Cela dit, nous ne pouvons pas baisser les bras. D’autant plus que le groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes Polysesouvient mène de nouveau cette année une campagne pour demander à nos élus de renforcer le contrôle des armes au Canada.
Fraîchement arrivé à Montréal, j’ai repris contact avec Heidi Rathjen qui coordonne une conférence de presse qui se tiendra à Ottawa le jeudi 30 novembre. Heidi m’a invité à représenter les familles des victimes de la Polytechnique. J’y serai donc. Même si j’ai participé à un événement semblable en l’an 2000, ça me remue quand même profondément.
Les souvenirs remontent, un pincement du cœur réapparaît saupoudré d’une colère sourde de constater que le Canada, au lieu de maintenir bravement une politique de sécurité publique, a plutôt détruit un consensus unique au monde en faveur d’une protection contre les fusils semi-automatiques récemment légalisés dans le pays.
Bref, je vous invite à être attentif aux médias qui couvriront notre conférence de presse à Ottawa le 30 novembre prochain. J’assisterai aussi à l’illumination des 14 faisceaux en mémoire d’Elles, le mercredi 6 décembre 2017 à 17h00 sur le belvédère du Mont-Royal.
PolySeSouvient regroupe les témoins, survivants et familles des victimes de la tragédie à l’École Polytechnique qui appuient le contrôle des armes; le groupe a été mis sur pied suite aux premières menaces du gouvernement Harper en vue d’abolir l’enregistrement des armes d’épaule.
Cette mesure faisait partie de la loi adoptée en décembre 1995 pour laquelle madame Rathjen s’est battue pendant six années en tant que directrice de la Coalition pour le contrôle des armes, le mouvement pancanadien qu’elle a cofondé (avec Wendy Cukier) suite à la tuerie à Polytechnique qu’elle fréquentait alors comme étudiante. PolySeSouvient se bat actuellement contre un lobby pro-armes extrêmement bien organisé, dans le but d’assurer l’instauration d’un registre des armes d’épaule au Québec.
La trame de fond de cette œuvre1 est tout à fait d’actualité. Le premier acte met en relief les préjugés tenaces à l’endroit des missionnaires, préférablement catholiques, et de la religion chrétienne perçue comme une entité étrangère imposée à la tradition africaine.
D’ailleurs, peu de temps après mon retour au pays, j’ai rencontré un directeur de musée qui me demanda à brûle-pourpoint :
— « Avez-vous fait beaucoup de conversions en Afrique? »
Voilà une conception bien ancrée dans l’imaginaire collectif; le missionnaire conquérant qui part sauver des âmes.
— « Je n’ai fait aucune conversion que je sache, lui dis-je, si ce n’est que d’approfondir la mienne. J’ai toujours considéré ma mission comme étant celle d’accompagner avec respect et disponibilité les Africains que j’ai eu le privilège de connaître. Je n’ai jamais eu le souci de dire à qui que ce soit ce qu’il devait faire ou croire. Ce qui compte est d’établir un lien de confiance. L’essentiel est dans la manière de faire, la manière d’être. Le témoignage ‘parle’ davantage que bien des ‘mots’. »
De fait, j’ai mis beaucoup d’effort dans l’apprentissage des langues et je me suis initié aux coutumes et exploré l’histoire des peuples qui m’ont accueilli. Cela a varié considérablement selon les pays et les ethnies. Il y a autant de différences linguistiques et culturelles entre les populations africaines d’Afrique de l’Ouest que celles d’Afrique Australe qu’il peut y en avoir entre un Norvégien et un Grec même s’ils sont Européens. Néanmoins, lentement, les coutumes, de combien éloignées l’une de l’autre, trouvent des complémentarités.
Toute forme d’échange sous-tend un élément d’accueil, une forme d’importation qui est soit acceptée ou bien rejetée. Un discernement s’impose. C’est parfois bénéfique ou, au contraire, nocif. Parmi tout l’éventail d’idéologies économiques, politiques ou religieuses, le plus néfaste a été et demeure les idéologies colonialistes associées à la prolifération des armes de guerre. Les conflits armés ravagent tout sur leur passage. Je le sais pour l’avoir connu en République Démocratique du Congo dans les années 90 lorsque les militaires brûlaient les villages pour soi-disant pacifier le pays. Détruire est chose facile. Par contre, retisser les liens sociaux prend beaucoup plus de temps alors que les traumatismes perdurent.
Je me rappelle, du jour au lendemain, j’ai vu les gens se lever comme un seul homme pour aller combattre l’envahisseur. Même les grands-mamans marchaient avec une lance à la main, les enseignants, les enfants. Un spectacle incroyable. Des boissons à base d’herbes cueillies dans la brousse procuraient, selon la croyance, des propriétés d’invincibilité. En temps de crise, les réflexes ancestraux refont surface en éclipsant une foi chrétienne épidermique. Il ne faut pas se faire d’illusion; si la prédication de la foi en Jésus-Christ en terre africaine subsaharienne ne date réellement que d’environ cent cinquante ans, que dire alors des peuples européens qui ne sont pas encore « convertis » malgré 2000 ans de prêche?
Tout comme l’a dit le Cardinal Lavigerie2, c’est ma conviction que l’approfondissement du message évangélique s’établira par les peuples africains eux-mêmes. Qui peut mieux comprendre le sens des paroles de Jean Baptiste qui demande aux soldats de ne brutaliser personne, de ne pas faire de chantage et de se contenter de leur solde (Luc, 3,14) que ce catéchiste que j’ai connu à Gety au Congo qui a souvent fait face aux harcèlements des militaires? Selon Guy V. Amou, « cela explique en partie pourquoi nous nous sommes montrés réceptifs au message du Christ en dépit du traumatisme associé à notre rencontre avec ceux qui l’apportaient » (page 71).
En terme sociologique, il y a constamment un danger d’aliénation en absorbant sans nuance ou critique un processus de socialisation. Dans cette même ligne de pensée, Guy V. Amou propose d’offrir «une grille différente pour une lecture du monde » (page 70). C’est ce que mon confrère Bernhard Udelhoven a démontré dans son livre intitulé Unseen Worlds3 qui donne des pistes de réflexion sur la manière d’aborder le monde des esprits, de la sorcellerie4 et le satanisme.
Il ne s’agit pas de savoir si ces croyances sont vraies ou fausses. Là n’est pas la question. Le monde des « esprits » est une « réalité » comme l’air qu’on respire. Dans cet univers mental, ou cette vision du monde collectivement partagée par beaucoup de peuples africains, même dans la modernité, les grilles d’analyse associées à ces « réalités » sont tout aussi valables, appropriées et porteuses de sens que peuvent être les croyances ou superstitions occidentales. C’est une question de contexte culturel.
Or, les coutumes, les idéologies, de même que les textes sacrés ou religieux ainsi que les traditions ancestrales, aussi structurantes soient-elles socialement parlant, peuvent engendrer des formes d’aliénations collectives si elles ne sont pas remises en question. Il ne faut jamais oublier que toute forme de structure sociale ou mentale est d’origine humaine, fruit d’un processus d’assimilation ou d’intégration où l’éducation joue un rôle crucial. Il faut donc du courage, de la confiance en soi et la foi pour oser questionner l’ordre établi.
