Par Serge St-Arneault, M.Afr
À vrai dire, Québec n’est pas si loin de Trois-Rivières. L’autoroute est dégagée comme en été et le trafic est modéré. Je suis en route vers la Grande Mosquée de Québec pour souligner la tuerie qui a eu lieu au même endroit en 2017. Mes pensées voguent entre ces nombreuses tragédies qui ont marqué pour toujours nos vies. Il m’apparaît très clairement que ma présence sur cette autoroute, ce déplacement, est la conséquence d’un triste événement imposé. Je regardais de nouveau la belle photo de ma soeur Annie en essayant d’imaginer ce que nous aurions vécu ensemble, en famille, si le féminicide à la Polytechnique de Montréal n’avait pas eu lieu en 1989.
Me voilà donc dans la mosquée. Je reconnais les lieux. Déjà, les journalistes pointent leurs micros vers le ministre fédéral Jean-Yves Duclos.
Puis, ma nièce Roxanne arrive avec Philippe, son amoureux, que j’ai la joie de présenter à Heidi Rathjen, coordonnatrice de PolySeSouvient. Sans trop tarder, la cérémonie commence. Nous sommes tous assis sur l’immense tapis moelleux qui couvre toute la pièce.
Un homme est assis à notre droite. Il reconnaît Heidi qui est à ma gauche. De toute évidence, ils se connaissent depuis longtemps. Étant au milieu, que faire de mieux que de m’introduire.
- Bonsoir, je m’appelle Serge. Je suis venu ici en compagnie de Heidi au nom de PolySeSouvient. Je vous présente ma nièce Roxanne et son copain Philippe. C’est la première fois qu’ils viennent ici.
- Enchanté. Je suis Bruno Marchand, maire de la ville de Québec.
Mariam et Sophie Marois, animatrices de la soirée, présentent le sens du rassemblement : La commémoration citoyenne de l’attentat à la Grande Mosquée de Québec de ce soir est un exercice de mémoire pour faire le point des sept dernières années et pour avancer ensemble.
Les animatrices invitent ensuite Édith Picard, aînée de la nation huronne-wendat de Wendake, à prendre la parole. Dans son mot de bienvenue, elle souhaite que la cérémonie soit pleine de quiétude. Ce ne sera pas tout à fait ce qui arrivera.
L’imam Mohamed Fouad récite ensuite quelques versets du Coran. Il chante en arabe. Sans être excessif, le son est amplifié dans une résonance semblable à un écho lointain, comme s’il s’agissait d’atteindre une immense foule. Pourtant, nous ne sommes qu’une centaine de personnes.
Puis, une minute de silence est respectée en mémoire de ceux qui ont perdu leur vie dans la même salle où a lieu le rassemblement : Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Aboubaker Thabti, Abdelkrim Hassane et Azzedine Soufiane.
Suite de la présentation de Mariam et Sophie Marois
Chaque vie humaine est sacrée, représentant une parcelle de l’humanité tout entière. Le deuil de chaque vie perdue est incommensurable. Mais, nous savons aussi qu’il y a des solidarités dans le deuil. Nous voulons les mettre de l’avant ce soir.
Cette solidarité qui nous accompagne depuis sept ans est une immense richesse ; avec les familles et les proches des victimes, entre les différentes confessions religieuses de la ville de Québec, avec la Nation huronne-wendat et les autres peuples autochtones des territoires voisins, avec l’École Polytechnique de Montréal, la communauté de London en Ontario, la synagogue de Pittsburgh aux États-Unis, la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande et d’autres. Nous soulignons la présence solidaire de Heidi Rathjen et Serge St-Arneault de PolySeSouvient. Merci d’être avec nous ce soir.
Boufeldja Benabdallah
Je commence à bien connaître Boufledja. Nous nous retrouvons régulièrement pour la cause du contrôle des armes à feu. Aussi, avec le Centre Canadien d’Œcuménisme dont nous sommes membres. Il a le verbe facile et il est bon communicateur. Il transmet ses convictions avec émotions comme dans un livre ouvert.
