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Critique sur la migration contemporaine : élaboration de nouveaux récits   

Dans cet article, Dieudonné Rizinde Mahirwe, M.Afr, mène une réflexion critique sur les droits de l’homme. Ceux-ci sont-ils véritablement universels ? Est-ce que tous les humains en bénéficient de manière égale ? Aborder ces questions permet de créer des conditions propices à l’élaboration de nouveaux récits.   
(Texte original en espagnol, édition française par Serge St-Arneault, M.Afr) 

Dieudonné Rizinde Mahirwe, à gauche, en compagnie de son confrère d’Emmanuel Barongo à Guadalajara.

Par Dieudonné Rizinde Mahirwe, M.Afr   
Prêtre missionnaire au sein de la Société des Missionnaires d’Afrique, le père Rizinde est originaire de la République Démocratique du Congo. Après quelques années de ministère en Zambie, il a poursuivi ses études en philosophie au Mexique. Il est actuellement recteur du centre de formation des Missionnaires d’Afrique à Guadalajara pour les jeunes mexicains qui se préparent eux aussi à devenir missionnaires.  

Introduction   

La Déclaration des droits de l’homme, proclamée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unis en 1948, semble contenir les conditions idéales pour créer un monde épris de liberté, de justice, de paix et de dignité. Le premier article de ladite déclaration illustre la nécessité de ne plus répéter les erreurs qui ont provoqué le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Europe.   

 « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité
et en droits et, doués de raison et de conscience,
ils doivent se comporter fraternellement entre eux. »   

Désormais, les peuples créeraient un monde gouverné par l’esprit, comme celui du sensus comunis1. Les droits universels sont d’ailleurs inscrits dans de nombreuses constitutions et les normes sont appliquées dans beaucoup de pays. Cependant, un soupçon persiste selon lequel les droits de l’homme sont « une sorte de chimère » pour de nombreux Noirs en Afrique et ailleurs, c’est-à-dire les afrodescendants, qui ne bénéficient pas de ces droits à part entière. Tel qu’ils ont été conçus, tout indique que les droits détiennent une clé ou une conceptualisation (une intentionnalité) du colonialisme et de l’inégalité intrinsèque. 

La problématique de la migration et le défi de générer de nouveaux récits sont étroitement liés à la conception et aux applications des droits tels que définis par la charte des Nations unies. Quoi qu’il en soit, les défis migratoires auxquels sont confrontés les pays du Nord et du Sud à l’égard des migrants doivent être analysés selon une vision systémique du racisme qui prévaut dans les instances institutionnelles mondiales.  

Des questions surgissent :    
– Pour qui les législateurs formulent-ils une loi et contre qui ?   
– Les droits sont-ils écrits pour bénéficier de manière égale à tous ou sont-ils accordés uniquement aux privilégiés ? Qu’en est-il tout particulièrement des droits des migrants ?   
– Les droits ont-ils été mystifiés par les experts afin de restreindre leurs applications grâce à des concepts idéologiques ?   
– Quel est le récit de ces milliers d’oubliés, hommes, femmes et enfants, qui peuplent les camps de réfugiés ou qui risquent leur vie sur de frêles bateaux sur la mer Méditerranée ou dans le Rio Grande ?  

Il est nécessaire d’admettre que l’origine du problème migratoire mondial réside dans le racisme, la corruption et le monopole des privilèges juridiques. Un nouveau récit2 doit émerger avec une prise de conscience de la racine de ce phénomène.  

Conditions pour l’émergence de nouveaux récits  

L’émergence de nouveaux récits s’impose dans le contexte de vastes crises migratoires où la tromperie omniprésente se confirme au niveau des vicissitudes politiques, sociales, psychologiques et économiques. Ignorer l’implication profonde du problème de l’immigration et son impact sur le champ juridico-politique montre la persistance de la « mauvaise foi3 ». 

L’émergence de nouveaux récits devient alors impossible. En effet, le problème migratoire est délibérément traité sans sérieux par les décideurs en manque de volonté politique. Cet échec remet sévèrement en question la pertinence des relations internationales, les avancées significatives en matière de droits, de liberté et de dignité humaine décrétées dans les accords interétatiques et les chartes fondatrices des Nations unies sur la migration et la protection des personnes et de leurs droits.   

Les nouveaux récits sur la migration ne peuvent donc pas se contenter de rester en périphérie sans mettre en lumière l’imbrication entre les échecs juridico-politiques et la précarité existentielle. La thèse implicite ou explicitée de cette analyse critique révèle l’existence dramatique d’un cercle vicieux.   

Il ne fait aucun doute qu’une impasse existe lorsque la législation elle-même devient un problème ontologique qui confirme le racisme systémique, la xénophobie et la discrimination régionale. Un cercle vicieux se crée dans un environnement dominé par le capitalisme occidental où un droit instaure presque automatiquement de nouvelles formes de violence.   

Une redéfinition des droits de l’homme s’impose pour permettre l’émergence de nouveaux récits. L’exclusion des victimes permet aux décideurs d’imposer leur volonté en évitant d’aborder la légalité véritable des lois ou en utilisant la juridiction de manière arbitraire. N’étant pas égaux, les gens sont traités comme s’ils étaient des marchandises ou des proies faciles, cause de cas d’extermination, de viol, d’enlèvement et de meurtre. De fait, le problème réside dans l’acte du législateur. 

Expérience personnelle  

Lorsque je vivais à Rugari, mon village natal situé à l’est de la République démocratique du Congo, il était évident pour moi que les gens étaient égaux. Nos parents nous ont appris qu’il n’y avait aucune différence entre un Asiatique, un Européen, un Américain et un Africain. Nous sommes tous des êtres humains partageant la même essence constitutive.   

Nous avons eu la chance de côtoyer des missionnaires catholiques polonais même si leur connaissance de la langue française ou de notre langue locale, le kiswahili, était minimale. Au-delà de la couleur de leur peau, de leurs cheveux et de leur comportement, ils étaient semblables à nous.

Cette première notion d’anthropologie implicite s’est avérée être une bénédiction pour moi en tant que religieux missionnaire présentement au Mexique. Cette expérience me convainc que vivre dans un environnement multiethnique est un enrichissement surprenant. Pourtant, dans mon pays d’origine qui est composé de plus de 300 ethnies, la coexistence interethnique est encore loin d’être considérée comme une bénédiction.

Origine de la désintégration identitaire 

D’après mon expérience personnelle, le problème de la désintégration ethnique est indicateur d’une difficulté de générer son propre récit lorsque l’on se trouve dans une condition d’extrême vulnérabilité.

De fait, tous les immigrés ou réfugiés sont confrontés à une crise similaire d’identité raciale ou nationale. Le danger est qu’ils soient exclus ou sans défense dans un cadre juridico-politique non sécuritaire.  

Ce qui m’a été inculqué par mes parents dès mon plus jeune âge a eu un impact positif sur moi. Ainsi, lors de ma présentation à l’examen d’État qui marquait la fermeture de mes études secondaires en 1996, je n’ai souffert d’aucun complexe identitaire lorsque je vivais dans la famille d’une ethnie différente de la mienne même si les enfants de cette famille n’ont pas pris la peine de faciliter mon intégration dans leur foyer. Une intégration de cette nature est pourtant perçue et appréciée comme une bénédiction dans d’autres pays africains. Or, dans ma région, à l’est de mon pays, ce n’est pas le cas.  

Puis, une guerre civile a éclaté peu après en 1998 (la guerre perdure encore aujourd’hui, plus de trente ans après, faisant de nombreux morts). Nous avons dû fuir notre maison pour nous exiler dans le nord du Congo. Nous, qui avions accueilli des réfugiés du Rwanda en 1994, nous sommes devenus des « déplacés internes » à cause d’un conflit armé.  

Une nouvelle identité teintée de négativité se dessinait alors dans notre existence, au point d’oublier nos noms propres. Devenir un réfugié ou un déplacé interne dans son propre pays n’est pas un statut dont on peut être fier. Nous nous sommes retrouvés dans cette triste obligation de nous identifier comme des survivants précaires et totalement dépendants d’une aide humanitaire extérieure.  

La guerre supprime les droits de l’homme. En effet, dans ce rythme de vie subalterne, il est difficile de générer son propre récit. Nous étions une famille normale et subvenions à nos besoins. Soudainement, nous avons tout perdu ; notre maison, nos relations, nos repères jusqu’à notre identité. Nous avons expérimenté l’origine de l’injustice et des inégalités qui assaillent les pauvres et les moins privilégiés. 

Logique du capitalisme   

La crise que nous avons vécue est un échec résultant de la logique du capitalisme qui considère les personnes en termes de produits. La cause principale du problème qui affecte les migrants est cette condition de précarité où la vie d’une personne est reléguée de l’espace public.   

Les droits de l’homme sont nés dans le contexte de la pensée libérale moderne. Ce sont des droits conçus pour des individus, non pas pour des peuples, même si, dans leur conceptualisation, ces droits sont considérés comme des garanties que l’État doit respecter envers ses citoyens. En réalité, les immigrés, les réfugiés et les personnes déplacées ne sont pas traités comme de vrais citoyens. Conséquemment, l’État ne garantit pas leurs droits.  