À ce titre, les accusations que Jésus porte contre les autorités religieuses du temple de Jérusalem l’on conduit à la mort. De dire que « le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27) signifie que les structures inhérentes à toutes les formes de socialisation sont faites pour l’avancement et la promotion des humains (libération) sans quoi, dans une mutation figée et absolue, se profile un danger d’enfermement (enfer!) ou encore d’aliénation.
Ainsi donc, il faut aussi se méfier des mécanismes de contrôle inhérents à toute forme de structure sociale, familiale, politique, économique et même (ou surtout!) religieuse. C’est là le propre des structures de radicalisation qui rejettent toutes autres formes de pensée que celles établies par les dogmatistes, les fondamentalistes, les extrémistes ou les sectaires et suprématistes de tout acabit. Selon Guy V. Amou, « la culture, où qu’elle soit, ne peut survivre en répudiant toute forme d’évolution » (page 72). Autrement, cela conduit « à la mort de l’âme ou du spirituel. »
Parallèlement, la parole de l’Évangile, au-delà du christianisme historique européen, est certes « étrangère, mais pas incompatible » (page 73), car le cœur de l’être humain est partout le même indépendamment des cultures, coutumes et rituels. Chacune de ses formes d’expression n’entrouvre qu’une facette de la fenêtre culturelle comprise dans le sens d’une expression ponctuelle ou d’une vision particulière du monde basée sur une perception limitée et incomplète.
L’attitude essentielle pour une rencontre interculturelle productive est celle de l’ouverture du cœur et l’absence de jugement. Dès mon arrivée au Congo, les gens me questionnaient à propos d’un missionnaire qui était retourné en Belgique après tout au plus une dizaine d’années. À leurs dires, il n’avait pas réalisé beaucoup d’œuvres sociales telles que des constructions (chose très répandue chez les missionnaires : écoles, dispensaires, églises, etc.), mais « il nous aimait »! Émerveillement, respect et amour sincère sont les ingrédients nécessaires pour que la rencontre des cœurs surpasse les limites culturelles. Cela permet même de s’accueillir réciproquement au-delà des différentes croyances.
LE DEUXIÈME ACTE
Le deuxième acte du livre se réfère à Saint Augustin (pages 106-107). Amou développe l’idée que « la musique affirme l’intelligence des sens.Et cette intelligence n’est rien d’autre que … le souffle divin en chaque être humain ».
Qu’en est-il alors de la richesse musicale des milliers de langues africaines? N’y a-t-il pas là aussi l’expression d’une intelligence des sens? La signification des mots, leur portée et leur évocation composent une grande richesse avec son lot de proverbes, de chants, de danses et de rituels qui ont pour source l’inspiration divine. Missionnaire au Malawi depuis 50 ans, mon ami Claude Boucher ne cesse de répéter que l’Esprit de Dieu agissait dans la vie de « nos » ancêtres bien avant l’arrivée des premiers missionnaires européens5.
Chaque peuple africain a conçu son mythe de la création; chez les Chewa d’Afrique Australe, le premier homme a été capturé dans un filet de poisson, chez les Ngoni du Malawi, il a été obligé de descendre des cieux par une corde6en punition pour avoir enfourché le taureau réservé à Dieu seul.
Ces nombreux mythes illustrent à leur façon l’ordre hiérarchique de la société, ses lois et tabous. Les noms de Dieu reflètent aussi une évocation de son mystère : il est nommé Mzimu Wamkulu = l’Esprit suprême, Chiuta ou Chauta = le Grand Arc-en-ciel, Chisumphi = le Donneur de la pluie, Leza = le Pourvoyeur, Namalenga ou Mlengi = le Créateur de l’homme et du monde.
Il n’est donc pas étonnant que la révélation du « Dieu Père » des Évangiles ait trouvé sa place dans le cœur des Africains au-delà de la dichotomie, souvent perçu comme une opposition, entre la foi ancestrale et le message apporté par les missionnaires. Essentiellement, c’est la même mélodie qui se fredonne; celle du « souffle divin en chaque être humain ».
Néanmoins, pour qu’une mélodie devienne harmonieuse, la parole, tout comme le souffle, a besoin d’un encadrement porteur de sens. Un simple son devient une parole dans la mesure où il est compris. Ce concept est minutieusement élaboré par Guy V. Amou dans le personnage de Joachim, un passionné de l’intégration des jeunes Africains au Québec par le biais de la formation de groupes d’échanges (page 123).
« L’objectif visé, dit-il, est de les ramener à définir, par eux-mêmes, ce qui, d’un point de vue culturel, les lie les uns aux autres » (page 125).
La démarche devient alors pédagogique en incluant la réalité québécoise. Une intégration réussie exige une attention « au patrimoine culturel de nos hôtes » (page 127). Quel est donc ce patrimoine?
LE TROISIÈME ACTE
La réponse se trouve dans le troisième acte. Selon l’auteur, ce patrimoine inclut l’apport indispensable des traditions autochtones (Amérindien, Métis ou Inuit7 françaises et gaéliques (page 169). Cela me semble particulièrement vrai en ce qui concerne les Amérindiens. Depuis plusieurs années, il y a en effet un éveil national dans tout le Canada pour tenter de faire réparation pour les erreurs historiques commises à leur détriment. En revanche, peu de choses sont dites de nos jours dans l’intégration des éléments culturels anglophones que nous avons assimilés comme peuple conquis il y a un peu plus de deux cent cinquante ans.
Selon Éric Bédard8, beaucoup d’historiens et d’intellectuels ont eu recours au concept de la survivance pour résumer les années qui s’écoulent de 1840 à 1950. Ce concept permet de souligner que le peuple canadien-français a tenu tête en démontrant qu’il possède une culture, un folklore et une mémoire collective. Malgré la grande pauvreté matérielle qui a sévi après la rébellion de 1837, ce peuple est parti à la conquête « des pays d’en haut9 » sous l’inspiration légendaire du curé Antoine Labelle.
Se distançant du pouvoir politique, ce peuple a aussi trouvé en l’Église Catholique un lieu où affirmer son identité et maintenir sa survie en affirmant sa foi catholique et la langue française. Cela a pris fin au tournant de 1950 qui nous a conduits à la Révolution tranquille10. L’avènement de l’identité québécoise des années 1960 a été la rupture avec la survivance. Nous n’étions plus de ceux « nés pour un petit pain11.» D’immenses chantiers ont vu le jour : nationalisation de l’électricité, réforme dans les domaines de la santé et de l’éducation, création de nouveaux leviers économique, etc.
Mais, était-ce trop tard? En effet, nos manières de penser, de manger, de travailler, d’administrer nos vies personnelles et sociales, même notre accent, sont plus proches de nos voisins anglophones que nos cousins Français. C’est à se demander si nous ne serions pas devenus, culturellement parlant, des Anglais d’expression française. Qu’à cela ne tienne, Amou met en relief l’attitude requise qu’il faut privilégier et qui consiste à « se rendre disponible aux modulations de l’univers autour de soi » (page 169). Curieusement, peut-être y a-t-il dans ces mots quelque chose de l’ordre ou du concept de la survivance? En effet, « se rendre disponible » ne veut pas dire « assimilation ».