Il y a beaucoup de bienfaits dans ce monde et nous en remercions Dieu, dit-il. Mais les armes de guerre sont source de violence comme cela s’est produit dans cette mosquée. C’est important de se rappeler tout ça. Nous ne pleurons pas juste vainement. Nous pleurons pour nous rappeler ces moments importants. À travers cette tristesse qui nous a tous frappés, Dieu nous a conduits vers la joie. En effet, le lendemain de la tragédie du 29 janvier 2017, quinze mille personnes ont bravé le froid à moins de 40 degrés pour venir nous dire « nous sommes des vôtres, nous sommes avec vous, nous vous tenons ». Et la joie est née, la joie de ne pas se sentir tout seul, d’être accepté comme des citoyens à part entière.
Nous commémorons cette solidarité laïque et interconfessionnelle. Nous vivons au sein d’un peuple qui a la main sur le cœur et qui est compatissant. Nous ne l’avons jamais oublié. Nous avons, de notre côté, le devoir de mieux connaître l’histoire du Québec et de la comprendre pour devenir un partenaire à part entière. De même avec les peuples des Premières Nations. Nous avons la chance de vivre dans un magnifique pays. Nous n’oublierons jamais les appuis des autorités fédérales, provinciales et municipales. Nous n’oublions pas non plus la lutte de Heidi et de ses sœurs de PolySeSouvient qui ont lutté pendant plus de 32 ans pour faire reconnaître le féminicide de Polytechnique. Elles ont poussé jusqu’à l’adoption de la loi C-21 contre les armes de poings et les armes d’assaut. Bravo pour le travail de PolySeSouvient. Pour notre bien, elles ont donné de leur temps, gratuitement. C’est parce que nous aimons notre pays.
Je souligne la présence de Mona Abuamara, la représentante de la Palestine au Canada. On ne fait pas d’amalgame. Nous sommes solidaires de toutes les tristesses de ce monde. Nous disons qu’après ces tristesses, il nous faut des éclaircies et même des soleils pour transporter nos désirs vers des firmaments extraordinaires. Le peuple palestinien le mérite. De même que tout le Moyen-Orient. Les musulmans ne sont pas contre les Juifs. Ceux-ci forment un peuple tout comme nous. Pourquoi se déchirer entre peuples alors que notre seul désir est de bien vivre ensemble ?
Bruno Marchand, le seul politicien à avoir fait une allocution ce soir-là, à l’invitation des animatrices, doit enjamber mes deux jambes étalées sur le tapis. Je n’y peux rien, je suis incapable de m’assoir en petit bonhomme !
Existe-t-il une parole pour apaiser les cœurs, demande-t-il ? Nous ne cesserons jamais de la chercher !
Je suis convaincu qu’au-delà du mal qui ne cesse de progresser, il y a des hommes et des femmes qui s’activent. Boufeldja a eu raison de nommer Heidi qui se bat depuis des décennies pour s’assurer que ce qui se passe au sud de notre frontière ne se répète pas ici. Un combat de David contre Goliath. Ça, c’est l’action d’une femme de bien, avec Serge et avec les autres.
Un passage de l’écrivain St-Exupéry qui résume l’essentiel que nous devrions porter : « si tu diffères de moi, mon frère, ma sœur, loin de me léser, tu m’enrichis ». La Ville de Québec est riche de ses différences, de ses couleurs, riche de cette capacité à concevoir la vie différemment et continuer de vouloir développer ensemble quelque chose d’unique. Merci à chacun d’entre vous de nous enrichir.