Vulnérables et sans véritables droits, les réfugiés apparaissent comme des ustensiles d’usage vivant sans valeur d’échange où leur liberté et leur dignité sont annulées. Les discussions sur l’exploitation des migrants qui ignorent cette subordination inhumaine sont comme des bâtiments sans fenêtres. Cela ne correspond pas à l’acte d’habiter une maison commune ouverte à tous les êtres humains sans distinction.   

Camps de réfugiés  

Or, la maison commune des camps de réfugiés se transforme souvent en foyer permanent et devient un territoire d’esclavage. À cet effet, il sera important de lire le cas de John Locke pour comprendre ce problème4.

Ce sont des bâtiments où reposent des corps fatigués par l’irrégularité de la situation. Il s’agit d’espaces où se poursuit le processus d’avilissement des hommes et des femmes, sans aucune correspondance avec leur désir vital, leur dignité et leur liberté. C’est un territoire abandonné où chacun est laissé à son sort.   

C’est aussi une forme de précarité sans règles de vie autre que celle du royaume de la corruption, de la perversité, de la consommation de drogue et des abus sexuels. Ainsi, l’absence d’espace public (d’institutions publiques) et la non-existence d’un droit juste pour tous anéantissent le sens du bien commun. L’espace public comme condition de possibilité de liberté, c’est-à-dire de participation à une conscience politique (la polis), nous oblige à nous interroger sur le sens véritable de l’espace public.   

L’espace public 

Hannah Arendt note que « le terme public désigne le monde lui-même, dans la mesure où il est commun à nous tous et différencié de la place que nous y possédons de manière privée5 ». Dans cette perspective, Giorgio Agamben fait allusion à la vision classique pour expliquer son approche de ce qui ressemble à une crise biopolitique : « La célèbre définition de la polis comme « née en vue de vivre [tou zen], mais existant avec des vues de bien vivre [tou eu zen] ‘ (Pol., 1252b 28-30), a donné une forme canonique à cette intrigue entre vie et vie politiquement qualifiée, entre zoè et bios, qui s’avérera décisive dans l’histoire de la politique occidentale6 ».  

Droit au travail  

Le travail est un droit fondamental pour générer un sens à la vie, au monde et à l’agir humaine. Or, sans documents d’immigration appropriés, les réfugiés sont maintenus dans un état d’inaction qui devient une forme préméditée de déshumanisation.

Notre expérience familiale témoigne d’un contexte silencieux de néocolonialisme où des formes d’esclavagisme sont générées par des situations d’expropriation de la vie des gens victimes de situations conflictuelles armées. La modernité capitaliste établit ainsi une différence entre le « simple fait de vivre » et le sens d’une existence humaine significative. La notion du travail considéré comme production de culture est écartée. De plus, les œuvres considérées comme le produit de la créativité du Sud sont souvent considérées avec mépris en Occident.  

Il est brutal de penser que le monde occidental opère dans ces circonstances en s’appuyant ou tirant avantage de la précarité des pays du Sud en se nourrissant depuis longtemps de leur faiblesse au travers des intérêts capitalistes. Les diamants du sang au Libéria et dans l’est de la République démocratique du Congo indiquent que la situation d’inégalité produit toujours l’instrumentalisation des moins privilégiés parce que la politique milite en faveur du capital.  

Malheureusement, des gouvernements des pays sous-développés tombent dans le piège de la politique et des jugements de l’Occident. Le corps de l’esclave est celui qui n’est nulle part, n’a ni patrie, ni esprit, ni religion, ni culture, ni famille, ni activité. Celui-ci attend que son destin soit déterminé par d’autres.   

Sans contredire la thèse foucaldienne selon laquelle « l’objectif aujourd’hui est la vie7 », le penseur italien Giorgio Agamben considère que la simple vie n’existe pas. Selon lui, il n’existe que la « vie politique » comme forme de vie orientée vers l’idée de bonheur et cohérente avec un mode de vie8.   

Je comprends qu’Agamben veuille examiner l’idée selon laquelle le mode de vie devrait appartenir à chacun sans être le privilège de personne en particulier. Cependant, les conditions de production de ce mode de vie sont précaires pour plus de 80 % de la population mondiale, notamment dans les pays d’origine des migrants.

Généralement, il existe une distance constante entre les humains qui survivent et les autres qui subsistent en maintenant simplement la vie. Ce paradigme unilatéral vient d’un dominateur invisible et montre que « le pouvoir politique que nous connaissons repose toujours, en fin de compte, sur la séparation entre la sphère du simple être vivant qui compose l’individu, du contexte des formes de vie9 ».  

Cela suggère qu’une fois que le racisme hégémonique a acquis d’autres facettes, il est nécessaire de réactiver la pensée critique. Il serait donc très intéressant de voir à qui appartient cette vie niée. Si l’esclavage des Noirs ou de toute personne est une pratique interdite et un discours criminel, les conditions n’ont pas encore été créées pour que les afrodescendants soient respectés sur leurs territoires d’origine et dans les camps de réfugiés.   

Rejet des afrodescendants  

À l’instar des philosophes du soupçon qui sont célèbres pour avoir contesté la modernité occidentale, je me lance dans l’attitude douloureuse de soupçonner que les gens qui ont trop souffert des horreurs de la guerre et de la migration sont en fait pour la plupart des Noirs. Le fléau du rejet des afrodescendants est encore perceptible, non pas dans le discours officiel, mais plutôt dans les structures institutionnelles des législations occidentales et les appareils de « sécurité publique ».   

Un racisme systémique est présent dans d’autres contextes plus silencieux comme celui des Églises, dans les salles de classe et sur les places publiques. Le bien-être est généralement le privilège de certains citoyens ou de certains immigrants bien sélectionnés tandis que d’autres, du fait de la précarité, se vendent et sont subordonnés.   

En clair, je crois que le traitement qu’un migrant ukrainien pourra recevoir sur le territoire européen sera différent du traitement que recevrait un migrant soudanais ou congolais. Les inégalités perdurent même dans la précarité. La vie des immigrés et des réfugiés afrodescendants est plus exposée aux dangers que d’autres êtres humains vivant des drames comparables.

Par conséquent, toute action politique ou juridique qui se limite à la simple production de la vie ne fait que violence, car, comme le souligne Hannah Arendt : « la politique est la condition de possibilité d’une bonne vie, c’est-à-dire la citoyenneté comme plénitude de la vie humaine10 ».  

Situation critique de la migration aujourd’hui comme simple vie  

Je suis convaincu que pour créer les conditions favorables qui rendent possibles de nouveaux récits (écrire sa propre histoire), un espace public doit être pris en compte comme condition de décision des affaires publiques. Le bien-être de chacun ne doit pas être la propriété de quelqu’un d’autre. En effet, ce que nous partageons en tant que citoyens du monde est la vie en tant qu’existence et non une simple vie qui se trouve dans des espaces où la propriété privée est instrumentalisée pour isoler certains groupes sociaux et ainsi créer les conditions fertiles pour les asservir.   

Cette perspective nous incite à réévaluer les espaces habités en tant que producteurs de discours politiques qui ne favorisent pas ceux qui se trouvent en permanence dans une précarité voisinant la mort. Les personnes sans domicile fixe ni protection juridique subissent le poids du temps qui leur échappe et de l’espace où ils sont confinés. Surgit alors un récit masqué et moralisateur du pouvoir.   

La question épineuse est donc de savoir dans quel espace et comment de nouveaux récits seront possibles. La seule issue pour sortir de cette caverne du mythe platonicien sera celle liée à l’existence de chaque personne. Chaque histoire est unique et doit tenir compte de l’environnement social, racial, politique, religieux, culturel, intellectuel et vital de chacun. Nous avons besoin d’un regard et d’un récit où les gens peuvent s’exprimer par leurs propres mots et où leur parole compte. Où sont donc les nouveaux récits que les migrants peuvent écrire eux-mêmes pour contrecarrer un système qui ignore leur manque de droits pourtant reconnus dans la charte des Nations unies ?  

Un regard critique sur le statut du droit face à la précarité existentielle nous amène à nous demander si les migrants du Sud sont réellement considérés comme des êtres humains à part entière, ou s’ils sont considérés comme des personnes marginalisées, c’est-à-dire sans droit à l’espace public ou à la liberté d’expression. Plus que jamais, nous avons besoin d’un autre droit fondé sur la justice pour les Noirs.   

Demandeurs d’asile  

Lorsqu’on désigne le migrant du XXIe siècle comme un demandeur d’asile, avec tout le poids sémantique que comporte ce concept, cela nous donne un indice de la précarité existentielle de ces personnes.  

On rapporte que le gouvernement du Royaume-Uni veut expulser des demandeurs d’asile au Rwanda. La majorité des personnes concernées ont exprimé leur répugnance face à cette initiative interétatique entre les deux nations. On peut se demander si l’opinion de la nation d’origine du migrant a été prise en compte avant de prendre une telle décision. Le fait que de nombreux immigrés aient préféré fuir les agents du ministère de l’Intérieur indique qu’ils sont terrifiés. Cela est un signe notoire de violence contre les droits de l’homme.   

