Par Serge St-Arneault
Je n’étais pas né lorsque mon oncle Albert Perron est décédé le 15 juillet 1951 à l’âge de 27 ans et 11 mois. Ma mère m’a expliqué qu’il est mort accidentellement à Clova. Il était camionneur. Si je me rappelle bien sa triste histoire, Albert a probablement oublié d’attacher la benne basculante, communément appelé la « dompeuse », de son camion qui s’est abaissée à son insu au moment où il fixait un problème mécanique. Il est mort sur le coup.
Martin, le frère aîné d’Albert, et leur père Éritha se sont rendus à Clova pour l’identification du corps. Il faut se rappeler que les routes, à l’époque, étaient en gravier. Cela fut le cas jusqu’au tournant des années 70. Je me rappelle, enfant, de voir les nuages de poussière s’élever au passage des voitures. Il valait mieux ne pas en suivre une!

D’autant plus que ce petit hameau est situé à environ 434 km de St-Adelphe, dont 302 km entre la ville de La Tuque et Clova, par la route forestière RO-451 (25). Il est encore hasardeux d’emprunter ce chemin forestier et il faut compter de nos jours plus de huit heures de route pour s’y rendre. En 1951, le train était de toute évidence le meilleur moyen de transport pour se rendre à Clova. La gare ferroviaire a d’ailleurs été désignée patrimoniale en 1995.
Depuis plusieurs années déjà, le Canadien National (CN) a cessé ses opérations entre Hervey-Jonction et Saint-Marc-des-Carrières. Longue de 47 km, cette voie ferrée desservait le village de Saint-Adelphe où habitaient les familles de mes ancêtres Laquerre et Perron. Il en est de même pour la lignée des Veillette et St-Arneault du côté de mon père Bastien. De hautes herbes poussent désormais entre les rails et le pont qui enjambe la rivière se cache derrière une forêt de plus en plus danse, envahissant ainsi les pâturages de jadis.
Combien de jours ont-ils été nécessaires pour achever le pénible périple aller-retour entre Saint-Adelphe et Clova? Ma tante Justine, sœur d’Albert, m’a simplement expliqué qu’une grande foule attendait au quai de la gare de Saint-Adelphe, aujourd’hui démolie. Les pleurs ont jailli en voyant la « fausse tombe » en bois sortir du wagon.
Le corps du défunt a été exposé au deuxième étage d’une maison située près de l’église. L’été 1951 a été très chaud. Les membres de la famille, les voisins, les amis, se sont constamment relayés pendant trois jours pour s’assurer que quelqu’un veille le mort en tout temps. L’excès de fatigue prenait parfois le dessus au petit matin malgré les nombreuses tasses de café et la récitation fréquente du chapelet. Il arrivait alors que des éclats de rire incontrôlés rompent la pieuse atmosphère.
Pendant toute une année, la veuve, ma grand-mère, ma mère, mes tantes et autres membres de la famille ont porté des vêtements noirs. Même les boutons de la robe de la maman du défunt étaient noirs. Les six mois suivants, il leur était permis de porter du gris, du bleu marine, du brun foncé, du violet ou du blanc.
De plus, ils devaient s’abstenir d’écouter la radio par respect pour le défunt. La radio était le seul divertissement avant l’arrivée de la télévision.
Albert Perron s’était marié avec Pauline Vandal le 16 juillet 1949, soit deux ans presque jour pour jour avant l’accident. Leur fils Michel-Eritha est né le 5 mai 1950. Tante Pauline a toujours fait partie de la famille des Perron malgré son veuvage. Je lui ai souvent rendu visite en compagnie de mes parents. Elle est même venue à La Tuque avec son second mari, Armand Plamondon.
Elle vivait depuis plusieurs années dans une résidence à Saint-Tite. Or, ses funérailles ont eu lieu le mois dernier au village de Saint-Adelphe. Elle avait atteint l’âge très respectable de 96 ans.
Pandémie oblige, changement de mœurs, abandon des traditions, essoufflement des liens familiaux, tante Pauline a été enterrée très sobrement au cimetière du village. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de drame, ni de train, ni de foule, ni de veillées funéraires, ni de pleurs, ni même de rassemblement familial.
Son nom est inscrit sur la pierre tombale d’Albert qui gît là depuis 1951. En revanche, son urne a été déposée au côté de celle d’Armand Plamondon qui est, tout compte fait, le papa que Michel-Éritha a connu.
Pour reprendre un adage d’autrefois; « que les âmes des fidèles défunts reposent en paix ».
Amen!

le 16 juillet 1949 à l’église de St-Adelphe.
Rangée avant : Alice Laquerre, 49 ans, mère d’Albert, Éritha Perron, 54 ans, père d’Albert, sa petite sœur Jacqueline, 11 ans, son frère Martin, 28 ans, Albert Perron, 25 ans, Pauline Vandal, 24 ans, Gertrude Douville, belle-sœur d’Albert, 24 ans, Sylva Gauthier et Mme Gauthier, les parents adoptifs de Pauline.

situé au 761 Rang du Haut Saint-Émile, communément appelé le Rang de la Lune.