Amira Elghawaby est alors invitée à prendre la parole. En tant que représentante spéciale pour la lutte contre l’islamophobie au Canada, elle se doit tout naturellement de faire son discours en anglais et en français. Son français d’ailleurs est très bon. Il me semble qu’une partie importante de son message prononcé en anglais n’aura aucun impact. D’ailleurs, les médias, du moins ceux que j’ai retracés, ne lui accordent aucune attention. Dommage ! Au sujet du lieu de culte de la mosquée, elle évoque ceci :
Places of worship are meant to represent sacred refuge from the stresses and harshness of the world beyond its walls, and yet, on January 29, 2017, the tranquility that was saw of this room was destroyed by hate, by Islamophobia. And now, we mark the passage of time, seven years since fear, ignorance, demonization, and violent extremism destroy the lives of so many families and shock our country to its very core. (…)
Our collective action has the power to make positive change and ensure that our rights, our freedoms are fully respected, and that we are safe everywhere and anywhere. Notre action collective a le pouvoir de véritablement changer la donne. Merci.
Traduction : Les lieux de culte sont censés représenter un refuge sacré contre le stress et la dureté du monde au-delà de ses murs, et pourtant, le 29 janvier 2017, la tranquillité qu’on y voyait a été détruite par la haine, par l’islamophobie. Et maintenant, nous marquons le passage du temps, sept ans depuis que la peur, l’ignorance, la diabolisation et l’extrémisme violent détruisent la vie de tant de familles et choquent notre pays jusqu’au cœur. (…)
Notre action collective a le pouvoir d’apporter des changements positifs et de garantir que nos droits et nos libertés soient pleinement respectés et que nous soyons en sécurité partout et en tout lieu. Notre action collective a le pouvoir de véritablement changer la donne. Merci.
Zineb Filali et Marjorie Sheyn, deux jeunes Québécoises, ont également pris la parole avec ferveur en insistant sur le respect des différences dans un monde pluraliste. Finalement, la poétesse Houmou Giro a terminé la soirée avec un poème engagé.
Qu’est-ce que les médias ont retenu de la soirée ?
Les médias, me semble-t-il, n’ont pas accordé beaucoup d’intérêt aux différents messages exprimés. Les cris d’un jeune homme proférés à l’endroit du ministre Jean-Yves Duclos ont été disproportionnellement étalés dans les médias. Cet incident a provoqué un grand malaise chez les organisateurs de la soirée. Au moins, ce n’était que des cris, pas des projectiles d’arme à feu !
Le message que je retiens
Je suis déçu que les beaux messages exprimés par les porte-paroles soient passés presque sous silence. Les tragédies bouleversent profondément nos vies. Nous nous retrouvons soudainement, malgré nous, à nous lancer sur de nouveaux et douloureux chemins. Mais, nous ne pleurons pas juste vainement. À travers cette tristesse qui nous a tous frappés, Dieu nous a conduits vers la joie. Ces paroles de Boufeldja sont prophétiques et réconfortantes. Et la joie est née, la joie de ne pas se sentir tout seul, d’être accepté comme des citoyens à part entière, ajoute-t-il.
À mes yeux, le traumatisme de l’ignoble assassinat de Jésus par les Romains reste vif dans la mémoire spirituelle des chrétiens. Une tragédie sans nom, incompréhensible. Pourtant, Jésus avait lui-même prédit que la joie emplirait les cœurs droits.
Nous sommes solidaires de toutes les tristesses de ce monde. Nous disons qu’après ces tristesses, il nous faut des éclaircies et même des soleils pour transporter nos désirs vers des firmaments extraordinaires. (Boufeldja)
Pour les chrétiens, la promesse de la résurrection est ce chemin menant vers ces éclaircies, vers ces soleils transformateurs de firmaments extraordinaires. Merci, Boufeldja, pour ton espérance radieuse, qu’Allah, ton Dieu, t’inspire au-delà du tragique. Notre combat est commun : vivre intensément le respect mutuel dans un vivre ensemble constructif. Notre vocation est commune : rendre grâce à Dieu pour tous ses bienfaits, source de joie profonde, au-delà des épreuves.
LIENS
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Pour cette seconde commémoration à l’intérieur du lieu de culte où s’est produit l’attentat, les noms des victimes ont retenti sobrement.
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