Certaines organisations caritatives en faveur des migrants alertent le public sur les conséquences désastreuses de l’asile forcé. Alors que le gouvernement a largement diffusé son message concernant la détention de personnes à destination du Rwanda, il n’est pas clair si les autorités avaient prévu que certains demandeurs d’asile se cacheraient et que d’autres iraient en Irlande. Lou Calvey, directrice de l’association caritative Asylum Matters, a déclaré : « Les organisations caritatives de première ligne en matière d’asile signalent que des personnes quittent leur logement d’asile pour éviter d’être arrêtées. Ils tirent la sonnette d’alarme sur les risques croissants de misère et d’exploitation11 ».  

Les migrants sont constamment marginalisés en raison de leurs conditions de vulnérabilité. Il est inquiétant de constater que le piétinement des droits humains fondamentaux est soutenu par le système juridique dans des pays où les dispositions légales sont censées être appliquées pour protéger des vies. Du point de départ jusqu’au lieu de destination, le migrant passe sa vie dans une situation pleine de dangers, de préjugés, de vols, de viols, d’enlèvements, de faim, de maladies et de déportations.   

Cette réalité nous place devant la question de savoir si l’on peut encore parler de la pertinence des déclarations universelles des droits. Il est plutôt évident que la condition des migrants est aujourd’hui devenue un signal d’alarme annonçant l’inutilité des droits universels et de leur mise en œuvre stricte et impartiale.  

Le fait que ceux qui fuient et ceux qui se voient systématiquement refuser l’asile en Europe soient dans la plupart des cas des afrodescendants devrait être préoccupant. Les témoignages abondent. Un Érythréen détenu pendant 25 jours avant son audience craignait d’être expulsé au Rwanda. « C’est très perturbant pour nous de penser à cela, dit-il. Je suis venu ici pour chercher la sécurité à cause de ce qui se passe dans mon pays, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Le ministère de l’Intérieur peut-il me dire sur quelle planète je dois aller pour retrouver ma liberté et ma sécurité12 » ?   

La crise de la précarité devrait réactiver les sirènes existentielles et allumer les lumières de la pensée pour s’attaquer aux causes profondes du problème. Le manque dramatique de nouveaux récits aggrave la crise migratoire qui restreint l’émergence d’une dignité humaine réelle pour chaque être humain13.  

Conclusions  

De cette analyse critique sur les conditions requises pour construire de nouveaux récits, nous concluons que nous nous trouvons encore de nos jours dans une réalité selon laquelle ceux qui dominent et ceux qui sont dominés continuent de l’être.   

Que ce soit entre l’Europe et l’Afrique ou entre les États-Unis-Canada et l’Amérique latine, l’antagonisme binomial continue de prédominer. Le semi-territoire est dans ce cas une condition corporelle et spirituelle où le migrant ou le marginalisé se retrouve au milieu des États comme s’il était, d’une certaine manière, coincé entre le marteau et l’enclume. Pendant ce temps, les prétendues autorités qui devraient représenter le peuple perdent du temps et de l’énergie à se rejeter la faute les unes sur les autres, à se battre dans une conversation sans issue.   

Malgré tout, il y a espoir que de nouveaux récits émergent pour changer le statu quo en faveur d’une politique sociale saine et plus respectueuse des droits universels de chaque être humain.  

Avec les salutations à la mexicaine de Dieudonne Rizinde.

Lire le document original écrit en espagnol sur le site internet de :

Références 


  1. Kant considère que le sensus communis doit être compris comme l’idée d’un sens commun à tous. Cf. Manuel Kant, Critique du jugement, Collection Austral, Madrid, 1977, p. 198.  ↩︎
  2. Par ‘nouveaux récits‘, nous entendons une nouvelle histoire des droits de l’homme et une nouvelle conceptualisation non coloniale. ↩︎
  3. Plus qu’une dissimulation des droits de l’homme, il s’agit d’une injustice, d’un déni systématique des droits de l’homme.  ↩︎
  4. Franz Joseph Hinkelammert, « L’inversion des droits de l’homme : le cas de John Locke », dans Herrera Flores, J. (Ed.). Le vol d’Anteo. Droits de l’homme et critique de la raison libérale, (Bilbao, Desclée de Brouwer, 2000), 79-113.  ↩︎
  5. Hannah Arendt, La condition humaine, Paidós, Barcelone, 1993, p. 61.  ↩︎
  6. Giorgio Agamben, L’usage des corps, Homo sacer, IV,2, Édition numérique : C. Carretero, p. 531, Consulté le 7 juin 2024 sur : 
    http://www.solidaridadobrera.org/ateneo_nacho/biblioteca.html.  ↩︎
  7. Giorgio Agamben, L’usage des corps …, p. 393.  ↩︎
  8. Giorgio Agamben, L’usage des corps …, p. 394.  ↩︎
  9. Giorgio Agamben, L’usage des corps …, p. 391.  ↩︎
  10. D’après ce que l’on voit à la télévision et selon la crise migratoire dans le monde, la triste vérité est que le migrant d’Allemagne ou le migrant d’Ukraine est une personne, cela ne fait aucun doute. Quant au migrant africain, ce n’est probablement pas le cas. ↩︎
  11. Diane Taylor, Shane Harrison et Robyn Vinter, « Home Office faces fallout from Rwanda roundup as asasile seekers hide or fuir », dans The Guardian, mardi 7 mai 2024, consulté le 31 mai 2024 en ligne et traduction Google avec notre propre vérification : 
    https://www.theguardian.com/politics/article/2024/may/07/asylum-seekers-hide-or-flee-to-ireland-to-avoid-uk-rwanda-detentions↩︎
  12. (Note de l’éditeur : 8 juill. 2024 #actualités #africa24. La politique de déportation des demandeurs d’asile vers le Rwanda ne sera pas poursuivie. C’est ce qu’a annoncé le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer lors de sa première conférence de presse annonçant au passage qu’il s’engageait à respecter le mandat des électeurs pour le changement. Le projet, qui devait courir sur cinq ans, prévoyait un versement au Rwanda 140 millions de livres sterling, pour financer de l’aide au développement et la prise en charge des migrants expulsés.)  ↩︎
  13. Diane Taylor, « ‘J’ai peur’ : les demandeurs d’asile rassemblés pour être envoyés au Rwanda. Des demandeurs d’asile du Soudan, d’Érythrée et d’Afghanistan détenus dans le cadre de l’opération gouvernementale Vector partagent leurs histoires », dans The Guardian, le mardi 28 mai 2024, consulté le 27 mai 2024 en ligne, traduit via Google : 
    https://www.theguardian.com / uk-news/article/2024/may/28/im-frightened-the-asylum-seekers-arrondi-up-to-be-sent-to-rwanda. ↩︎

Fête nationale : un divorce assumé et prometteur 

Il y a 100 ans 

Le 24 juin 1924, les fêtes grandioses de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal étaient principalement associées à une procession patriotique mettant en vedette l’œuvre de la race française en Amérique. Les chars allégoriques qui ont pris part au défilé montraient différents événements historiques tels qu’un hommage à Marguerite Bourgeois et au héros national Pierre LeMoyne d’Iberville. 

Rappelons que la première célébration de la fête nationale canadienne a eu lieu le 24 juin 1834, date choisie par Ludger Duvernay, fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Toutefois, ce n’est qu’en 1908 que le pape Pie X a approuvé le choix de Jean-Baptiste comme patron de tous les Canadiens-français du Canada et de l’étranger. 

Enfant, dans les années 60, je me rappelle ces défilés où figurait nécessairement un jeune garçon aux cheveux bouclés blonds assis imperturbablement en hauteur sur le dernier char allégorique. Il représentait Jean-Baptiste. C’était comme ça ! 

Un siècle plus tard 

En 2024, nous assistons à une profonde transformation. Selon le site officiel du comité de la fête nationale, la priorité de la fête nationale est mise sur une joyeuse célébration de notre vivre-ensemble harmonieux. Cette année, le défilé était une simple parade de fresque vivante, une ode à la tradition, à la modernité, et surtout, à la joie de vivre qui pulse au cœur de chaque Québécoise et Québécois. 

Selon Benoit McGinnis, porte-parole de la 190e édition de la Fête nationale, plus de 6000 activités ont eu lieu sur près de 650 sites, dans toutes les régions. Les festivités ont rejoint plus de 2,5 millions de personnes, qui ont chanté sur tous les tons et avec tous les accents leur attachement au Québec. 

Et la religion catholique dans tout ça ! 

Une messe a été présidée par Mgr Christian Lépine à l’église Saint Jean-Baptiste de Montréal le 24 juin 2024 à 10h00. J’y étais. Au début de la messe, un laïc a souligné que la paroisse célébrait cette année son 150e anniversaire. Or, aucune référence à la fête nationale des Québécois n’a été évoquée pendant toute la cérémonie religieuse. Évidemment, aucune personnalité publique ou politique n’était présente. Les chrétiens se sont rassemblés essentiellement pour prier. À ce titre, Mgr Lépine a parfaitement endossé son rôle de guide spirituel. Dans cette assemblée, j’ai noté qu’il y avait quelques religieuses en habit traditionnel, avec voile.  

