Pensées Sapientiales

Pensées Sapientiales

Pensées Sapientiales cover

Né le 27 décembre 1980, Jean-Claude Mayeba Nkonde a grandi et terminé ses études pré-universitaires aux établissements primaires et secondaires de Kavida à Kansenia, une mission catholique de l’Archidiocèse de Lubumbashi en République Démocratique du Congo, province du Katanga. Il obtient son diplôme d’ingénieur civil métallurgiste en 2008 à l’Université Officielle de Lubumbashi, faculté de Polytechnique.

Il est engagé la même année chez Tenke Fungumure Mining, une filiale de l’entreprise internationale Freeport McMoran où il travaillera pendant quatre ans au sein du département de formation et de développement en tant que superviseur général chargé de la formation technique. Marié en novembre 2010 avec Huguette Betu, il est depuis 2012 employé de la compagnie Frontier S.P.R.L, une autre entreprise minière dans laquelle il exerce la fonction de directeur de formation et de développement.

Éditeur : Serge St-Arneault, M.Afr, 2014erge St-

Disponible sur B

Annie et Lucie, 25 ans plus tard

ISABELLE LÉGARÉ
Le Nouvelliste

(Trois-Rivières) Le soir du 6 décembre 1989, Lucie St-Arneault a appelé sa soeur Annie comme elle avait l’habitude de le faire chaque semaine. Lucie, 21 ans, venait de terminer ses études au Cégep de Trois-Rivières alors qu’Annie, 23 ans, poursuivait les siennes à l’École polytechnique, à Montréal.

«Qu’est-ce qui se passe dans ta vie?» Leurs conversations démarraient toujours avec cette question en apparence anodine. Les deux complices pouvaient y répondre en dix minutes ou, lorsqu’elles se laissaient aller à la confidence, raccrocher au bout d’une heure.

Vingt-cinq ans après la tuerie de l'École polytechnique, Lucie St-Arneault parle avec tendresse de sa soeur Annie. Elle accepte de plonger dans ses souvenirs avec l'espoir qu'on n'oublie jamais les quatorze jeunes femmes qui y ont laissé leur vie. PHOTO: STÉPHANE LESSARD
Vingt-cinq ans après la tuerie de l’École polytechnique, Lucie St-Arneault parle avec tendresse de sa soeur Annie. Elle accepte de plonger dans ses souvenirs avec l’espoir qu’on n’oublie jamais les quatorze jeunes femmes qui y ont laissé leur vie.
PHOTO: STÉPHANE LESSARD

Lucie n’a pas réussi à joindre Annie ce soir-là. Ni après. Plus jamais en fait. Depuis 25 ans, elle est condamnée au silence à perpétuité de sa soeur aînée dont la voix, le rire, les conseils et la poésie lui manquent toujours aussi cruellement.

C’est la première fois que Lucie St-Arneault accepte de parler publiquement du drame qui a frappé sa famille. Le 6 décembre 1989, sa soeur Annie était dans la classe où Marc Lépine est entré, a séparé les femmes des hommes, a déversé sa haine envers les féministes et a fait feu sur des étudiantes qui avaient l’avenir devant elles.

Originaire de La Tuque, Annie St-Arneault est au nombre des 14 victimes, toutes des femmes, de ce qui est devenu dans notre mémoire collective la tuerie de Polytechnique. Elle en était à sa quatrième et dernière année d’études en génie mécanique.

Annie est la troisième des quatre enfants de Bastien St-Arneault et de Laurette Perron, maintenant établis à Trois-Rivières. Le 6 décembre 1989, ils savaient leur fille en classe à l’heure fatidique. Pendant des heures, ses parents ont attendu désespérément son appel.

Lucie aussi. Frappée d’un sentiment d’impuissance et d’incrédulité, la plus jeune des St-Arneault était blottie dans son appartement de Trois-Rivières, les yeux rivés sur son téléviseur qui retransmettait les images d’un véritable cauchemar.

Pendant que son grand frère Sylvain faisait la tournée des hôpitaux de Montréal, à la recherche d’Annie dont tout le monde était sans nouvelle, Lucie s’accrochait à l’espoir que son aînée avait eu le temps de se mettre à l’abri. Annie allait rappliquer auprès des siens aussitôt que possible.

L’annonce de sa mort est venue durant la nuit. Le choc a été aussi violent que le geste de folie d’un homme envers 14 femmes. Vingt-cinq ans se sont écoulés, mais force est d’admettre que la douleur d’une telle déchirure ne peut jamais disparaître.

«Plus jeunes, on se ressemblait beaucoup toutes les deux. On nous confondait souvent. À l’école surtout. Je me faisais appeler Annie…», se remémore Lucie St-Arneault en retenant difficilement les larmes qui coulent à la seule évocation du prénom de sa grande soeur adorée.

Dans sa maison du secteur Pointe-du-Lac, Mme St-Arneault revient sur ce deuil avec lequel il faut apprendre à vivre malgré les cérémonies commémoratives et les reportages. D’année en année, on revient sur cette tragédie qui soulèvera toujours des pourquoi.

