Je veux me suicider!

Voilà un début de conversation plutôt corsé. Je ne sais pas pourquoi, mais spontanément m’est revenu en mémoire les paroles de ma sœur Lucie : « Oh là! On se calme. On respire par le nez. Une fois, deux fois, trois fois… »

L’histoire du jeune homme est pathétique; problèmes familiaux, échec scolaire, ridiculisé par les filles, sans travail, sans argent, etcétéra. Que répondre à une âme malheureuse?

— Je ne vaux rien, j’ai tout raté dans ma vie.

— Chez moi, au Québec, quelqu’un comme toi, on appelle ça un trou de cul.

Qu’est-ce que je viens de dire là? Je plaisante alors que ce garçon pense au suicide. Je respire profondément par le nez, évidemment. Une fois, deux fois, trois fois. Puis, un long silence s’installe. Intérieurement, je prie pour trouver une idée, une inspiration.

— Écoute, ee! Oui! C’est ça! Je vais te raconter une histoire.

Il était une fois un puissant roi d’une contrée lointaine qui régnait sur les sujets de son royaume avec autorité, mais aussi beaucoup de sagesse. Occasionnellement, il permettait à son peuple de lui présenter leurs doléances. Or, un jour, un jeune homme vient au palais royal. Il semblait souffrir sans pour cela porter quelconques signes physiques de blessure.

— Que se passe-t-il mon fils, interrogea le roi.

Dans sa gêne, le garçon n’osait lever les yeux. Il ne comprenait pas lui-même comment il avait trouvé l’audace de venir auprès de Sa Majesté. Celui-ci avait déjà pressenti un manque d’estime de soi chez ce pauvre malheureux et l’invita à s’approcher de lui. Cela allait à l’encontre du protocole. En effet, nul ne pouvait approcher la personne du roi siégeant sur son trône royal.

— Je vais te demander un service. Acceptes-tu de rendre un service à ton roi?

— Oui, oui!, répondit machinalement le garçon.

— Voici une bague. Va au marché et vend celle-ci au plus offrant. Puis, reviens me remettre le montant d’argent que tu recevras. Allez! Va rapidement avant la fin du jour et surtout ne dit à personne que je t’y envoie.

Sans trop comprendre ce qui lui arrivait, il se mit en marche.

— J’ai une bague à vendre. Regardez ma bague. Qui veut acheter ma bague?

La foule occupée à vendre et à acheter multiples produits ne portait nullement attention au garçon. Celui-ci désespérait de plus en plus. Encore une fois, il craignait un échec. Pourquoi donc le roi lui avait-il ordonné de vendre cette bague?

— Montre-moi ta bague, lui dit un passant.

Hautain, sans même porter un regard vers le garçon pris d’angoisse, l’homme secoua la tête.

— Ha, ha! Cette bague n’a aucune valeur mon petit. As-tu trouvé ça dans une boîte de céréales? Mais, j’aurai bon cœur pour toi. Tiens! Voici un dollar pour ta bague.

— Quoi! Seulement un dollar!

Pouvait-il retourner chez le roi avec un seul dollar? Non! Cela non! Il aurait trop de honte. Le garçon repris la bague. Il préféra supporter le sarcasme plutôt que céder à cette offre.

— J’ai une bague à vendre. Regardez ma bague. Qui veut acheter ma bague?

— Elle prendra plus de valeur si tu te l’accroches au nez, lui dit un autre passant.

La moquerie ne fit que s’amplifier.

— Viens ici, lui dit une vendeuse de tabac. Je vais te donner une autre bague pour que tu puisses en faire des boucles d’oreille.

Accablé de tristesse, divagant presque, le garçon retourna au palais royal et failli même échapper la bague dans la rivière en traversant le pont qui l’enjambait. « Malheur à moi, se dit-il, si je me présente au roi sans la bague et sans argent. Il me mettra en prison pour la fin de mes jours. » Pris de panique, renfermant solidement la bague dans sa main, il se dirigea hâtivement vers le palais.

— Que Sa Majesté ait pitié, dit-il encore à bout de souffle. Voici la bague, o mon roi! Je n’ai pas su la vendre et tout le monde s’est moqué de moi.

— Approche-toi de moi, fidèle sujet du roi. Viens à ma table partager mon repas. Demain, je te confierai une autre mission.

Malgré le confort de la chambre, le garçon ne put dormir que tardivement dans la crainte imaginaire qu’un grand malheur s’abatte sur lui.

— Lève-toi, le roi veut te voir, lui dit un soldat.

Maladroitement, titubant par manque de sommeil, le garçon se présenta de nouveau du roi.

— Reprends cette bague que je t’ai confiée hier et, cette fois-ci, va chez le bijoutier qui habite sur la 5e rue. Demande-lui la valeur de la bague. Ne lui dis surtout pas qui te confie celle-ci. Ensuite, reviens ici avec la bague.

Le garçon de remit en route.

— Et petit! Ne cours pas si vite. N’est-ce pas toi qui voulais vendre une bague hier? Quand vas-tu te l’accrocher au nez?