Puis, en après-midi, je me suis rendu au parc Maisonneuve où se déroulait les spectacles de la fête nationale. Cela n’avait rien à voir avec l’élan patriotique, selon Gilles Vigneau, et poétique, selon Jean-Pierre Ferland, du grand spectacle 1 x 5 qui a eu lieu sur le mont Royal en 1976. J’avais 21 ans à cette époque. 

Bref, qu’ai-je vu au parc Maisonneuve ? J’ai vu une foule très diversifiée; des familles, des jeunes comme des plus âgés. Il y avait des musulmanes, jeunes et moins jeunes, québécoises portant le voile. À vrai dire, c’est le seul signe religieux ‘ostentatoire’ que j’ai noté. L’ambiance était à la fête, mais sans exaltation ou débordement. Les organisateurs ont atteint leur but; une joyeuse célébration de notre vivre-ensemble harmonieux. 

Le divorce assumé 

Le lien historique entre l’esprit patriotique et la religion catholique est définitivement brisé. Et c’est tant mieux ! Chacun a trouvé sa place. Alors que la société québécoise se diversifie grâce à l’apport de nouveaux immigrants, nous assistons à une transition minoritaire du catholicisme au Québec. Les statistiques indiquent qu’entre 5% et 15% des baptisés assistent aux messes. Aussi, les communautés religieuses et les diocèses ont entrepris un processus de gestion de la décroissance et de liquidation des actifs immobiliers. La visibilité des signes architecturaux catholiques s’évapore de plus en plus. Sur les 2 746 églises du Québec inventoriées en 2003, 713 ont été détruites, fermées ou reconverties

Requiem pour une église (1 : voir le commentaire au bas de l’article.)

Selon Yann Raison et E.-Martin Meunier, le catholicisme a longtemps occupé la grande part de l’espace religieux en France et au Québec. Cette place prépondérante lui procurait une influence indéniable sur la culture et la politique. On observe désormais une diminution de cette influence sociale, ainsi que la perte de son rang de religion majoritaire. 

Selon ces mêmes chercheurs, on assiste à l’émergence de nouvelles structures communautaires, d’organisations et de mouvements laïques qui évoluent dans l’ombre de l’institution diocésaine et qui sont parfois difficiles à distinguer. De plus, l’apport de l’immigration favorise l’émergence d’un ‘nouveau catholicisme’. En effet, les chrétiens issus de l’immigration sont deux fois plus pratiquants en moyenne qu’un Québécois.  

Perspectives 

Sans être prophète, il est raisonnable de penser que l’effacement graduel de la visibilité des institutions religieuses catholiques au Québec ouvrent la voie vers de nouvelles potentialités. Cela permet aux catholiques de devenir de véritables partenaires du vivre-ensemble harmonieux. D’une société tricottée serrées comme je l’ai connu dans mon enfance, je me réjouis désormais de participer et même contribuer à l’essor d’une société basée, non pas sur un nationalisme racial comme en 1924, ni sur une identité religieuse majoritairement catholique, mais sur un accueil mutuel respectueux des diversités ethniques et religieuses, source d’un enrichissement collectif idéalement harmonieux.

À vrai dire, c’est Jean-Pierre Ferland qui avait raison en 1974; la poésie doit primer sur le patriotisme.  

Liens :

Cet article a été publié dans le journal
Le Nouvelliste en date du 7 juillet 2024

(1) Requiem pour une église. Ce numéro présente les cas particuliers de trois églises représentatives de ce qui se trame présentement concernant le patrimoine religieux bâti du Québec. L’église Saint-Jean-Baptiste, située dans la ville de Québec, classée monument patrimonial, est fermée au culte depuis 2015 et n’a fait, en date de l’automne 2021, l’objet d’aucun véritable projet de requalification. L’église Saint-Cœur-de-Marie, située à Québec, classée monument patrimonial, fermée au culte depuis 1997, a finalement été démolie en 2021 par un promoteur immobilier. L’église Saint-Gabriel, située dans la MRC de Bellechasse (25 km à l’est de Québec), a été requalifiée à la fois en mode communautaire et en mode cultuel. Afin de saisir au mieux possible le destin du patrimoine religieux bâti du Québec, nous avons demandé à différents intervenants de nous entretenir de la place qu’occupait et occupe peut-être encore aujourd’hui la présence de ces églises qui ont structuré la vie de tout un peuple pendant plus de 350 ans, et en quoi leur disparation est aussi perte de mémoire et de dissolution de l’ensemble des repères visuels liés à la foi catholique.

Au Canada français, on se plaisait à répéter, dans une formule aux allures de porte tournante, que la langue était la gardienne de la foi et que la foi veillait sur la langue. Ce principe, érigé en une sorte de totem identitaire, servait de baume permettant de croire que, quoi qu’il arrive, cette société persisterait, fidèle à elle-même, dans l’ombre d’une tradition qui, à force de regarder en arrière, confondait l’espoir en l’avenir avec la contemplation béate d’un passé fabulé. (…)

(…) Une société qui se voulait fermée sur elle-même, mais qui, au nom de cette fermeture, se projetait jusqu’en Chine, n’est-ce pas formidablement paradoxal ? L’important semblait de s’accorder sur une image du monde suffisamment commode pour supporter la nôtre. Le catholicisme, au-delà de la foi réelle de ses adeptes, fut sans doute un mécanisme de défense national, une manière de tempérer une réalité difficile qu’il fallait adoucir sur le plan psychologique. Sans surprise, cette passion religieuse s’est évanouie dès lors que la situation politique et matérielle du monde changea. Sans qu’il n’ait été besoin d’aucune loi pour y parvenir.

Djely Tapa – Dankoroba (Influente)

Je connais Djely Tapa depuis mon retour de la Zambie en 2017. Nouvellement nommé directeur du Centre Afrika, c’est Jean-François Bégin, qui était à cette époque le coordonnateur du centre, qui m’a présenté Djely. Elle l’accompagnant avec enthousiasme lors de visites dans les écoles dans le but d’initier les élèves à quelques aspects de la richesse culturelle africaine tels que la musique et les comptes.

Djely Tapa répétait sans cesse qu’elle était la griotte du Centre Afrika. Elle était présente lorsque nous recevions des élèves à notre centre pour une journée d’initiation aux valeurs culturelles africaines. Un jour que nous attendions un large groupe d’écoliers, arrivant directement de l’aéroport, Djely s’est présentée au Centre Afrika tôt le matin après un long voyage. Elle avait quitté le Mali la veille. Malgré la fatigue du voyage, elle a tenu sa promesse d’être avec nous ce jour-là. Elle est extraordinaire !

Nommée Révélation Radio-Canada en musique du monde en 2019

Djely Tapa est issue d’une longue lignée de griots, ces poètes gardiens de traditions. Elle est de plus en plus connue sur la scène internationale comme interprète. Sa voix haute-perchée caractérise sa vocalise racée accompagnée d’envolées vertigineuses. La griotte du Centre Afrika a ainsi pris le large tel un oiseau. Elle a d’ailleurs toujours rêvé de devenir pilote d’avion.

Bref, je veux aujourd’hui vous présenter son plus récent album intitulé Dankoroba qui peut se traduire par le terme ‘influente‘. Je vous invite à visionner sa chanson de qualité hautement professionnelle. Elle chante en bambara. Vous trouverez la traduction en français après les photos illustrant sa vidéoclip. Mais, auparavant, un aperçu historique est nécessaire pour bien comprendre la signification de la chanson. Revenons à l’époque de l’empire du Mali.

L’Empire du Mali, ou l’Empire mandingue

Soundjata Keïta

Le Mandé est la province d’origine de l’empire du Mali, ou l’Empire mandingue. Celui-ci fut fondé sous l’impulsion de Soundjata Keïta au 13e siècle. L’autorité de ce souverain s’étalait du Ghana jusqu’à l’océan du côté occidental de l’Afrique. Les petits royaumes de l’empire étaient dirigés par des chefs qui assuraient la chasse, la capture et la revente d’esclaves.

L’empire du Mali a connu son apogée au XIVe siècle. Il englobait une grande partie du territoire actuel du Mali, de la Guinée, du Sénégal, et de plusieurs autres États africains.

Le dialecte mandingue

Le mandingue est un continuum de dialectes recouvrant de vastes territoires au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Gambie, en Guinée-Bissau, au Liberia et en Sierra Leone. De nos jours, les principales langues mandingues sont le bambara au Mali, le dioula en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, le mandinka au Sénégal et en Gambie et le mandinka en Guinée et au Mali.

Soundjata Keïta

Soundiata Keïta, également connu sous le nom de Mari Diata Konaté. Né en 1190 à Niani, dans le royaume du Manding, Soundiata Keïta a ainsi joué un rôle essentiel dans l’histoire de la région. Il a régné comme un empereur entre 1235 et 1240. De nos jours encore, l’histoire de Soundiata est transmise à travers une épopée légendaire racontée de génération en génération par les griots. En somme, Soundiata Keïta est une figure emblématique de l’Afrique de l’Ouest, dont l’héritage perdure à travers les récits et les traditions.

