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Il y a urgence d’interdire les armes de poing au Canada

Boufeldja Benabdallah, Cofondateur et porte-parole du Centre culturel islamique de Québec,

Le Devoir, 29 janvier 2021

Le 29 janvier 2021, quatre années se seront écoulées depuis qu’un jeune homme a utilisé une arme de poing et cinq chargeurs de dix balles qu’il possédait légalement pour tuer six de nos frères, en blesser sévèrement cinq autres, dont un qui est devenu paraplégique, et traumatiser à vie 35 autres rescapés, dont trois enfants en plus des centaines de fidèles fréquentant la Grande Mosquée de Québec — le tout en moins de deux minutes.

Les libéraux ont depuis promis d’interdire les armes d’assaut et ont concrétisé cet engagement par une série de décrets annoncés en mai 2020. Nous reconnaissons ces efforts et en sommes très reconnaissants, bien que nous continuions d’exhorter le gouvernement à compléter l’interdiction et à l’enchâsser dans la loi, ainsi qu’à déployer un programme de rachat obligatoire qui retirera l’ensemble de ces armes de notre société.

Aujourd’hui cependant, le même pistolet et les mêmes chargeurs de dix balles utilisés à la mosquée demeurent tout aussi disponibles qu’en janvier 2017.

Pourtant, en 2015, le Parti libéral a été élu sur la base de la promesse de « débarrasser nos rues des armes de poing et des armes d’assaut ». Et en 2019, il a promis de « donner aux municipalités la capacité de restreindre ou d’interdire les armes de poing ». Bien que nous considérions des interdictions municipales comme étant extrêmement malavisées et préférions une interdiction pancanadienne (comme le souhaitent par ailleurs aussi 69 % des Canadiens), nous ne pouvons que déplorer l’absence totale de progrès législatif en lien avec les armes de poing.

Ventes en hausse

Faute d’une action de la part du gouvernement, le nombre d’armes de poing continue d’augmenter à des niveaux records. Selon les données gouvernementales, il y avait plus d’un million (1 054 164) d’armes de poing enregistrées au Canada en 2019. C’est environ 630 000 armes de plus qu’en 2012 (il y en avait alors 467 146).

En ce qui concerne l’année 2020, le manufacturier Glock a tout récemment déclaré que ses ventes de pistolets ont connu une augmentation sans précédent au Canada, et ce, grâce à la demande élevée pour le même modèle qui a été utilisé dans le cadre du massacre à notre mosquée, soit le pistolet G17 Gen 5, outre le plus petit modèle G19 Gen 4 fait spécialement pour s’adapter aux lois canadiennes.

En somme, le nombre d’armes de poing au Canada a plus que doublé dans les dix dernières années seulement.

Pourtant, les sondages montrent invariablement qu’environ 7 Canadiens sur 10 appuient l’interdiction des armes de poing. Nos concitoyens et concitoyennes reconnaissent, comme nous, les risques associés à la prolifération des armes de poing. Outre la catastrophe flagrante au sud de la frontière causée par l’accès facile à ce type d’armes, il est évident qu’il s’agit d’objets particulièrement dangereux, vu la facilité avec laquelle ils peuvent être dissimulés ainsi que la puissance de tir et les caractères militaires de certains modèles.

Les armes de poing sont le type d’armes à feu le plus souvent utilisé au Canada pour commettre des homicides, soit 57 % des 249 homicides par balles en 2018.

De nombreuses armes de poing utilisées dans des crimes arrivent illégalement des États-Unis, comme le pistolet Glock faisant partie de l’arsenal utilisé par le tireur en Nouvelle-Écosse en avril 2020. En même temps, de nombreuses armes sont volées à leurs propriétaires légaux, comme le Smith & Wesson M&P40 utilisé à Danforth en juillet 2018. En effet, entre 2001 et 2017, quelque 9000 armes de poing ont été volées à leurs propriétaires légaux, dont environ 1000 seulement ont été récupérées. Près de 8000 d’entre elles demeurent donc, par définition, entre les mains de criminels.

Il arrive aussi que ces armes soient achetées légalement par des intermédiaires puis vendues illégalement, ou qu’elles soient, comme dans notre cas, utilisées par leurs propriétaires légaux… D’où l’importance de combattre simultanément l’accès légal et l’accès illégal.

De plus, rien n’a été fait pour éliminer la disponibilité des chargeurs qui sont facilement modifiables pour contenir plus de balles que la limite légale. En plus des auteurs des tragédies à notre mosquée, à Moncton et au Métropolis à Montréal, l’homme qui a fait quatre morts, dont deux policiers, à Fredericton en 2018 avait aussi modifié son chargeur pour qu’il tire plus de balles que la limite légale.