Je ne peux m’empêcher ici de m’attarder un peu sur le traumatisme collectif vécu par les Canadiens12 suite aux défaites de 1759 et de 1837. Il faut se rappeler que l’état de guerre a prévalu pendant toute la période du régime français. Les massacres perpétrés par les Iroquois et les affrontements incessants contre les Anglais fragilisaient constamment une petite population déjà aux prises avec un taux élevé de morts causés par les noyades ou naufrages, les maladies (la petite vérole ou picote) ou par le gèle en période hivernale13.
« Soumise à une double capitulation, celle de Québec en 1759 et celle de Montréal en 1760, la Nouvelle-France y laisse ses biens, son prestige et jusqu’à son nom. (…) Dépossédés, spoliés, en partie ruinés, 60,000 habitants se retrouvent après la défaite dans un pays misérable14. »
Ensuite, de 1840 à 1870, au moment où triomphait le libéralisme économique, l’Église Catholique a agi comme un état en l’absence de l’État en prenant en charge, au nom de la charité chrétienne, les soins de santé et d’éducation pour ne nommer que ceux-là. En insistant sur la préservation de la foi et de la langue face à l’ennemi identifié comme « Anglais et protestant15», l’institution cléricale a finalement privilégié une religiosité basée sur la sacramentalité et les dévotions plutôt que l’accompagnement des croyants dans leur quête spirituelle plus intime. Bref, « il est impératif de critiquer notre passé collectif dans un Québec encore malade et souffrant de son passé religieux16. »
Le professeur Norman Cornett va dans le même sens en affirmant que « Le Québec, à cause de son histoire qui lui est spécifique en Amérique du Nord, jusqu’à la Révolution tranquille, doit faire le bilan de ce lourd passé quant à la religion (catholique). » Certes, « Au point de vue de la religion organisée, institutionnelle, dogmatique, le Québec vit une réaction à cause de ce passé pré-Révolution tranquille. Mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain? Là, il faut se poser la question. L’héritage du Québec est quand même riche et une bonne partie de cet héritage, de cette histoire, relève de la religion. Alors, prenons ce qui est bon et sachons faire la part des choses17. »
« Collectivement marqué par la religion catholique, le Québec ne pourra jamais s’expliquer sans elle. D’autre part, il n’y a pas de nécessité absolue entre ‘être québécois’ et ‘être catholique’. (…) Comment les Québécois feront-ils la paix avec leur passé religieux sans perdre l’acquis de leurs parents18? »
En d’autres mots : Comment concevoir un avenir personnel ou collectif sans tenir compte de son passé ? Au dire du professeur Norman Cornett « la langue en elle-même ne suffit pas pour garantir l’avenir du Québec. Il faut une substance culturelle. Or, dans une certaine mesure, la religion fait partie de cette substance. Il faut avoir une masse critique culturelle suffisamment affirmée pour assurer l’avenir de la société québécoise ou la nation québécoise19. »
Gilles Bibeau interprète cette observation en disant que « le Québec ne pourra survivre comme peuple à l’âge postmoderne que s’il s’appuie sur sa culture historique et que s’il reconnaît que la religion catholique se situe au cœur de cet héritage20. »
Tout récemment, j’ai trouvé des propos semblables émanant de Fatima Houda-Pepin21 publiés dans Le Journal de Montréal22 au sujet de l’épineuse question du retrait du crucifix du salon bleu du parlement. Pour elle; « Outre les Autochtones, le Québec est une nation fondée par des Canadiens français catholiques qui ont laissé leurs marques dans l’histoire, et cette histoire est aussi religieuse. L’Assemblée nationale en est dépositaire. »
Je note aussi que les deux premières lignes de notre hymne national se chantent par ces mots : Terre de nos aïeux, ton front est ceint de fleurons glorieux, car ton bras sait porter l’épée, il sait porter la croix! Ton histoire est une épopée des plus brillants exploits. Voici deux de ces fleurons glorieux :
« La conquête anglaise (de 1759) brisa d’un coup tout le rouage de l’administration civile, tout en laissant intacte la même organisation. Gouverneurs, intendants, conseillers et commandants étaient partis; les principaux seigneurs s’enfuirent à leur tour de la colonie, et ainsi le peuple, qui n’avait jamais appris à se gouverner ou à s’aider, se vit abandonné à ses propres conseils. L’anarchie s’en serait suivi sans les curés de paroisse, qui, assumant une mission de double paternité, à la fois spirituelle et temporelle, devinrent plus que jamais les seuls gardiens de l’ordre, par tout le Canada23 ».
Aussi, après la défaite de 1837, « l’Église a su user de la liberté religieuse pour construire un ensemble remarquable d’institutions fondées à la fois sur la sociabilité paroissiale et sur la dynamique d’ordre religieux en pleine expansion24 » À cela, dans une entrevue avec le sociologue Gérard Bouchard25, celui-ci aborde ce sujet sous l’angle des valeurs : « Quelles étaient les valeurs que l’Église Catholique essayait d’inculquer à ses fidèles québécois? Les valeurs de charité, d’égalité, de compassion, la solidarité. Il y a ça dans le crédo catholique. Elle a pas mal réussi de ce point de vue-là, je trouve. On est la société la plus égalitaire d’Amérique du Nord. Dans la lutte contre la pauvreté, on a fait preuve d’une efficacité extraordinaire durant les trois dernières décennies du siècle. Mais, je veux dire, collectivement, il faut être fier de ce qu’on est26. »
LA DERNIÈRE SCÈNE
Pour revenir maintenant aux personnages de David et de Céline dans le premier chapitre du roman de Guy V. Amou, ceux-ci représentent bien ces Québécois modernistes et avant-gardistes aux prises avec des questionnements identitaires. Il y a une peur à peine voilée dans les dialogues qui illustre bien celle qui s’est insérée dans notre psyché collective. La structure pyramidale du pouvoir clérical exerçant sa maîtrise bienveillante à l’image d’un dieu « tout puissant » s’apparente à une forme de mécanisme de contrôle qui caractérise les idéologies. J’ai déjà souligné cet aspect un peu plus haut. C’est là que se situe le danger d’aliénation! Peut-être y a-t-il ici l’une des raisons qui motivent les militants de la laïcité à agir pour le retrait de toutes formes de signes religieux dans l’espace public.