Empereur du Mali

La charte du Manden

C’est au moment de son intronisation en 1236, au nom de la confrérie des chasseurs, l’empereur Soundiata Keita aurait proclamé la charte du Manden.

Cette charte est une déclaration des droits de l’homme de portée universelle, remontant à 1222, attribuée à la confrérie des chasseurs malinkés (une société africaine traditionnelle et initiatique), transmise par la tradition orale et retranscrite au milieu des années 60 par l’anthropologue et historien Youssouf Tata Cissé.

La Charte du Manden, plusieurs siècles avant la reconnaissance de valeurs aujourd’hui défendues par le monde occidental, affirme de manière universelle le droit à la vie, à la liberté et à l’égalité, et aux réparations en cas d’offense à ces principes. Elle dénonce formellement l’esclavage et la discrimination.

Elle est suffisamment dérangeante – aux yeux de ceux qui cherchent à démontrer l’infériorité intellectuelle et morale de l’Afrique et de sa diaspora et son prétendu attachement traditionnel à l’esclavage – pour que plusieurs scientifiques occidentaux (dont l’historien français néo-conservateur Francis Simonis) aient cherché à en nier l’authenticité.

Pourtant, en 2009, l’UNESCO a inscrit la Charte du Manden au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Le texte de la Charte du Manden

(Version transcrite en 1965 par Youssouf Tata Cissé, à partir d’un récit de Fa-Djimba Kanté)

Préambule

Le Manden fut fondé sur l’entente et l’amour, la liberté et la fraternité. Cela signifie qu’il ne saurait y avoir de discrimination ethnique ni raciale au Manden. Tel fut le sens de notre combat. Par conséquent, les enfants de Sanenè et Kòntròn font, à l’adresse des douze parties du monde et au nom du Manden tout entier, la proclamation suivante :

Article 1

Les chasseurs déclarent que toute vie [humaine] est une vie. Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie. Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable, qu’une autre vie. De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.

Article 2

Les chasseurs déclarent que toute vie étant une vie, tout tort causé à une vie exige réparation. Par conséquent, que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin, que nul ne cause du tort à son prochain, que nul ne martyrise son semblable.

Article 3

Les chasseurs déclarent que chacun veille sur son prochain, que chacun vénère ses géniteurs, que chacun éduque comme il faut ses enfants, que chacun « entretienne » autrement dit pourvoit aux besoins des membres de sa famille.

Article 4

Les chasseurs déclarent que chacun veille sur le pays de ses pères. Par pays ou patrie, il faut entendre aussi et surtout les hommes; car tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique [connaîtraient la tristesse et la désolation].

Article 5

Les chasseurs déclarent que la faim n’est pas une bonne chose, que l’esclavage n’est pas une bonne chose, qu’il n’y a pas pire calamité que ces choses-là dans ce bas monde. Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc, la faim ne tuera plus personne au Manden. Si d’aventure la famine venait à sévir, la guerre ne détruira plus jamais de village au Manden pour y prélever des esclaves. C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre. Personne ne sera non plus battu, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave.

Article 6

Les chasseurs déclarent que l’essence de l’esclavage est éteinte en ce jour, « d’un mur à l’autre » du Manden. La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden. Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden. Quelle épreuve que le tourment, surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours ! Quelle déchéance que l’esclavage ! L’esclave ne jouit d’aucune considération, nulle part dans le monde.

Article 7

Les gens d’autrefois nous disent que l’homme en tant qu’individu, fait d’os et de chair, de moelle et de nerfs, de peau et de poils qui la recouvrent, se nourrit d’aliments et de boissons. Mais son « âme », son esprit vit de trois choses : a) voir qui il a envie de voir, b) dire ce qu’il a envie de dire, c) et faire ce qu’il a envie de faire.
Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme, elle en souffrirait, et s’étiolerait sûrement. En conséquence, les chasseurs déclarent que chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, dans le respect des « interdits », des lois de la Patrie. Tel est le serment du Manden, à l’adresse des oreilles du monde entier.

La chanson de Djely Tapa intitulée Dankoroba – (Influente) interprétée en bambara

Depuis son ascension artistique en 2019 (année de la COVID-19), nous n’avons plus revu Djely Tapa au Centre Afrika. Notre griotte a étendu ses ailes dans tous les horizons. Nous en sommes très fiers. Elle maintient son désir de transmettre son riche patrimoine culturel. Cette fois-ci, elle chante la grandeur et l’important rôle qu’à jouer neuf femmes à l’époque de l’empereur Soundiata Keïta. Aujourd’hui, nous les appellerions des militantes ou des féministes, ou mieux encore, des influenceuses.

Dankoroba célèbre le pouvoir des individus de façonner positivement le monde, et rend hommage aux Sumusso, neuf femmes impliquées dans le 1er gouvernement de l’Empire mandingue au 13e siècle.

PAROLES EN BAMBARA

Hummm

Tom hum Ko la dön (x2)

Diala ladön torö ladön monifi ladön ya deen ye

Kana siran ngana gnè huki ka siran nganadeen gnè

Hummm dankoroba deen ye ladön ye

Dankorobayi la deen la mœlé huko te ko kolo kè

Djelyké korobayi non deen mi lamœ

Ho te kokolo kè

Djelymousso korobayi la deen lamœlé

Ho te kokolo kè

Ko deen bè dou sumusso karifadeen te doumouna

Deen bè dou gnagamousso karifadeen te doumouna

Sumusso kononton gnagamusso kononton kolou karifadeen te doumouna

Hé Hiye dankoroba la deen la mœlé ye gné Sumusso

Sumusso Kukuba

Sumusso Gnagarigassa

Sumusso Dugubètolo

Sumusso Batiba

Sumusso Soli

Sumusso Siga

Sumusso Nganadjougoulayi

Sumusso Ngnalé

Mbemba sumusso Kiligna Mandé Kouyaté

Djely ya djina boro hawa ye Biriko

Hummmmm nganalou la deen na mœlé ye

Ngana minè ngana la deen na mœlé Hee

Ngana (x3)

Tom hum ko ladön (x4)

Ngana minè ngana han

Té kokolo kè Dankoroba ha si ye gné

Dankoroba ha si ye gné Djaly miniyan si ne bora koloba la

Sanisso térèna si ne bora koloba la

Nganalou la deen mœlé

Kani Soumano si ne bora koloba la

Mbora koloba la

Dankoroba deen na mœle

Deen na mœlé (x2)

Ngana bòda la kolotè Hummm…

Auteure-interprète : Djely Tapa, compositeurs : Jean Massicotte & Atimi Banohro, musiciens : Jean Massicotte, Atimi Banohro, Kandiafa, chorale Afrika Intshiyetu. Produit par Djely Tapa. Production déléguée : Guilaine Royer. Vidéoclip : Jypheal. Disques Nuits d’Afrique-Distribution Believe

En Français

Note : Les sumusso sont considérées comme des ‘sorcières’. Cela peut porter à confusion. En effet, l’appellation de ‘sorcière’ dans ce contexte, comme dans beaucoup d’autres cultures africaines, n’a rien de comparable avec la notion ou la définition des sorcières du moyen-âge en Europe ou dans la pensée populaire encore bien présente dans nos sociétés occidentales où un sorcier ou une sorcière est un personnage qui possède des dons surnaturels, voire méchants et malsains.

Dans le cas des sumusso, il s’agit avant tout de personnes influentes possédant une renommée sociale ou un statut public. Il en est de même chez un chef coutumier qui détient un pouvoir à la fois politique et spirituel. Les gens craignent la compagnie des sorciers ou des sorcières avant tout à cause de leur potentielle influence, soit bénéfique ou maléfique. Pourtant, leur rôle est également associé à la préservation de la paix ou de l’harmonie sociale. Il s’agit donc d’une influence positive. Cela n’a rien à voir avec les ‘méchantes sorcières laides et maléfiques’ que nos lointains ancêtres ont brûlé sur des bûchés.

