de style colonial espagnol, pouvant facilement accueillir 1500 fidèles, a risqué de disparaître il y a quelques années dues aux importants coûts associés à sa rénovation. Aujourd’hui, le journal diocésain « The Tablet » a élu domicile à cet endroit. Fondé en 1908, ce journal de 36 pages est également imprimé en langue espagnole.

Mais là n’était pas le but de notre visite. Nous avions rendez-vous avec nos confrères engagés en pastorale paroissiale dans un quartier populaire de Brooklyn. Les Missionnaires d’Afrique ont offert leurs services pour l’accompagnement spirituel des populations d’origine africaine ou afro-descendantes qui se concentrent dans le quartier Queens.

Nos confrères Yago Abeledo, espagnol, Gazena Haile, éthiopien et Bartholomew Mrosso, tanzanien, exercent leur ministère à la paroisse « Our Lady of Light » qui comprend deux lieux de culte; St. Pascal Baylon et St. Catherine of Sienna, éloignées l’une de l’autre d’environ deux kilomètres.

Notre Société missionnaire a pris l’engagement d’être au service des populations africaines; nous sommes les Missionnaires d’Afrique. Or, ces populations, et plus largement afro-descendantes, ont développé des communautés partout dans le monde. C’est particulièrement le cas à Brooklyn.

C’est dans ce contexte que nous avons pris contact avec Mgr Paul R. Sanchez, vicaire épiscopal de Queens et Mgr. Raymond Chappetto du diocèse de Brooklyn pour leur proposer d’établir une communauté de missionnaires. C’est le retour du balancier. Pendant des décennies, les missionnaires étaient issus des pays occidentaux. Maintenant, nous envoyons des missionnaires d’origine africaine en Europe et en Amérique. Par cela, nous exprimons l’universalité de l’Église. D’ailleurs, dès le début de la nouvelle année 2022, deux confrères africains se joindront à l’équipe du Centre Afrika à Montréal. À suivre!

Réal Doucet, provincial des Amériques, Bartholomew Mrosso, curé à Brooklyn,
et Barthélémy Bazemo, délégué du provincial aux États-Unis.
Réal Doucet, provincial des Amériques, Mgr. Raymond Chappetto, vicaire général,
et Barthélémy Bazemo, délégué du provincial aux États-Unis.

La Cour suprême des États-Unis divisée sur le port des armes hors du domicile

(Washington) Les Américains disposent-ils d’un droit absolu à sortir armés de chez eux pour assurer leur propre protection ? La question a divisé la Cour suprême des États-Unis mercredi lors d’une audience qui pourrait aboutir à une remise en cause de nombreuses régulations.

CHARLOTTE PLANTIVE, AGENCE FRANCE-PRESSE, 3 novembre 2021

Les neuf juges, dont six conservateurs, ont débattu pendant deux heures d’une loi de l’État de New York qui, depuis 1913, limite le droit de porter une arme dissimulée hors du domicile aux personnes pouvant montrer qu’elles encourent un risque spécifique.

Deux propriétaires d’armes, qui se sont vus refuser des permis, et une filiale du puissant lobby des armes National Rifle Association (NRA) demandent à la haute Cour d’invalider cette loi. « Porter une arme à feu hors de son domicile est un droit constitutionnel fondamental », a plaidé mercredi leur avocat Paul Clement.  

Il a reçu le soutien appuyé du juge conservateur Samuel Alito qui a livré un plaidoyer en faveur du droit des « gens ordinaires et honnêtes qui travaillent tard le soir », comme concierge, serveur ou infirmière, et qui n’ont pas le droit de s’armer pour assurer leur sécurité « alors que les stars, les juges et les policiers à la retraite ont un droit à l’autodéfense ».

40 000 morts par an

Dans un pays où les armes à feu font environ 40 000 morts par an, suicide inclus, les trois magistrats progressistes ont opposé les objectifs de sécurité. « Ce sont des armes dangereuses », « si vous sortez avec une arme dissimulée et que vous l’utilisez, des gens peuvent être tués », a notamment souligné le doyen Stephen Breyer.

Tout en exprimant de vives critiques sur la loi new-yorkaise, certains magistrats conservateurs ont semblé chercher une voie médiane. « Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut certaines régulations », a relevé Amy Coney Barrett, l’une des trois juges nommés par l’ex-président Donald Trump.

Les magistrats ont longuement discuté des critères qui permettraient de définir des « endroits sensibles » où les armes pourraient toujours être bannies si la loi était invalidée, mentionnant le métro, les stades de football américain ou Times Square.  

C’est la première fois en plus de dix ans que la Cour suprême rouvre ce dossier qui divise profondément l’Amérique et sa majorité conservatrice suscite l’inquiétude chez les partisans de régulations renforcées.

« Enjeux très élevés »

« Les enjeux sont très élevés », a lancé Angela Ferrell-Zabala, vice-présidente des organisations Everytown For Gun safety et Moms Demand Action, à un petit groupe de manifestants rassemblés devant la Cour avant l’audience.

La décision des juges « pourrait compliquer l’action des villes et des États pour lutter contre la crise » de la violence par armes à feu, a-t-elle ajouté, avant de céder la parole à des victimes de fusillades.

David Hogg, rescapé de la tuerie dans une école secondaire de Parkland en Floride en 2018, a imploré la Cour suprême de ne pas « faire tomber le peu de protections qui existent dans la loi ». « Nous demandons quelque chose de simple : la sécurité ! ».

La haute Cour a jusqu’à la fin juin pour rendre sa décision.

Si elle invalide la loi de New York, cela fera sans doute tomber des législations comparables en vigueur dans sept autres États, dont certains très peuplés comme la Californie ou le New Jersey, souligne Joseph Blocher, professeur de droit à l’université Duke. « 80 millions d’Américains vivent dans ces États, donc l’impact concret sera énorme », estime-t-il.  

Deuxième amendement

Au-delà, la formulation de l’arrêt sera scrutée car elle pourrait amorcer « un tournant sur la manière dont les tribunaux examinent les dossiers liés au deuxième amendement » de la Constitution, relève Eric Ruben professeur associé à la faculté de droit SMU au Texas.

Ratifié en 1791, il énonce qu’« une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ».

En 2008, pour la première fois, la Cour suprême avait jugé qu’il garantissait un droit individuel à posséder une arme à son domicile pour se défendre, sans toutefois l’étendre au port d’armes à l’extérieur.  

Au cours de la décennie suivante, les tribunaux ont généralement estimé que les restrictions locales pouvaient être justifiées par des préoccupations de sécurité, si bien que les règles sont variables d’un endroit à l’autre.

Les partisans du port d’arme demandent à la Cour de profiter du dossier new-yorkais pour « rejeter cette approche », souligne M. Ruben. Si la Cour leur donnait raison, cela « ouvrirait la porte à une série de nouvelles plaintes contre toutes les régulations existantes », dit-il.