Dans un tel contexte, bien involontairement, la présence des migrants fait renaître chez les Québécois une peur de la religion perçue avant tout « comme une institution dont on a perdu le sens27 ». Le problème n’est donc pas chez les migrants, mais chez nous, c’est-à-dire dans notre propre perception remplie de craintes qui nous ancrent encore une fois dans un réflexe de « survivance » saupoudré de colère! Saurons-nous un jour nous « rendre disponibles aux modulations de l’univers autour de soi »? En d’autres mots, comment se faire confiance et faire confiance aux autres? C’est une question de choix. Pour contrer le danger d’aliénation, en tant qu’individu ou collectivement, nous devons faire des choix le plus consciemment possible en tenant compte de paramètres rigoureux (lois, règlements, constitutions, contrats, conventions, ententes, etc.) que ces choix présupposent. Le danger est de suivre une pensée dominante ou une idéologie sans discernement parce que « c’est comme ça28! »
ÉPILOGUE
Pourquoi l’histoire de Joachim devient-elle si tragique dans cette pièce de théâtre? Pourquoi un tel drame? La vie peut-elle être autre chose qu’une succession de tragédies personnelles et collectives? Je dis cela en référence à l’omniprésence des « esprits ancestraux » toujours aux aguets pour s’assurer que les enseignements transmis par la tradition soient observés. Au Malawi, cela s’appelle le mwambo. Cette expression englobe les rituels, les liturgies, la culture et les traditions c’est-à-dire tout ce qui empreinte le caractère identitaire des Chewa.
Selon ce concept, tout écart de conduite engendrera assurément un malheur tel qu’un accident, la maladie ou la mort. Cela a pour conséquence de générer une peur viscérale paralysante qui freine tout effort de changement au niveau familial, religieux ou encore politique.
Heureusement, la pièce théâtrale de Guy V. Amou ouvre des horizons libérateurs; certes expatrié, mais exilé, jamais! (page 165). J’ai moi-même vécu dans trois pays africains, le plus récent étant la Zambie. Essentiellement, ce que j’ai découvert semble a priori simpliste; la plupart du temps nos paroles s’évanouissent alors que nos gestes, nos regards et nos attitudes restent encrés dans les mémoires29.
C’est cela qui, me semble-t-il, m’a permis de me sentir à l’aise partout où je suis allé. Librement, je suis parti, librement je reprends contact avec mes racines québécoises après 36 ans de périple en Europe et en Afrique. Selon Guy V. Amou, cela est possible dans la mesure où nous conservons nos « attaches inusables avec nos origines » (page 165).
La liberté est un concept philosophique. De son côté, la libération voisine le pardon sincère à l’exemple de l’acteur principal de la pièce de théâtre; Joachim. Y a-t-il là un parallèle avec le drame de la mort injuste de Jésus sur la croix? En y pensant bien, c’est par ce sacrifice que l’humanité tout entière s’est délivrée de l’emprise d’un exil imposé pour revêtir l’esprit des expatriés qui endossent la réalité des choses.
« Je ne suis pas un exilé, mais seulement un expatrié » aux dires de Guy V. Amou. Cela est vrai dans la mesure où nous ne quittons pas mentalement de notre terre natale. Or, notre terre natale originelle et universelle est dans le cœur de Dieu depuis toute éternité. Un jour viendra où nous intégrerons définitivement nos origines d’enfants de Dieu sous un « ciel et une terre nouvelle (Ap. 21-22) ».
Là aboutira notre finitude!
(1) Guy V. Amou, Je ne suis pas un exilé, Théâtre, Les Éditions Grenier, 2017, 172 pages. Pièce de théâtre pour souligner les 25 années d’existence du Centre Afrika de Montréal en 2014.
(2) Évêque d’Alger et fondateur de la Société des Missionnaires d’Afrique en 1868.
(5) Selon le Pape François, il faut prendre en compte l’apport que les différents peuples et les différentes cultures « offrent au chemin du Peuple de Dieu ». Source : La Croix (sur Radio Vatican), 29 septembre 2017.
(6) Tableau réalisé par Claude Boucher, M.Afr, directeur du musée Kungoni à Mua, Malawi.
(7) Au Québec, on parle plus souvent des Amérindien, Métis ou Inuit.
(8) Éric Bédard, Survivance. Histoire et mémoire du XIXe siècle canadien-français, Boréal, 2017.
(9) Politique pour développer les chemins de fer et peupler le nord de la province de Québec.
(10) Certains chercheurs renvoient à un article du Globe and Mail ou du Montreal Star dans lequel serait apparue pour la première fois l’expression anglaise de « quiet revolution ». Cependant, personne n’est en mesure d’en donner la source exacte. Source : Jean-Philippe Warren – Professeur à l’Université Concordia, Le Devoir, 4 avril 2016.
(11) C’est une expression québécoise dont la définition exprime une certaine résignation face à un destin miséreux. Être né pour un petit pain signifie être né pour vivre pauvrement.
(12) Avant de promouvoir l’identité québécoise, nous étions des Canadiens français. Mais, à l’origine, nous étions les Canadiens.
(13) Tanguay, Cyprien, prêtre, À travers les registres, notes, Librairie Saint-Joseph, Cadieux et Derome, Montréal, 1886.
(14) Benoît Lacroix, La foi de ma mère, la religion de mon père, Bellarmin, 2002, page 19.
(15) Dans mon enfance, on disait souvent : « On va les avoir, les anglais! » comme pour affirmer notre désir semi-conscient de prendre collectivement notre revanche un jour.
(16) Propos recueilli du professeur Gilles Bibeau lors d’une conférence sur les enjeux de la diversité religieuse des migrants. Conférence organisée par l’Association canadienne pour la santé mentale au Centre Saint-Pierre le 3 septembre 2017.
(17) Entrevue sur YouTube (2013) : Pr. Norman Cornett en entrevue à La Chemise – Quelle place pour la spiritualité au Québec?
(18) Benoît Lacroix, La foi de ma mère, la religion de mon père, Bellarmin, 2002, page 30.
(19) Entrevue sur YouTube (2013) : Pr. Norman Cornett en entrevue à La Chemise – Symboles religieux au Québec: sacrés ou culturels?
(20) Correspondance privée.
(21) Fatima Houda-Pepin est une femme politique et une politologue québécoise. Elle était la députée de la circonscription de La Pinière à l’Assemblée nationale du Québec entre 1994 et 2014.
(22) Pour en finir avec le crucifix à l’Assemblée nationale, dans Le Journal de Montréal, 24 octobre 2017, page 26.
(23) Cyprien Tanguay : « L’accroissement continu et régulier de la population canadienne, provenait de l’excellente organisation qui existait parmi elle, et, cette organisation n’était autre que celle établie par le clergé canadien, le seul corps de l’État qui n’avait pas abandonné son poste à la suite de la conquête. Ce fait, si remarquable, a été hautement reconnu par un historien distingué, mais dont l’impartialité ne saurait être suspectée. Nous voulons parler de M. Francis Parkman, qui, à la fin de son The Old Regime in Canada, fait la remarque suivante : “The English conquest shattered the whole apparatus of civil administration at a blow, but it left her untouched. Governors, intendants, councils and commandants, all were gone; the principal seigniors fled the colony; and a people who had never learned to control themselves or help themselves, were suddenly left to their own advice. Confusion if not anarchy, would have followed, but for the parish priests, who in a character of double paternity, half spiritual and half temporal, became more than ever the guardians of order throughout Canada.” (The Old Regime in Canada, by Francis Parkman, p. 400; Boston: Little, Brown & Co. 1874). »
(24) Éric Bédard (2017) citant Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre. Crime et pauvreté au XIXe siècle québécois, Montréal, VLB, 2004, p. 237.