Sans porter attention à ces nouvelles moqueries, le garçon se dirigea sans tarder vers le bijoutier. Il entra. Le bijoutier ne semblait pas pressé. De fait, en voyant un si jeune homme plutôt mal vêtu, il se demanda ce qu’il pouvait espérer de celui-ci.

— Puis-je vous être utile?

— Pouvez-vous me dire la valeur de cette bague?

Le bijoutier mit ses lunettes et commença à examiner attentivement la bague. L’attente devenait une éternité. Allait-il enfin dire quelque chose?

— Toutes mes félicitations, mon garçon! Cette bague est remarquable. Je n’en ai vu que rarement de semblable. Je t’offre 5000 dollars. Pardonne-moi si je ne peux que te remettre que 3000 dollars aujourd’hui. Je comblerai la différence demain.

Du coup, le bijoutier mit la liasse de billets de banque sur le comptoir. Le garçon n’en revenait pas. Hypnotisé par ce montant d’argent à la portée de sa main, imaginant la joie de Sa Majesté, il se rappela soudainement les paroles du roi : « reviens ici avec la bague ».

— Remettez-moi la bague, je reviendrai un autre jour.

— Prends plutôt cet argent, répondit nerveusement le bijoutier. Je te donne ma parole d’honneur que je te remettrai le deuxième versement demain.

Le garçon sorti de la bijouterie à la fois avec peur et euphorie. Il mit la bague à son doigt et retraversa le village à la hâte sans que personne ait le temps de rire de lui.

— Que Sa Majesté me prenne encore une fois en pitié. Voici la bague que le roi m’a confiée. Celle-ci est d’une grande valeur, si bien que je ne suis pas digne de la toucher.

— Approche-toi me moi, mon fils. Si ton Souverain Roi avait des sujets plus nombreux comme toi, il serait le plus heureux de la terre. Écoute-moi bien! Cette bague, C’EST TOI! Tu as beaucoup de valeur à mes yeux et jamais plus tu ne dois en douter.

Fin de l’histoire.

Mon suicidaire ouvra la bouche sans pouvoir prononcer un mot. Et moi! Je n’avais plus rien à ajouter. Je l’accompagnai jusqu’à la porte. Il se retourna et me remercia.

— Que le Seigneur te bénisse, mon ami. Quand tu auras un moment libre, tu liras le psaume 116. Adieu.

Premier voyage hors de Lusaka

Ndola, 14 février 2012

Le voyage de 321 km s’annonce un peu long mais, heureusement, la route est bonne. Je suis en compagnie de mon confrère Suisse alémanique, Karl Kälin. Nous allons en direction de Ndola situé à la frontière de la République Démocratique du Congo au cœur de la région des mines de cuivre.

Fondé en 1904 par John Chiripula Stephenson, soit six mois seulement après le passage du fameux David Livingstone, Ndola a toujours été une importante ville reliée par un chemin de fer à la capitale Lusaka, cela dès 1907. La ville administrative de Ndola a longtemps été plus importante que Lusaka avec son aéroport international. Son déclin a débuté dans les années soixante-dix avec la chute des prix du cuivre. Il semble qu’un regain d’activités économiques se pointe à l’horizon avec la construction d’un second viaduc pétrolier en direction de la Tanzanie et d’une autre raffinerie de pétrole bientôt mise en chantier par des investissements privés.

Les Missionnaires d’Afrique sont présents à Ndola depuis 1932. Servant essentiellement comme lieu de ravitaillement, la procure de Ndola a joué un rôle indispensable pour les diocèses du nord de la Zambie qui se trouvaient littéralement coupés du reste du pays par la distance et un système routier quasi inexistant. L’amélioration de ce système routier permet aujourd’hui un réel développement de cette région de la Zambie.

Les hangars situés dans la cour arrière sont maintenant vides. Quatre confrères assurent tout de même une présence qui permettra d’ici quelques années une revitalisation des lieux à l’exemple de la ville.

Le travail missionnaire, surtout dans un pays de plus en plus urbanisé, se réalise maintenant dans les quartiers de villes. Je repense à mon expérience de brousse au Congo, autrefois le Zaïre, où j’ai vécu de si belles années au cœur d’une population dispersée sur de vastes étendues.

Le Malawi avait quelque chose de cela, sauf la distance à parcourir. Mon arrivée à Lusaka me transporte dorénavant à une autre échelle de relation humaine qui ressemble étrangement à toutes les villes du monde. Je ressens une forme de nostalgie à l’idée de m’être éloigné de cet aspect poétique de la vie missionnaire vécue à l’autre bout du monde. L’internet me rapproche, ainsi en est-il de la Zambie, du reste de la planète et m’éloigne en même temps de la réalité encore bien vivante de la brousse africaine.

Les communications, à l’image des routes bitumées de la Zambie, transforment rapidement les rapports humains. Les téléphones portables se propagent dans tous les coins du pays. Cela permet au petit fermier de vendre les produits de sa récolte avec la garantie d’un service bancaire relié à son cellulaire. Les idées se propagent, pour le meilleur ou pour le pire. Chose certaine, l’Afrique est de plus en plus partenaire du mouvement planétaire. Ndola n’en est-il pas un exemple?