Voir aussi le lien : SORCELLERIE ET THÉORIES COMPLOTISTES 

Hummm

Leurs fleurs (x2)

La fleur de caïlcédrat, la fleur de figuier

La fleur de l’Être s’épanouit en l’enfant

N’ayez pas peur du stratège mais plutôt de son héritier

Oui, l’héritier est le joyau de l’influent

L’héritier des influents stratèges ne fera point d’erreur

L’héritier des vieux griots ne fera point d’erreur

L’héritier des anciennes griottes ne fera point d’erreur

Tous les enfants risquent d’être enjôlés, sauf les protégés de courageuses érudites

Tous les enfants risquent d’être enjôlés, sauf les protégés de sorcières dangereusement éclairées

Un enfant guidé par les neuf sorcières suprêmes ne sera jamais subjugué

Me voici, je suis l’héritière des influentes stratèges

Sorcières :

Sumusso Kukuba

Sumusso Gnagarigassa

Sumusso Dugubètolo

Sumusso Batiba

Sumusso Soli

Sumusso Siga

Sumusso Nganadjougoulayi

Sumusso Ngnalé

Mon ancêtre, Sumusso Kiligna Mandé Kouyate

Hawa avait le génie de Djely ya à Biriko

Je suis l’héritière de femmes de pouvoir

L’héritière de femmes éclairées qui défont les intrigants

Leurs fleurs (x4)

La stratège clairvoyante ne fera point d’erreur

Je suis descendante de glorieuses influentes

Je suis de la lignée solide de Djaly Miniyan

Je suis de la lignée solide de Sanisso Tèrèna

L’héritière d’influentes hautement éclairées

Je suis de la lignée solide de Kani Soumano

Ma lignée est vigoureuse

L’héritière de femmes puissantes au legs éternel

In English

Hummm Their flowers (x2)

The caïlcédrat flower, the fig flower…

The flower of Being blossoms in the child

Don’t fear the strategist, fear the heir

Yes, the heir is the treasure of the influential strategist

The heir of influential strategists will make no mistakes

The heir to the old griots will make no mistakes

The heir of the old female griots will make no mistakes

All children risk being mesmerized except those protected by women of courage and knowledge

All children risk being mesmerized except those protected by dangerously enlightened witches

A child guided by the nine highest witches will never be subjugated

Here I am, heiress of influential women

Witches:

Sumusso Kukuba

Sumusso Gnagarigassa

Sumusso Dugubètolo

Sumusso Batiba

Sumusso Soli

Sumusso Siga

Sumusso Nganadjougoulayi

Sumusso Ngnalé

My ancestor, Sumusso Kiligna Mandé Kouyate

Hawa had the genius of djely ya in Biriko

I am the heiress of powerful women

The heiress of enlightened women who defeat schemers

Their flowers (x4)

The clear-sighted strategist will make no mistake

I am a descendant of glorious women of influence

I come from the solid lineage of Djaly Miniyan

I come from the solid lineage of Sanisso Tèrèna

The heiress of highly enlightened women

I come from the solid lineage of Kani Soumano

My lineage is vigorous

The heiress of powerful women whose legacy is eternal

Funérailles du père Roger Bélanger, M.Afr

Julien Cormier

Texte de Julien Cormier, 11 mai 2024.

Sous la présidence de Réal Doucet, supérieur provincial des Missionnaires d’Afrique pour les Amériques, avec une trentaine de membres de sa famille, frères, sœurs, conjoints, neveux et nièces, et autant de confrères et consœurs Pères Blancs, Sœurs Blanches, hommages et célébration de la vie de notre confrère Roger Bélanger, décédé le 24 avril dernier.

« Souviens-toi, o homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ! » (liturgie du mercredi des cendres) – « Je sais moi que mon Rédempteur est vivant et que je reviendrai à la vie » (livre de Job).

En présence de ses cendres (dans un coffret) et avec le sentiment que l’esprit de Roger était avec nous pour dire « Merci mon Dieu de la belle vie que j’ai eu » … que « nos parents nous ont donnée » … que « NOUS avons vécu ensemble, tant sur la ferme d’Amqui, qu’en Afrique au Malawi et au centre Afrika à Montréal », nous avons pu sourire aux différentes anecdotes racontées… Un style de communication de « la Bonne Nouvelle » que Roger pratiquait avec talent. Assez loin des formulations dogmatiques et idéologiques. Dans l’ambiance de l’auteur spirituel Maurice Zundel : « Je ne crois pas en Dieu, je le vis. »

Les différents hommages à la vie de service de Roger et l’homélie de Denis-Paul Hamelin nous ont tous ramenés au chant de la promesse scoute résumant « la religion de Roger ».

Des funérailles dans la simplicité d’une salle du Centre Afrika, comme si nous étions autour d’un feu de camp animé par Roger, le coureur des bois, l’homme qui préférait la brousse, du Québec ou du Malawi, le technicien de la transformation de la sève de l’érable en sirop, en tire, en sucre selon les méthodes ancestrales.

Jean-François Bélanger et conversation avec une religieuse.

Les Québécois reconnaîtront sur quelques photos le neveu Jean-François Bélanger[1], grand reporter international à la télévision de Radio-Canada qui a donné un témoignage bien senti … et plein d’émotion.


[1] Jean-François Bélanger est reporter national. Il fait ses débuts à la télévision de Radio-Canada à Moncton, en 1989, puis poursuit sa carrière à Paris comme correspondant pour Le Téléjournal et Le Point. En 1997, il revient à Montréal, successivement aux émissions Le Point et Zone libre. Il est correspondant en Afrique de 2001 à 2007. De 2007 à 2010, il est reporter national au Téléjournal. De 2010 à 2014, Jean-François Bélanger est correspondant à Moscou, puis à Paris, de 2014 à 2019. Il sera de retour en Amérique, cette fois, comme correspondant au bureau de Washington. Il est depuis 2021 établit à Montréal.

40e anniversaire de la Fondation du Grand Séminaire de Montréal

Des experts se penchent sur les défis de l’Église lors d’un panel offert dans le cadre du 40e anniversaire de la Fondation du Grand Séminaire de Montréal

La Fondation du Grand Séminaire de Montréal a célébré un moment historique le samedi 4 mai 2024 en commémorant son 40e anniversaire avec un panel d’experts éminents. Sous le thème « En Église, à la rencontre des défis contemporains », cet événement a été une opportunité unique de réflexion et de dialogue. Le panel a captivé un public diversifié d’environ 50 personnes, témoignant ainsi de l’intérêt croissant pour ces questions cruciales.

Yves Guérette, Ellen Roderick, Guy Guindon et Édouard Shatov

Montréal, le 9 mai 2024

La Fondation du Grand Séminaire de Montréal a commémoré son 40e anniversaire avec un panel d’experts réunis le samedi 4 mai 2024. Sous le thème « En Église, à la rencontre des défis contemporains », Ellen Roderick, Yves Guérette, Guy Guindon et Édouard Shatov ont abordé différentes pistes de réflexion, le tout animé par Francis Denis.

L’événement a réuni un public diversifié d’environ 50 personnes, témoignant d’un intérêt certain pour l’exploration des enjeux pressants auxquels fait face l’Église et la société. Le panel, qui s’est tenu au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal, a fourni une tribune pour un dialogue engageant et des réflexions éclairantes sur la manière de naviguer dans les complexités des défis contemporains en Église.

« Ce panel incarne très bien l’esprit de la mission de notre fondation au cours des quatre dernières décennies, celle de composer avec les défis de chaque époque afin d’assurer une formation actualisée et de qualité à tous nos leaders catholiques d’aujourd’hui et de demain, explique Alexandrina Diac, directrice générale de la Fondation du Grand Séminaire de Montréal. Ce moment de partage et de discussion nous a donné l’opportunité de remercier nos donateurs et donatrices pour leur fidèle appui au fil des ans, lequel nous permet d’assurer la pérennité d’une institution plus que nécessaire pour notre Église et notre société. »

Ellen Roderick[1], directrice du Centre diocésain pour le mariage, la vie et la famille, à l’archidiocèse de Montréal, a débuté en faisant un retour sur les fondements théologiques et anthropologiques sur la quête de sens et la vie chrétienne, mettant de l’avant la centralité de la famille et l’importance de considérer les parents comme premiers missionnaires.

De son côté, Yves Guérette[2], professeur à la Faculté de sciences religieuses à l’Université Laval, a pris la parole de façon convaincante afin d’aborder le sujet de la conversion missionnaire de l’Église dans le cadre de ce changement d’époque, permettant également à l’auditoire de mieux faire la distinction entre prosélytisme et mission.

Guy Guindon[3], recteur du Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal a poursuivi en parlant de la formation des leaders catholiques dans une dynamique missionnaire et de l’importance de voir les défis actuels comme des opportunités.

Édouard Shatov[4], directeur du Centre Culture et Foi au Montmartre à Québec, a terminé en invitant les participants à être des témoins crédibles de l’Évangile, en misant toujours sur la vérité, la cohérence, la beauté, l’amour, la confiance afin de passer de l’état de domination à l’état de service et de retrouver la fraicheur de l’Esprit.

Après cette enrichissante discussion et une période de questions avec le public, Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal, a présidé une messe, offrant aux participants une occasion de réflexion spirituelle et de communion. Une réception festive s’en est suivie, avec plusieurs prix de présence pour ceux et celles qui se sont déplacés en personne.

À propos de la Fondation du Grand Séminaire de Montréal

Fondée en 1984 par l’Association des Anciens du Grand Séminaire et un groupe de laïcs, la Fondation soutient concrètement le Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal afin d’offrir une formation de qualité et adaptée à la réalité de ce monde pour toute personne désirant œuvrer en Église ou pour enrichir leur soif de connaissance et de formation personnelle et chrétienne. La Fondation célèbre en 2024 son 40e anniversaire d’existence. Pour en savoir plus ou pour faire un don, visitez le fgsm.org.