(25) Émission ‘Second Regard’ avec l’animateur Alain Crevier sur ICI Radio-Canada télé. Entrevue avec Gérard Bouchard, Raison et déraison du mythe, dimanche 26 avril 2015.
(26) Discours du père Serge St-Arneault lors de l’inauguration de la bibliothèque « Annie St-Arneault » (2015). Site internet « Espace Perso de Serge ». Également publié dans La Missive, Bulletin de l’Association des descendants de Paul Bertrand dit Saint-Arnaud (ADBStar), volume 10, numéro 1, Hiver-Printemps 2016.
(27) Propos recueilli du professeur Gilles Bibeau.
(28) Lorsque j’étais plus jeune, et c’est peut-être encore le cas, on disait des gens qu’ils « suivaient comme des moutons ». Cela laisse entendre qu’on fait comme tout le monde sans trop savoir pourquoi. Là réside le risque d’aliénation.
(29) « Je vous ai écouté l’autre jour à la messe au village de … », me suis-je fait dire plusieurs fois. « C’était bon! ». « Ah oui! Et qu’avez-vous retenu de mon sermon? » « Je ne m’en souvent plus, mais c’était bon! » Les sourires m’indiquent qu’il est resté une saveur de bonheur. Et c’est ce qui compte!
Texte rédigé par Serge St-Arneault, M.Afr, directeur du Centre Afrika, dans le cadre du lancement du livre ‘Je ne suis pas un exilé’, lecture publique accompagnée de chants du monde a cappella, 29 novembre 2017 à l’Écomusée du fier monde, Montréal.
Je savais que le petit Serge devait subir une autre opération pour son œil dimanche dernier. Mes tentatives pour rejoindre Robert Kalindiza, son papa, ont échoué. Or, je reçois aujourd’hui un courriel m’annonçant que l’opération n’a pas eu lieu. Les médecins craignent qu’une telle intervention chirurgicale ait des conséquences néfastes bien que la première opération ait été réussie.
Aux dires de Robert, il semble que ce problème difficilement détectable soit relié au cerveau. Les médecins américains qui ont étudié son cas vont poursuivre leur investigation en présentant ce cas à des collègues aux États-Unis. Ils ont insisté pour que les parents gardent espoir en se confiant à Dieu. Ceci dit, même là-bas, une telle opération s’avère très difficile.
Les parents sont découragés après tant d’effort déployé depuis janvier dernier. Le petit Serge ne comprend pas très bien ce qui se passe même si les parents essaient de le lui expliquer. Encore heureux que l’enfant soit encore vivant.
Les parents demandent pardon à tous les bienfaiteurs qui les ont soutenus par leur prière et financièrement. Ils ont fait de leur mieux. Aussi, d’autres besoins sont à combler; réparation de la voiture, frais de logement et frais scolaires pour le petit Serge et son plus petit frère Lorent.
Je peux vous certifier que l’argent envoyé à cette famille a été proprement utilisé. Merci à vous tous qui avez manifesté tant d’intérêt pour celle-ci. En ce qui me concerne, je n’ai plus grand-chose dans mes poches pour les aider. Je sollicite une nouvelle fois votre générosité. La demande du papa est de $700 US. Vous pouvez communiquer avec ma petite maman ou me rejoindre par courriel.
Au bas, vous trouverez le message de Robert Kalindiza tel que je l’ai reçu. Il y a aussi quelques photos, plutôt de mauvaise qualité, qui accompagnent la petite vidéo.
“The doctors failed to come up with a solution. They said the case is complicated and that they cannot dare repairing him for fear of lifetime disturbance.”
After all the effort we made since January, all the scans and diagnosis and the surgery that my son underwent, American doctors have ruled out that he should not go through any type of surgery. And they said we are lucky that the first surgery was successful but the case of Serge is complicated. The problem starts in the brain but it was very difficult to identify it. But the equipment that they brought from America revealed all the problems.
They said they will take his case to the USA for consultation and we should live with hope that one day things will be better. In God we should trust.
They even told us that even in America it will be very difficult to fix the kind of the problem.
We are discouraged. Serge is innocent. He does not know what is going on. He has gone through difficult situations. Thank God he survived. This time we tried to prepare his mind for the surgery but.
Sorry for all the effort that you have made with your family and friends to put back the life of my son back to normal, but it’s beyond our control.
My phone is failing to upload some photos that I took at the hospital, showing different doctors coming in turn to see Serge but all did not work.
But still may God continue to bless you. We are who we are because of you. Please do not turn your face away from us. We will not survive without you.
Please help us (700 dollars US). We are in dare need of it. We need to repair the car, rent and soon the children (Serge and Lorent) are opening school and we need to help them. Soon the better as per your wish.
See above all the photos of his brain and Doctors who tried their best to help Serge.
La messe dominicale cadrait bien avec notre prière pour papa Bastien. Nous venons tous de ce coin de pays. C’est comme une grande famille où l’esprit de nos ancêtres habite encore nos cœurs. Nous nous sommes souvenus des Perron, des Veillette et des Laquerre pour ne nommer que ceux-là.
La liturgie de ce dimanche nous invitait à saisir la main de Jésus qui est venu au secours de l’apôtre Pierre qui s’enfonçait dans l’eau. Nous lui avons demandé de saisir nos mains lorsque les tempêtes de la vie ébranlent notre foi.
Dans mon homélie, j’ai brièvement parlé de mon périple missionnaire en Afrique qui a débuté en 1981. De mes 30 dernières années, j’en ai vécu 25 en Afrique; en République Démocratique du Congo (autrefois le Zaïre), le Malawi et la Zambie. Si je devais résumer mon expérience, je dirais simplement qu’au-delà de nos différences culturelles, linguistiques et sociales, le cœur humain est identique partout.
Ce que j’ai appris de plus précieux de mes frères et sœurs africains c’est avant tout de mettre ma confiance en Dieu. Les défis sociaux en Afrique sont immenses, mais j’ai très souvent été en admiration devant la résilience, le courage et la ténacité des Africains.
Mais le temps est venu de revenir au Canada et de reprendre contact avec ma terre natale. Librement, j’ai répondu à l’appel de Dieu de devenir missionnaire en Afrique, librement je reviens pour en témoigner.
Plus d’une fois, j’ai été mis à l’épreuve dans mes capacités d’adaptation, mais je n’ai jamais perdu confiance. Avant tout, ici comme ailleurs, ce qui compte est de saisir la main tendue de Jésus. En réfléchissant, je réalise que cet esprit de confiance est l’héritage que nous avons reçu de notre papa Bastien. Nous pouvions toujours avoir confiance en lui. Il l’a prouvé dans son milieu de travail à l’usine de papier, dans ses engagements au sein du syndicat des travailleurs, de ses activités récréatives ou chrétiennes tel que le bénévolat. Papa Bastien était un homme de foi. Il avait peu de mots pour l’exprimer. Tout était dans son agir, son témoignage.