Les chargeurs de dix balles ne servent pas à la chasse ni au tir sportif légitime, mais ils facilitent les tueries de masse. Pire, la loi encadrant les chargeurs est depuis longtemps devenue inadéquate, étant donné les échappatoires et les mauvaises interprétations qui ont vu le jour à travers les années. Il est temps de corriger ces failles et de limiter le nombre maximal de balles à cinq, sans exception, comme le veulent 71 % des Canadiens.

Nous applaudissons sans réserve les importantes avancées en matière de contrôle des armes mises en avant par le gouvernement libéral actuel. Cela dit, il ne nous est pas possible de passer sous silence la question criante des armes de poing : six ans après la première promesse des libéraux, quatre ans après la tuerie à notre mosquée, deux ans et demi après la tuerie à Danforth, rien n’a encore changé en ce qui concerne la disponibilité et la possession des armes de poing au Canada, pendant que leur nombre ne cesse de croître.

TUERIE À LA MOSQUÉE DE QUÉBEC: UNE COMMÉMORATION SOUS LE SIGNE DE L’UNITÉ ET DE LA RÉFLEXION

Tuerie à la mosquée de Québec: une commémoration sous le signe de l’unité et de la réflexion

Caroline Plante – La Presse canadienne à Québec, 30 janvier 2021

Plus de 600 personnes ont assisté en ligne vendredi à la commémoration du quatrième anniversaire de l’attentat à la grande mosquée de Québec qui a fait 6 morts et 19 blessés le 29 janvier 2017.

Ce soir-là, Mamadou Tanou Barry, Ibrahima Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane et Aboubaker Thabti sont tombés sous les balles. Ils ont laissé derrière eux 17 orphelins.

Vendredi, plusieurs personnalités ont pris la parole, dont la championne nationale de slam poésie Véronica Rioux, qui, en plus de se dire outrée du massacre à Québec, a rappelé la mort odieuse en 2020 de George Floyd aux États-Unis, et celle de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette.

« C’est assez », a-t-elle lancé, découvrant ainsi le véritable thème de la soirée. « Hurlons à l’unisson que nous honnissons le racisme », s’est permis le maire de Québec, Régis Labeaume. « Décidons ensemble que toute forme d’intolérance, de racisme nous est collectivement interdite. »

« Notre population […] continuera à se métisser. Le racisme à Québec, c’est non, pas question. Le racisme, c’est assez », a tonné le maire. « C’est une journée pour se rappeler de ne jamais baisser la garde face à la haine », a ajouté le premier ministre François Legault dans un message préenregistré.

Entre deux discours, des versets du Coran et une minute de silence, des hommes blessés dans la tuerie à la grande mosquée sont venus rappeler toutes les séquelles physiques et psychologiques de la tragédie et dire que, comme la COVID-19, le racisme et l’islamophobie existent bel et bien.

« Je ne suis pas capable d’effacer les images, a témoigné Mohamed Khabar, qui a été atteint de deux balles le soir du 29 janvier 2017 et qui dit vivre avec la crainte que cela se reproduise. J’ai vu mes frères tomber […] et j’ai entendu les cris incroyables de frayeur des enfants qui étaient présents. »

Selon le président du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), Abderrahim Loukili, tant qu’on ne peut pas répondre avec assurance que oui, la communauté musulmane est à l’abri d’un autre drame, c’est qu’« il reste encore du travail à faire ».

Plus tôt en conférence de presse, une des organisatrices de la commémoration, Maryam Bessiri, a déclaré que l’événement se voulait un « appel à la réflexion […] de cette société inclusive qu’on veut mettre en place ». « C’est beaucoup plus qu’un devoir de mémoire », a-t-elle insisté.

À ses côtés, Sébastien Bouchard a déploré que le gouvernement du Québec n’ait toujours pas reconnu l’existence du racisme systémique et de l’islamophobie. Le cofondateur du CCIQ, Boufeldja Benabdallah, a prié M. Legault de sortir du « déni ».

LETTRE DE BOUFELDJA BENABDALLAH ADRESSÉE AU PREMIER MINISTRE DU CANADA

M. Bouchard a néanmoins souligné les mesures annoncées par Québec l’automne dernier afin de lutter contre le racisme. Il a dit espérer « que ces mesures se transformeront en actions concrètes ».

Une minute de silence à Ottawa

À Ottawa, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a officiellement décrété le 29 janvier comme Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie.

« L’élimination de l’islamophobie est un pilier important de la stratégie canadienne de lutte contre le racisme », a déclaré M. Trudeau dans un communiqué diffusé vendredi pour marquer l’anniversaire de la tragédie.

En conférence de presse, il a eu ce message pour les familles des victimes, et pour tous les membres de la communauté musulmane : « Je sais que ça fait encore mal. Au nom de tous les Canadiens, on est solidaires avec vous. »

« Les commentaires racistes, les propos haineux, les insultes des trolls, la désinformation, que ce soit en ligne ou ailleurs, ont des conséquences réelles. Il faut en être conscient, et il faut continuer d’agir. »

La Chambre des communes a également tenu une minute de silence en hommage aux victimes.