Pour toute question ou demande d’information supplémentaire :

Aline Bedros, Torchia Communications – 514-250-2332 – aline@torchiacom.com


[1] Mme Ellen Roderick, Professeure, Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal

[2] Yves Guérette, Directeur de programmes en théologie pratique, Professeur agrégé, Université Laval

[3] M. Guy Guindon, PSS – Recteur, Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal

[4] Édouard Shatov, directeur du Centre Culture et Foi au Montmartre à Québec. Un pèlerin russe au XXIe siècle : Entretiens avec Édouard Shatov

Au sujet de PolySeSouvient

PHOTO : En mars 2021, une quarantaine de membres de familles et de survivants du féminicide du 6 décembre 1989 ont publiquement retiré au Très Honorable premier ministre du Canada, Justin Trudeau, son invitation à prendre part à la cérémonie annuelle qui a lieu chaque année sur le mont Royal à Montréal après qu’il eut brisé sa promesse d’éliminer les armes d’assaut sur le marché canadien. (Sean Kilpatrick/La Presse Canadienne)

PAROLE AUX LECTEURS / LE NOUVELLISTE, 5 mai 2024

L’interdiction des armes d’assaut est le cheval de bataille des familles et des étudiants de Polytechnique depuis 35 ans. D’une lenteur proverbiale, le gouvernement fédéral s’est finalement engagé à retirer du marché de nombreuses armes à feu. Il est maintenant embourbé par le récent refus de Poste Canada de participer au programme d’achat de 140 000 de ces armes. Aura-t-il vraiment le courage politique pour d’atteindre ses objectifs en 2025, en pleine année électorale ?

PolySeSouvient a toujours été actif et exprimé son opinion avec de solides études et preuves à l’appui. Beaucoup de gens se posent des questions à son sujet.

Mise à jour historique de PolySeSouvient

L’histoire de PolySeSouvient en est une de dévouement persistant et de l’engagement militant d’une poignée de fervents bénévoles pour une cause titanesque ; notamment l’abolition complète et définitive de la vente libre et de l’utilisation d’armes à feu de type militaire normalement réservées à l’usage professionnel des soldats de l’armée canadienne.

Ce concept est simple à comprendre. Il n’est pas normal que des armes de guerre soient entre les mains de simples citoyens. Depuis la tragédie du 6 décembre 1989, 80 % des Canadiens appuient, sondage après sondage, le bannissement d’armes à feu semi-automatiques à grande capacité. Trop souvent, aux États-Unis, ces mêmes armes sont utilisées lors de tueries de masse.

Aux yeux de PolySeSouvient, il n’a jamais été question d’empêcher l’achat et l’utilisation d’armes de chasse par des citoyens honnêtes et respectueux des lois. Pourtant, les associations pro-armes cherchent par tous les moyens à discréditer PolySeSouvient par une rhétorique qui frôle les théories conspirationnistes. Comment se peut-il, pensent-ils, qu’une poignée de bénévoles leur tiennent tête? C’est ainsi qu’ils menacent constamment de poursuivre PolySeSouvient lorsque nous dévoilons leurs propres comportements odieux quand, par exemple, ils harcèlent les députés ou les employés de firmes qui travaillent pour le gouvernement sur des aspects complexes concernant le contrôle des armes.

Elles-mêmes largement soutenues financièrement par l’industrie de l’armement, les clubs de tirs et les propriétaires d’armes de poing ou d’assaut, les associations pro-armes dénoncent constamment le financement public de PolySeSouvient sans jamais fournir de preuves. Les pro-armes ne peuvent pas croire qu’on peut être aussi efficace sans bureau ni une grande équipe d’employés. Les demandes d’accès à l’information et les recherches sur Internet concernant le financement de PolySeSouvient abondent !

PolySeSouvient est libre de tout autre intérêt. Aucun membre de PolySeSouvient ne profite personnellement de son militantisme. Notre organisation n’a rien à perdre non plus et nous sommes entièrement autonomes. Nous avons exercé cette liberté de façon magistrale au mois de mars 2021 lorsqu’une quarantaine de membres de familles et de survivants du féminicide du 6 décembre 1989 ont publiquement retiré au Très Honorable premier ministre du Canada, Justin Trudeau, son invitation à prendre part à la cérémonie annuelle qui a lieu chaque année sur le Mont-Royal à Montréal après qu’il ait brisé sa promesse d’éliminer les armes d’assaut sur le marché canadien. Nous refusons tout compromis pour la sécurité publique et nous sommes persistants. La voix des familles endeuillées est sans doute la PLUS CRÉDIBLE de toute autre voix dans ce débat. En effet, Justin Trudeau est finalement revenu sur sa décision en déclarant qu’« on a écouté PolySeSouvient ».

L’épisode le plus douloureux a cependant eu lieu avec la perte de la plupart des mesures adoptées à la fin de l’année 1995 à la suite de l’élection d’un gouvernement majoritaire dirigé par le Parti conservateur du Canada. Or, l’abolition du registre national des armes à feu par le gouvernement de Stephen Harper en 2012, suivi par l’affaiblissement d’une série d’autres mesures en 2015, a été suivie par une augmentation de 43% de crimes violents par armes à feu depuis 2013.

Combats réussis de PolySeSouvient

1) l’instauration d’un registre des armes québécois à la suite à l’abolition du registre fédéral par le gouvernement Harper;

2) des mesures solides pour protéger les victimes de violence conjugale (projet de Loi C-21), comme la révocation automatique du permis de possession d’armes pour tout individu dont les autorités ont des doutes raisonnables de croire qu’il est impliqué dans la violence conjugale, y compris le contrôle coercitif;

3) un gel fédéral sur l’acquisition d’armes de poing – c’est-à-dire un « phase-out » sur deux ou trois générations de la possession de telles armes;

4) et la prohibition d’environ 2000 modèles d’armes d’assaut qui demeurent encore chez leurs propriétaires en attendant le programme de rachat.

Malgré les reculs et les récents progrès, nous devons continuer de nous battre pour concrétiser le libellé de la pétition des étudiants de l’École Polytechnique de Montréal de 1990 qui demandait l’interdiction des armes d’assaut. Cette pétition avait récolté plus d’un demi-million de signatures à une époque où les réseaux sociaux sur internet n’existaient pas. Oui, le combat continue, car l’interdiction décrétée par le gouvernement fédéral en 2020 est incomplète et de nouveaux modèles d’armes d’assaut continuent d’être introduits sur le marché.

Serge St-Arneault, membre de PolySeSouvient, blogueur et journaliste à l’AMéCO.

Brian Mulroney – mes souvenirs

De Serge St-Arneault, Montréal, 23 mars 2024

De fait, je n’ai jamais rencontré Brian Mulroney. Néanmoins, comme les éloges le montrent abondamment à la suite de son décès le 29 février 2024, je porte moi aussi une grande admiration pour cet homme d’État.

J’ai même préparé un repas de fête pour souligner sa réélection en 1988. À cette époque, j’étais de retour au Zaïre après mon ordination sacerdotale en 1987. Je lui avais même écrit une lettre de félicitation envoyée de Gety. C’était un peu insensé. Je me suis souvent demandé ce qui m’avait incité à célébrer la victoire électorale de Brian Mulroney. Je ne pense pas un jour trouver une réponse. Il s’agissait d’une réaction spontanée. Toujours est-il que ce jour-là, nous avons bien mangé.

Ce matin, sous une fine neige tombante, je me suis rendu près de la basilique Notre-Dame située au Vieux Port de Montréal. C’est à ce même endroit, le 11 décembre 1989, qu’ont eu lieu les funérailles des 14 victimes de la tragédie de la Polytechnique. J’étais alors absent.

Du fond de la brousse africaine, j’ai eu écho du drame en écoutant les nouvelles radiophoniques sur Radio-Canada International. Faute de moyen de communication rapide à cette époque, ce n’est que deux semaines plus tard que j’ai reçu la nouvelle qu’Annie était l’une de celles qui avaient été tuées. Il m’a fallu deux autres semaines pour organiser un voyage imprévu vers le Canada.

Aujourd’hui donc, j’ai voulu être présent au moment des funérailles de Brian Mulroney même si cela était réservé aux invités de marque sélectionnés par la famille. Néanmoins, de la rue adjacente, j’ai pu voir au loin ce qui se passait. C’est à ce même endroit que le premier ministre du Canada, le très honorable Brian Mulroney, était présent lors des funérailles nationales des victimes du féminicide du 6 décembre 1989. Et c’est grâce à lui que de nouvelles mesures pour un meilleur contrôle des armes à feu ont vu le jour au Canada.

Loi C-17 en 1991

Cette loi a modifié le Code criminel et d’autres lois liées aux armes à feu. Elle a été adoptée en réponse à la fusillade de l’École polytechnique de Montréal en 1989. En faveur du contrôle des armes à feu, le leadership de Brian Mulroney a été déterminant pour l’adoption par son gouvernement en 1991 de la Loi C-17 sur les armes à feu.

Cette loi a introduit des restrictions plus strictes sur la possession et l’utilisation d’armes à feu au Canada. Elle a notamment créé la catégorie des armes restreintes et a imposé des exigences plus rigoureuses pour l’obtention de permis de possession d’armes à feu.

Le registre national des armes à feu au Canada a été mis en place en 1995 en vertu de cette Loi. Cependant, en 2012, le gouvernement fédéral dirigé par Stephen Harper a aboli ce registre. À noter qu’il s’agissait de deux gouvernements de la même formation politique, l’un plus ‘progressiste’ et l’autre ‘réformiste’.