A sa manière, papa Bastien, un peu comme Jésus, a tendu la main à beaucoup de monde; une main solide, une grosse main pleine de tendresse, une main qui n’a jamais frappé, qui n’a jamais fermé le poing.
Les dernières années de la vie de papa Bastien ont été physiquement très pénibles. Il a beaucoup souffert, surtout les tout derniers jours de sa vie. C’est notre espérance qu’il repose maintenant dans les mains de Dieu. Dans son cas, le vent tumultueux de la vie est définitivement tombé.
Au côté de l’urne funéraire se trouvaient deux roses rouges; une pour papa Bastien et une deuxième pour Annie. Cette urne a trouvé place tout juste à côté de celle d’Annie devant la pierre tombale. Elle y est depuis presque 27 ans.
Pour nous qui sommes encore vivants sur cette terre, nous gardons confiance. Dans nos cœurs, il n’y a pas d’ouragan de doutes, de tremblements de terre effroyables ou encore de feu douloureux. Ces manifestations terrifiantes de la nature où le peuple hébreu espérait ‘rencontrer’ Dieu ont fait place au ‘murmure d’une brise légère’ (1er Roi, 19). Dans l’Évangile (Mt, 14,22-33), il est dit que les disciples étaient bouleversés, ils avaient peur et se mirent à crier. Et bien! S’il reste un relent de doute en nous, Jésus nous adresse ces mots: « Confiance! C’est moi : n’ayez pas peur! »
Merci, papa Bastien, d’avoir eu confiance en nous! Il y a beaucoup d’amour dans la confiance.
Nouvellement arrivé à Montréal, je me sens à la fois heureux et curieux. Je suis en effet content de revenir au Canada après un périple africain qui a commencé en 1981. Celui-ci a débuté en République Démocratique du Congo pour se terminer en Zambie en passant par le Malawi.
Depuis mon ordination comme prêtre missionnaire en juin 1987, j’ai vécu 25 de ces 30 dernières années sur le continent africain. Je suis également curieux de découvrir ce qui m’attend au Centre Afrika et j’ai le goût d’avoir du ‘fun’.
Ayant grandi dans une petite ville, celle de La Tuque, située le long de la rivière Saint-Maurice, Montréal m’apparaît immense. Ne pourrait-on pas dire la même chose du continent africain? Pour moi, ce sont nos lieux de rencontre et d’échange qui comptent avant tout. Nul n’a besoin de tout connaître alors que nos partages enrichissent notre commune humanité.
C’est dans cet esprit que je veux orienter mon ministère comme directeur du Centre Afrika. J’ai hâte de vous connaître. PèreSerge St-Arneault, M.Afr, Directeur du Centre Afrika.
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Centre Afrika 1644 rue St-Hubert, Montréal (Québec) H2L 3Z3 tél. (514) 843-4019 / fax 514 849-4232 centreafrika@centreafrika.com www.centreafrika.com Notre bureau est ouvert du lundi au vendredi de 9h00 à 17h00
Plusieurs personnes m’ont demandé de vous parler ‘de ce que j’ai fait’ pendant ma vie missionnaire. Ma présentation se divisera en trois étapes; le Zaïre/Congo, le Malawi et la Zambie.
Le Zaïre/Congo
J’avais 26 ans lorsque je suis arrivé au Zaïre, plus précisément à Bukavu, ville frontalière avec le Rwanda. Ce fut ma première expérience en sol africain et mon premier choc culturel. Mes trois premiers mois m’ont permis de m’initier à la langue kiswahili. De là, je suis allé vivre à Mongbwalu situé dans la zone minière de Kilo-Moto au nord de Bunia. J’y suis resté deux ans pour compléter mon stage pastoral.
De retour à La Tuque en juin 1983, je me suis retrouvé à l’hôpital avec une grave hépatite de type A qui m’a obligé à interrompre ma formation pour deux ans. Après un bref séjour infructueux à Londres et six mois de convalescence à Toronto, j’ai poursuivi mes études en anthropologie en Angleterre. J’ai obtenu mon diplôme au mois de mai 1987 et j’ai été ordonné prêtre le 28 juin suivant à La Tuque par Mgr. Martin Veillette.
Je suis donc retourné au Zaïre et vivre au milieu du peuple Indru, plus précisément à Géty. Difficile d’accès et isolé, ce pays montagneux est par contre splendide et la nature verdoyante toute l’année. Je peux le dire sans hésiter que ce furent mes plus belles années de vie missionnaire. Nous visions dans des conditions modestes, mais tout compte fait confortables.
Par contre, il m’arrivait souvent de dormir sur la paille dans les villages que je visitais. Nous restions quatre jours en tournée pastorale toutes les deux semaines, du jeudi au dimanche. Les routes étaient souvent très vaseuses, surtout en saison des pluies. Nous marchions souvent plusieurs heures par monts et vallées pour atteindre les villages éloignés avec l’aide de porteurs.
Bref, je me suis retrouvé aumônier de sept écoles primaires et de toutes les chorales composées majoritairement d’adolescents et de jeunes adultes. Comme nous avions au-delà d’une centaine de chapelles, avec en moyenne une quinzaine de membres par chorale, cela représentait autour de 2000 chantres. À eux seuls, ils prenaient parfois la moitié de l’espace disponible dans les églises de brousse. Lorsque la température le permettait, la prière avait lieu à l’extérieur.
Un jour, nous avons reçu l’autorisation du gouvernement de construire une école secondaire sans pour cela obtenir de subvention. Nous n’avions aucun donc budget, pas outils et aucune d’expérience. On a tout de même trouvé quelques travailleurs qui s’y connaissaient un brin en construction. J’ai alors tracé un plan sur une feuille de papier et choisi le site selon l’avis des gens.
Puis, des tranchées ont été creusées pour y élever les fondations. Il n’y avait pas d’ordinateur à l’époque et je ne disposais que de $3000. Cela correspondait aux prix de 30 machines à écrire que j’ai immédiatement commandées, car il s’agissait d’une école de type ‘commercial’. Providentiellement, sans le demander, les Missionnaires d’Afrique au Canada m’ont crédité de $3000 pour soutenir mon projet. C’est comme ça que l’aventure a commencé. Avec un compte bancaire frôlant constamment le zéro, les dons d’argent se sont poursuivis ainsi pendant cinq ans.
Lentement, nous avons acquis de l’expérience. Le sable pour faire les blocs de ciment était extrait de la rivière et les pierres d’une colline avoisinante. On transportait de l’eau avec des dizaines de jerricanes de 20 litres. On devait néanmoins acheter des sacs de ciment à Bunia au prix de $25.00 l’unité. Puis, est arrivée la tragédie de la Polytechnique le 6 décembre 1989. À l’époque, il n’y avait pour ainsi dire aucun moyen de communication avec le monde extérieur. La nouvelle m’a été confirmée une semaine plus tard. Il m’a fallu une autre semaine pour revenir au Canada.