«C’est sûr que ça fait mal. Parfois, je voudrais qu’on arrête de m’en parler, mais en même temps, il ne faut pas oublier. Il faut continuer d’en parler. La violence faite aux femmes est encore très d’actualité», souligne-t-elle avant d’exprimer sa reconnaissance envers les gens qui ont une pensée pour les femmes qui ont laissé leur vie à Polytechnique.

Au lendemain du drame, Lucie St-Arneault admet avoir traversé une période de révolte et de repli. On ne pouvait pas comprendre sa souffrance à moins de l’avoir vécue. Cette réaction s’est adoucie avec le temps et la force tranquille de son conjoint des 25 dernières années, Daniel Viviers.

«Il a eu le temps de connaître Annie», se réjouit-elle en ajoutant que les membres de la famille St-Arneault ont toujours été très unis dans les épreuves comme dans les moments de joie.

Il arrive que durant la période des Fêtes, Lucie lève son verre à sa grande soeur. Chaque fois, l’émotion la gagne et elle devine, dans le regard embué de sa mère vieillissante, qu’il en sera probablement toujours ainsi.

«On se comprend sans se parler», dit-elle simplement.

«J’aurais aimé que ma soeur et ma fille se connaissent»

Publié le 05 décembre 2014 dans le journal Le Nouvelliste.

ISABELLE LÉGARÉ
Le Nouvelliste

(Trois-Rivières) Lucie St-Arneault s’accroche aux beautés de la vie qui se révèlent même après un drame comme celui de Polytechnique. Parmi elles, l’attachement qui réunit ses parents et ceux d’Anne-Marie Edward.

Leur amitié a pris naissance au lendemain des funérailles communes qui ont été célébrées à la basilique Notre-Dame de Montréal pour neuf des quatorze femmes assassinées.

Les St-Arneault ont été invités au chalet des Edward qui, à leur tour, ont visité leurs amis latuquois. Ensemble, ils pouvaient se consoler de la mort d’Annie et d’Anne-Marie. Ensemble, ils pouvaient essayer d’apprendre à vivre sans leur fille.

Contrairement à son père qui a exprimé le besoin de voir le film Polytechnique, Lucie s’est refusée de plonger au coeur d’une histoire fondée sur les faits réels de la tuerie.

«Je me dis souvent qu’un jour, je serai prête. Si des gens ont pris la peine de faire un film sur Polytechnique, c’est parce qu’ils ont probablement été touchés», ose croire la mère de Vincent, 17 ans, et de Roxanne, 14 ans.

L’an dernier, son fils a eu la délicatesse de l’informer qu’on allait lui présenter ce film en classe. Le garçon a demandé et obtenu la permission de sa mère qui ajoute, comme pour s’excuser d’essuyer de nouveau ses larmes: «Avec mes enfants, je suis capable de parler d’Annie sans pleurer.»

À travers le récit de leur mère, les deux adolescents ont découvert une femme dont la grandeur d’âme était impressionnante, témoigne Lucie St-Arneault avec admiration.

Inspirée par son frère Serge, missionnaire d’Afrique, la future ingénieure envisageait d’aller le rejoindre pour vivre l’expérience de l’aide humanitaire.

Au dire de sa soeur, Annie prenait naturellement la défense des laissés-pour-compte de la société. Artiste et poète, la jeune femme avait tous les talents, dont celui d’aimer et de se faire aimer.

«La petite aussi est comme ça», fait remarquer Lucie dont le visage s’illumine en parlant de sa fille Roxanne. Il lui semble qu’à travers elle se dévoile la bonté d’Annie. «Peut-être que je force ça aussi…», sourit tristement la dame avant de laisser tomber: «J’aurais tellement aimé que ma fille et ma soeur se connaissent.»

Bien avant d’être elle-même une maman, Lucie St-Arneault a ressenti un mélange de tristesse et d’empathie pour Monique Lépine, la mère du tueur.

«Il n’y a pas beaucoup de monde qui ressent de la compassion pour cette femme. Son fils s’est suicidé et a amené des gens avec lui. Ça doit être terriblement difficile pour une mère de vivre ça», se permet-elle de rappeler sans juger, comme l’aurait sans doute fait Annie.

Accepter. Pardonner… Lorsque notre grande soeur nous a été arrachée alors qu’on avait tant à lui raconter, ce sont des mots qu’on ne prononce pas sans mourir un peu aussi.

À l’instar de ses parents, Lucie St-Arneault est croyante. Ses pas la guident parfois jusqu’à l’église où, inévitablement, la prière du Notre Père est récitée. «(…) Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés…»

Vingt-cinq ans après le drame de Polytechnique, elle ne peut plus répéter cette parole comme avant, machinalement. Il lui arrive d’interrompre son appel. «J’ai beaucoup de difficulté à dire cette phrase. Souvent, je la saute… Je ne peux pas la dire si je n’y crois pas. Mais en même temps, ce n’est pas correct. Il faut que je pardonne. Il faut…», murmure celle qui a grandi, comme Annie, à poursuivre sa route en aimant son prochain.

Bouleversée et bouleversante, Lucie St-Arneault est une victime collatérale de la tragédie de Polytechnique. Le 6 décembre 1989, elle a perdu sa soeur, sa belle et grande amie. Vingt-cinq ans plus tard, il n’y a pas une journée où elle n’y pense pas.