Basilique Saint-Patrick

Je suis allé à la basilique Saint-Patrick vendredi après-midi où reposait en chapelle ardente Brian Mulroney. Le service de sécurité était bien visible, efficace et très courtois. Il n’y avait pas foule.

Cela m’a permis de saluer Mark Mulroney, l’un de ses quatre enfants. Je lui ai brièvement expliqué combien les membres de ma famille avaient apprécié son intervention sur la question du contrôle des armes à feu, lui qui était présent lors des funérailles nationales du 11 décembre 1989 à la basilique Notre-Dame. Mark a apprécié ma confidence; « Je me souviendrai de vos paroles. Merci ».

Je me suis approché du cercueil où était déposé le drapeau du Canada. Une légère émotion sacrée m’a envahie lorsque j’ai brièvement touché ce drapeau.

Merci, Monsieur Brian Mulroney. Que Dieu vous récompense pour le don de votre vie pour un monde meilleur, ici au Canada, et ailleurs dans le monde.

LIENS

À la mémoire du très honorable Brian Mulroney, C.P., C.C., G.O.Q.

Le blasphème de Denis Villeneuve

Le Devoir, 9 mars 2024. Jean-François Lisée, auteur et chroniqueur, a dirigé le PQ de 2016 à 2018.

Le premier thème développé par Jean-François Lisée dans son article est celui du juron « tabarnak » que Denis Villeneuve a cherché en vain à faire dire à l’acteur Josh Brolin. L’authenticité du ton n’y était pas !

Plus sérieusement, selon Lisée, « Villeneuve invente deux fractures (dans son film) : une entre les jeunes, religio-sceptiques, et les vieux, croyants ; une autre entre les nordistes, laïcs, et les sudistes, fondamentalistes. On croirait le Québécois de la loi 21 juger durement l’obscurantisme des Américains de la Bible Belt ».

Villeneuve au micro de Patrick Masbourian précise qu’« une des idées principales de la Révolution tranquille au Québec a été de dissocier cette société laïque là, qui s’est éloignée du joug de l’Église. […] Le Québec a été un laboratoire extraordinaire pour ça, et je pense que c’est là où je pourrais dire que mon adaptation à une sensibilité québécoise ».

Une sensibilité québécoise = un laboratoire extraordinaire !

Lisée ajoute que « l’irrévérence anticatholique des Cyniques de sa jeunesse sourd dans une scène — inimaginable dans le livre — où Villeneuve se moque du discours circulaire religieux ». (…) Villeneuve « en profite pour infuser une œuvre phare de la culture occidentale de convictions laïques, antimonarchistes et féministes forgées dans son Québec natal, ce « laboratoire extraordinaire ».

La Révolution tranquille, toujours et partout !

J’ai souvent abordé le thème de la Révolution tranquille et ce qu’elle a représenté pour moi dans mon adolescence. Un souvenir d’enfance illustre aussi ce propos : Qu’est qu’on est venu faire icitte ?

Dans le témoignage de MA RÉVOLUTION TRANQUILLE (MA RÉVOLUTION TRANQUILLE, SUITE), j’ai soulevé comment les Cyniques ont joué un rôle crucial à l’époque de la Révolution tranquille qui fut un « laboratoire extraordinaire », aux dires de Denis Villeneuve. À tel point qu’une soixantaine d’année plus tard, l’adaptation d’un roman de science-fiction publié aux États-Unis en 1965 par écrivain Frank Herbert, intitulé Dune, soit imagé par un talentueux metteur en scène qui a grandi dans ce « laboratoire extraordinaire » issue d’une société qui « s’est éloigné du joug de l’Église ».

Frank Herbert a écrit son roman où son imaginaire littéraire créait un monde en transformation qui se déroulait au même moment avec frénésie au Québec. Intéressant !

Le ridicule

Selon Lisée, Villeneuve a réussi à tourner les croyants en ridicule. C’est précisément le rôle qu’ont joué les Cyniques avec brio. Le ridicule provoque le rire, la moquerie, la dérision. À ce titre, le ridicule libère du carcan imposé par une structure dominante. Elle est une soupape qui permet d’évacuer la rancœur et cicatrise les blessures émotionnelles.

Or, la saga romanesque de Dune aborde beaucoup plus de thèmes dont l’écologie planétaire, l’organisation politique et religieuse, les rivalités politiques et économiques, l’accessibilité aux ressources, l’intelligence artificielle, les robots intelligents, les manipulations génétiques, le mysticisme et le contrôle des religions pour guider la population.

Frank Herbert a étonnamment été inspiré pour aborder tant de thèmes qui sont aujourd’hui si cruciaux. En serait-il de même de notre « laboratoire extraordinaire » à la sauce québécoise dont les jurons proverbiaux sont devenus légendaires ?

Le joug de l’Église

Il me semble que le joug de l’Église qui a été dénoncé lors de la Révolution tranquille est précisément cette tentative de tout contrôler, jusqu’à la chambre à coucher. Ce contrôle n’existe plus au Québec. Les gens, même les croyants, gardent maintenant leur distance et se méfient.

Les tentatives de contrôle viennent d’ailleurs, telles que les théories de complots. Gilles Petel l’explique abondamment dans son livre Pandémie et complotisme.

Je crois sincèrement que le message du Christ, son Évangile, est avant tout un message de libération. Aussi lourde soit-elle par ses 2000 ans d’histoire, je constate que l’institution de l’Église évolue. Cette évolution s’accompagne de tensions, voire d’oppositions. Nous devons garder en mémoire que la recherche du contrôle, donc de la domination, sera toujours un danger pour l’Église. N’oublions pas que les idéologies religieuses et politiques sont par définition des mécanismes de contrôle.

Même si les lois sont souhaitables pour forger une cohésion sociale, manifestées par des appropriations culturelles d’une extrême variété et richesse, c’est l’esprit de la loi qui importe.

C’est la loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus. (Rm, 8, 2)

C’est par l’Esprit que de la foi nous attendons la justice espérée. (Ga 5, 5)

L’Esprit-Saint, l’avez-vous reçu pour avoir écouté le message de la foi ? (Ga 3, 2)

Armes à feu et violence conjugale : Ensemble Montréal, PolySeSouvient et Halte-Femmes Montréal-Nord unissent leur voix 

Photo : Gabriel Comby, étudiant de Polytechnique, Stephanie Valenzuela, porte-parole de l’Opposition officielle en matière de condition féminine, Nathalie Provost, Heidi Rathjen, Serge St-Arneault, Sophie Lemay, directrice générale de l’organisme Halte-Femmes Montréal-Nord, Stéphane Rouillon et Abdelhaq Sari, porte-parole de l’Opposition officielle en matière de sécurité publique

Comme en 2019, PolySeSouvient était présent lors d’une conférence de presse tenue à l’Hôtel de Ville de Montréal et organisée par le parti municipal Ensemble Montréal à l’occasion de la Journée mondiale des droits des Femmes.  Le but de ce rassemblement était de réclamer une plus forte réglementation et des protocoles efficaces en lien avec la problématique de la violence conjugale, en plus d’interdire les armes d’assaut et d’introduire d’autres mesures pour venir en aide aux victimes.

PolySeSouvient a de nouveau plaidé auprès de la mairesse Valérie Plante de faire pression sur le gouvernement Trudeau pour une interdiction complète des armes d’assaut. On se souvient que les interventions de Valérie Plante ont été déterminantes pour le gel des armes de poing.

LIENS

Local groups call for action on domestic violence and firearms

Prix Shirlez Greenberg pour PolySeSouvient

Nathalie Croteau et Heidi Rathjen sont les récipiendaires, au nom de PolySeSouvient, d’un prix de reconnaissance de l’Association Nationale Femmes et Droit (ANFD) (National Association of Women and the Law). Ce prestigieux « Prix Shirlez Greenberg » est octroyé pour souligner le 50e anniversaire de cette association qui dirige une coalition de groupes de femmes ayant soutenu le projet de loi C-21.

Collaborant de près avec ANFD depuis plusieurs années, ce prix reconnaît officiellement la contribution de PolySeSouvient dans leur soutien à l’ANFD.

Le travail d’intérêt public de PolySeSouvient a pour objectif de soutenir une réflexion soutenue auprès du public et pousser nos gouvernements à légiférer pour un meilleur contrôle des armes à feu au Québec et au Canada. Heidi Rathjen, Nathalie Provost et leur petite équipe de soutien se sont investis dans cette cause depuis 34 ans !

Encourageons PolySeSouvient !

Malgré l’adoption du C-21, la lutte n’est pas finie. PolySeSouvient va continuer de se battre pour interdire, une fois pour toute, les armes d’assaut au Canada. En effet, des centaines de modèles demeurent encore légaux.

LIENS

Polytechnique survivors honoured for making women safer from gun violence.

The Gazette, Feb 29, 2024

Nathalie Provost and Heidi Rathjen have lobbied for stricter gun control for 34 years. « It takes a lot of courage and leadership to be able to achieve what they have done, » says the National Association of Women and the Law.

NAWL celebrates 50 years of feminist law reform. MONDAY, MARCH 4, 2024 | THE HILL TIMES