Quelques mois plus tard, papa Bastien m’a remis une partie de la police d’assurance-vie d’Annie. Les Latuquois ont aussi été très généreux. Les gens m’arrêtaient dans les rues pour m’offrir un don. À certains comptoirs de magasin, on me laissait sortir sans payer. Certains ont même discrètement inséré de l’argent dans mes poches pendant que je faisais la queue à la caisse Desjardins pour faire des dépôts bancaires. C’est ainsi que je suis retourné en Afrique avec $10,000. Nous avons alors repris les travaux de construction.
Un autre jour, assis à l’intérieur des murs que nous venions d’élever pour une classe, je regardais de larges oiseaux tournoyer au-dessus de ma tête. Je me suis demandé comment nous allions faire pour exécuter les travaux. Sitôt un peu d’agents encaissés, tout était dépensé. Pourtant, nous n’avons pratiquement jamais arrêté. Cinq ans plus tard, l’école secondaire Abaka, qui signifie ‘père’, comptait sept classes, un bureau pour le préfet, un autre pour les enseignants et huit réservoirs d’eau de pluie protégés par un toit pour les besoins de l’école.
J’ai minutieusement pris note des dépenses. Par contre, j’ai été incapable de retracer avec précision la provenance de tous les fonds. Beaucoup d’argent, je le sais, m’a été donné grâce aux activités scolaires des écoles de La Tuque (lire l’article de journal plus bas). Montant final : $95,000. Un vrai petit miracle. Cette école est la fierté du peuple Indru. L’enseignement n’a jamais cessé même pendant les années de guerre au début des années 2000. En quittant Géty, j’avais dédié l’école Abaka à ma sœur Annie qui veille encore sur celle-ci.
Parlant de troubles sociaux, le Zaïre a connu une descente aux enfers dès le début des années 1990. Rapidement, le pays s’est embrasé. Les pillages dans les villes s’étendaient partout et le chaos politique a fait en sorte que les institutions gouvernementales se sont effondrées. À un certain moment, il n’y avait même plus de papier monnaie en circulation. Puis, la guerre au Rwanda en 1993 a eu ses répercussions jusqu’à Géty où nous vivions.
Sans le vouloir, nous nous sommes retrouvés à agir en tant que médiateurs entre les tribus en conflit. Il nous arrivait souvent d’organiser des convois avec quelques véhicules pour sauver la vie des gens en péril. Nous avons nous-mêmes été menacés par les commandos militaires venus soi-disant ‘pacifier’ le pays en brûlant les villages. Malgré le danger réel, je me sentais à ma place, au bon endroit.
Un autre jour encore, j’ai pris part aux rituels entourant le décès du chef coutumier Katanga. Les masadu, gardiens des traditions et omnipuissants, m’ont accepté et même encouragé à participer à leurs danses guerrières. Une longue histoire! Bref, le jour de mon départ en février 1996, un grand rassemblement a été organisé en mon honneur; un banquet, des cadeaux, des discours et des chants. Une journée grande en émotion dont l’apothéose a été pour moi les paroles d’une vieille maman qui m’a dit en kiswahili : « Mon père, il n’y a qu’une seule chose qui vous manque; la couleur de la peau! »
Le Malawi.
J’ai ensuite séjourné deux ans dans la région de Québec pour l’animation missionnaire et deux autres années à Montréal. J’étais prêt à retourner au Zaïre au tournant du millénaire. Entre temps, suite à l’instauration d’un nouveau régime politique, le Zaïre était redevenu la République Démocratique du Congo comme cela était au début de l’indépendance en 1960. Malheureusement, les rivalités ethniques se poursuivaient. Tout avait profondément changé pendant mes quatre années d’absence. C’est ainsi que mes Supérieurs m’ont proposé d’aller au Malawi. J’ai accepté en songeant qu’à mon âge, 45 ans, il m’était possible de recommencer une nouvelle aventure missionnaire. Mon adaptation s’est avérée beaucoup plus difficultés que je ne l’entrevoyais.
La langue chichewa n’est pas aussi facile que le kiswahili. Il m’a fallu beaucoup d’effort pour m’ajuster à la mentalité des Chewa. Elle est pour ainsi dire diamétralement opposée à celle des Indru. Alors que ces derniers forment un peuple de guerriers, mais solidaire, la société Chewa en est une d’évitement conflictuel. Cela s’explique par l’histoire des invasions successives qui ont profondément traumatisé cette tribu à commencer par les Ngoni venant d’Afrique du Sud, la colonisation anglaise et la dictature du premier Président du Malawi; Kamuzu Banda.
C’est dans ce contexte historique que la culture « Gulé Wamkulu » est née. Il s’agit d’une société secrète liée à l’omniprésence des « esprits ». J’y ai découvert un univers culturel totalement différent de celui du Congo. Seuls les initiés peuvent comprendre le sens des danses, des chants et des symboles utilisés dans les rituels. Les « Gulé Wamkulu » sont des « personnages » masqués, mais perçus comme étant des « esprits »; généralement associé aux esprits des ancêtres, bons ou mauvais. Ces derniers sont appelés des « ziwanda », c’est-à-dire des « esprits maléfiques » coutumièrement associés aux sorciers.
J’ai tout de même eu la chance d’être initié bien que je sois un prêtre missionnaire ‘blanc’. Cela m’a permis non seulement de mieux saisir (je ne dis pas comprendre) l’univers mental et la manière de voir la réalité du monde selon la vision Chewa. Mon séjour à Mua pendant six ans a été à cet égard une opportunité extraordinaire de m’approcher des gens, de leur identité profonde.
Puis, je me suis retrouvé à la paroisse de Chézi située entre la capitale Lilongwe et le lac Malawi. Les « Gulé Wamkulu » sont également présents dans cette région montagneuse. J’ai participé à quelques reprises à leurs cérémonies. Grâce à un ami du nom de Chiponda (un pasteur pentecôtiste autoproclamé), j’ai établi une relation de cordialité avec les chefs coutumiers. Ma présence leur était devenue normale.
Sachant mon départ imminent, les chefs se sont réunis et, d’un commun accord’, j’ai reçu l’initiation pour devenir moi-même « chef ». Entendons-nous qu’il s’agissait d’un geste symbolique et honorifique. Néanmoins, je porte désormais le titre de Mfumu Chimphopo, c’est-à-dire ‘chef Chimphopo’ bien que je préfère conserver le nom que j’ai reçu à Mua, celui de Mbéwé qui est associé à l’un des nombreux clans des Chewa.
La Zambie.
Dernière étape; la Zambie. Les membres du conseil provincial de la Province d’Afrique Australe des Missionnaires d’Afrique comprenant le Malawi, le Mozambique, l’Afrique du Sud et la Zambie, m’ont demandé de devenir le secrétaire provincial de cette partie de l’Afrique. J’ai débuté dans la première moitié de 2012. Mon rôle consistait à mettre à jour les dossiers du secrétariat, de rédiger les rapports de réunions et de développer les communications entre la centaine de confrères que compose la Province communément appelée la SAP (Southern Africa Province). Tout compte fait, j’ai vécu pendant une vingtaine d’années dans un environnement anglophone.
Parallèlement, je suis devenu l’aumônier de la communauté catholique francophone de Lusaka. Celle-ci se rassemble chaque premier dimanche du mois pour la messe en français.
Un peu par hasard, je me suis aussi retrouvé à accompagner un groupe de trois femmes, célibataires ou veuves, pour les soutenir à mettre sur pied leur propre compagnie. L’idée est de mettre en commun leurs ressources et talents pour créer une entreprise qui pourvoira à leurs besoins.
La compagnie « Colour of Love » (la couleur de l’amour) est une petite entreprise de traiteurs offrant des services de décoration et repas. Elles ont défini elles-mêmes la structure et élaboré la constitution selon les recommandations du département des registres nationaux de la Zambie. Elles ont ouvert un compte bancaire au nom de la compagnie et elles progressent lentement avec la consolidation de celle-ci. Les défis sont très nombreux et le but à atteindre l’autosuffisance semble encore lointain. Malgré tout, l’ardeur et la foi sont au rendez-vous.
D’où vient le nom de « Colour of Love » ? Un autre hasard a voulu que j’accompagne le curé de la paroisse Jésuite de Lusaka à une assemblée de prière organisée par les différentes Églises à laquelle étaient invités tous les partis politiques du pays ainsi que les autorités ecclésiales de toutes catégories sans oublier les militaires hauts-gradés.
Le rassemblement a eu lieu dans un stade situé en plein cœur de la capitale. La télévision nationale transmettait cet événement en direct. Le but était de prier Dieu pour la réussite d’élections générales libres et transparentes et surtout sans violence. De fait, les élections générales ont bel et bien eu lieu, mais la violence politique a terni ces élections chaudement contestées.
Bref, le prêtre que j’accompagnais a reçu un texto sur son cellulaire lui disant qu’un autre prêtre qui devait lire une prière était dans l’impossibilité d’être présent. Qui donc pensez-vous l’a remplacé? Il me restait à peine quelques minutes pour griffonner quelques idées sur l’endos d’une feuille déjà utilisée. J’ai emprunté un stylo d’un Pasteur assis à mes côtés et une bible d’une Pasteure assise de l’autre côté. J’étais entouré d’une panoplie d’Évêques ‘protestants’, de ‘Prophètes’ et d‘Apôtres’ aussi bien féminins que masculins. Les Alléluias pleuvaient à profusion. Ma mission était de prier pour les forces de l’ordre; les militaires et les policiers.
Que dois-je retenir cet épisode? Je dois tout d’abord vous mettre dans le contexte. Depuis son indépendance en 1964, la Zambie, sous le leadership de son premier Président Kenneth Kaunda, a pour moto : ‘One Zambia, one Nation’. L’idée est de développer une appartenance nationale dans la diversité culturelle et tribale qui caractérise le pays. Comme j’étais l’un des rares ‘Blancs’ présents je jour-là, faisant mémoire de mon expérience au Congo et des paroles de cette vieille maman, j’ai alors ajouté au slogan la notion de couleur; « One Zambia, one Nation, one Colour. The Colour of Love! »
En ce jour de mon 30e anniversaire d’ordination, je nous souhaite également de vivre la couleur de l’amour. Mettons-y la couleur que nous voulons; la joie, la tendresse, l’écoute, le respect. Ce qui compte, c’est la conviction que nous formons une seule famille en étant enfants de Dieu de toutes races et couleurs; Congolais, Malawiens, Zambiens, Canadiens.
Je vous remercie tous, plus particulièrement ma famille proche et mes amis/es, pour le soutien spirituel et pécuniaire que vous m’avez offert tout au long de ces trente années écoulées. Le sacrifice de l’éloignement a été mutuel. Heureusement, l’amour est le plus fort.
Que le Seigneur Jésus vous bénisse! Alléluia! Amen!
Le problème visuel du petit-Serge s’est avéré très compliqué et a nécessité plusieurs séances d’examen. L’opération elle-même a duré trois heures. Le prolongement de l’anesthésie après celle-ci a mis à rude épreuve la patience des parents.
Cette saga a débuté au mois de janvier. Non seulement les examens médicaux ont été nombreux mais les dates de l’opération ont été repoussées plusieurs fois. Heureusement, les parents ont trouvé le courage et la force de persévérer sachant que beaucoup d’amis du Canada priaient pour eux. Ils sont aussi très reconnaissants de l’aide financière qu’ils ont reçue. Sans elle, rien n’aurait été possible.
Quelques précisions sur la famille : la maman s’appelle Donata et est âgée de 29 ans, Robert Kalindiza, le papa, a 37 ans. Finalement, le deuxième garçon a 3 ans alors que le petit-Serge aura 7 ans au mois d’octobre.
Au nom de la famille Kalindiza, je vous remercie du fond du cœur pour votre soutien moral et monétaire. Les cas semblables se chiffrent par millions. Nous nous sommes mobilisés autour d’un seul, celui du petit-Serge que nous avons appris à connaître et à aimer. Encore une fois, merci.
Par Serge St-Arneault, M.Afr, directeur du centre Afrika, Montréal.
J’ai eu le privilège de prendre part à une ordination sacerdotale de 14 nouveaux prêtres le 27 mai 2017. Parmi eux se trouvaient des jésuites, des capucins et des prêtres diocésains. Deux mille chrétiens s’étaient rassemblés dans la cathédrale de l’Enfant-Jésus à Lusaka. La liturgie fut remplie de vibrations joyeuses, en particulier lors de la présentation de ces ‘beaux hommes’ comme l’exprimait l’un des orateurs.
Cela s’est produit la veille de mon départ définitif de la Zambie. J’ai repris l’avion le mercredi suivant pour arriver à Montréal le jeudi vers midi bien loin de l’Afrique où j’y ai vécu 25 de mes 30 dernières années.
Je me suis rendu chez ma mère qui habite Trois-Rivières après quelques jours de repos à notre maison sur la rue Saint-Hubert. C’est là que j’assumerai mes prochaines responsabilités en tant que directeur du centre Afrika. Même en vacance, je tenais à revenir à Montréal pour assister à l’ordination d’un Camerounais qui est incardiné à l’archidiocèse de Montréal. Le père Claude Ngodji a été ordonné par l’Archevêque Christian Lépine à l’église de Notre-Dame d’Afrique.
Cette mission catholique célèbre sa quatrième année d’existence. Elle rassemble des Africains d’expression française originaire de toute l’Afrique, mais vivant aux quatre coins de l’île de Montréal. Les activités pastorales s’orientent autour de quatre axes : la communion fraternelle, la liturgie, l’éducation à la foi et la transformation du monde.
Je suis plein de reconnaissance de pouvoir prendre part à ces moments importants de la vie de l’Église. Je suis allé en Afrique en toute liberté à l’âge de 26 ans en 1981. Je suis libre aujourd’hui de revenir vers ma terre natale. Ma joie est de voir que l’Afrique n’est plus une réalité éloignée et inconnue. Elle est dorénavant implantée à Montréal avec sa foi vibrante et son espoir.