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Des survivantes de Polytechnique ne veulent plus être vues avec Trudeau

Extrêmement déçues par le nouveau projet de loi d’Ottawa sur le contrôle des armes à feu, une trentaine de survivantes et proches de victimes de la tuerie de Polytechnique demandent à Justin Trudeau de ne plus apparaître à leurs côtés lors des commémorations futures.

TRISTAN PÉLOQUIN, LA PRESSE, Publié le 18 mars 2021

« Ça suffit, les belles photos de monsieur Trudeau avec le regard larmoyant à nos côtés », lance Nathalie Provost, une survivante de la tuerie qui a cosigné la lettre ouverte acheminée au premier ministre mercredi.

« Si vous poursuivez avec ce projet de loi, plus jamais nous n’accepterons de vous recevoir à nos côtés lorsque nous pleurerons la mort de nos filles, de nos sœurs, de nos amies, lors des commémorations annuelles », promet la lettre envoyée au premier ministre.

Les 33 signataires reprochent au gouvernement d’essayer de « duper » la population avec du « verbiage politique et des slogans accrocheurs » avec son nouveau projet de loi C-21, qu’ils décrivent comme une « trahison ». Ce projet de loi, déposé en février, permettra aux propriétaires de plus de 1500 modèles d’armes à feu « de type militaire » de conserver leurs armes selon des conditions plus strictes. Il leur sera notamment interdit de les utiliser dans des champs de tir, de les léguer ou de les vendre, d’en acquérir de nouvelles ou d’en importer. Ils devront aussi obtenir un permis de possession d’arme à autorisation restreinte, les enregistrer et se conformer à des règles d’entreposage plus contraignantes.

En 2019, M. Trudeau avait lui-même promis, lors de la cérémonie commémorative marquant le 30e anniversaire de la tuerie de Polytechnique, de « renforcer le contrôle des armes à feu en éliminant et en interdisant les armes d’assaut de style militaire ». « Nous avons un consensus clair à la Chambre des communes, nous avons un consensus clair à travers le pays », avait-il déclaré, devant une foule largement composée de survivantes du drame et de leurs proches.

Son gouvernement a ensuite annoncé, en mai dernier, qu’il souhaitait interdire ces armes « conçues expressément pour les soldats et pour tuer des gens ». Le Ruger Mini-14, utilisé par le tueur de Polytechnique, et la VZ58, arme que possédait le tueur de la Grande Mosquée de Québec (mais qui s’est enrayée) figurent dans la liste des armes désormais prohibées.

Le gouvernement Trudeau a cependant mis de l’eau dans son vin en février, en annonçant une forme de « clause grand-père » (clause de droits acquis) pour permettre aux propriétaires actuels de ces armes semi-automatiques « de type militaire » de les conserver.

Un programme de rachat de 250 millions de dollars, prévu par le gouvernement pour retirer ces armes des mains des propriétaires, devient de ce fait volontaire.

M. Trudeau a indiqué qu’il « remerci[ait] les signataires de la lettre et leur répondra[it] directement ». « Nous partageons leur volonté de resserrer le contrôle des armes à feu au pays et nous les remercions pour leur travail et leur engagement », a-t-il affirmé dans une déclaration transmise par son attachée de presse Ann-Clara Vaillancourt.

« Ces armes sont des outils qui ont été conçus spécifiquement pour tuer le plus de gens possible, le plus rapidement possible, et elles n’ont pas leur place dans notre société. Depuis le 1er mai 2020, il est illégal d’utiliser, d’acheter, de vendre, de transférer ou de léguer des armes d’assaut de style militaire dans notre pays. Nous allons continuer d’écouter et de travailler avec les provinces, les municipalités, et les parties prenantes qui veulent resserrer le contrôle des armes à feu », ajoute la déclaration.

Influence du lobby des armes

Jean-François Larrivée, l’un des cosignataires de la lettre dont la femme est morte sous les balles lors du drame de Polytechnique, déplore qu’« aucune des tragédies, que ce soit celle de Polytechnique, celle de Dawson ou celle de la mosquée de Québec, n’aurait été empêchée avec ce projet de loi du gouvernement Trudeau ».

« Les tueurs responsables de ces tragédies avaient tous des armes légalement acquises. Si le gouvernement ne rend pas son programme de rachat des armes d’assaut obligatoire, ou s’il n’exige pas qu’elles soient rendues inopérantes, en coulant par exemple du plomb dans le canon, rien n’empêchera une personne dont deux fils se touchent dans la tête de provoquer un drame semblable. Ce n’est pas un simple édit gouvernemental qui interdit leur utilisation qui va empêcher des drames de se produire », croit-il.

Pour Mme Provost, qui milite depuis des années pour l’interdiction des armes d’assaut, « le puissant lobby des armes à feu a fini par gagner ».

Le projet de loi C-21 s’est aussi attiré les critiques de nombreuses municipalités du gouvernement québécois, parce qu’il délègue aux villes le pouvoir d’interdire les armes de poing. La ministre de la Sécurité publique du Québec, Geneviève Guilbault, s’est dite « agacée » par cette délégation de pouvoir aux quelque 1100 municipalités de la province, qui risque selon elle de créer de la « confusion ».

« Réalisez-vous que votre projet de loi vise à créer une mosaïque de plus de 3000 législations auprès de municipalités qui n’ont jamais demandé et qui ne veulent pas de ce pouvoir ? », demandent les cosignataires à M. Trudeau, qui y voient un « fardeau inutile sur les épaules des élus municipaux ».

Avec Mélanie Marquis, La Presse

LIENS :

VIDEO Radio-Canada

Canadian Press

Updated – Montreal

Canadian Press: update – Canada

CBC – English

Presse canadienne française

Le Metro – lettre publiée

Metro 

Welland Tribune

RADIO ICI Radio-Canada Hugo Lavoie

Radio 98.5 

Des familles de Polytechnique menacent de déclarer Trudeau « persona non grata »

Des survivantes, des familles et des témoins touchés par le drame de Polytechnique ont l’impression d’avoir été utilisés par le gouvernement libéral.

Louis Blouin, Radio-Canada

Le premier ministre du Canada est accusé « d’abandonner » et de « trahir » les victimes de violence par armes à feu et leurs proches. Dans une lettre cinglante adressée à Justin Trudeau, des survivantes et des proches de femmes tuées lors du drame de Polytechnique lui demandent de revoir de fond en comble son projet de loi C-21 sur le contrôle des armes.

Le ton de la longue missive, dont Radio-Canada a obtenu copie, est très dur.

Nous tenons, par la présente, à vous exprimer notre colère à l’endroit du lamentable projet de loi C-21, peut-on lire d’entrée de jeu dans la lettre envoyée à Justin Trudeau. L’absence d’un programme de rachat obligatoire pour les armes d’assaut interdites au printemps 2020 est au cœur des critiques.

Les signataires accusent le gouvernement libéral d’hypocrisie. Bien que vous et votre gouvernement puissiez sans doute duper une importante partie de la population avec du verbiage politique et des slogans accrocheurs, vous ne pouvez pas duper les familles et les survivants qui se battent depuis plus de 30 ans pour le contrôle des armes, peut-on lire dans la lettre.

Elle contient aussi une mise en garde claire : si Justin Trudeau ne modifie pas substantiellement sa proposition législative sur le contrôle des armes, il ne sera plus le bienvenu aux commémorations du drame de Polytechnique du 6 décembre 1989.

Une trentaine de personnes ont signé la lettre, dont une quinzaine de proches de victimes du drame de Polytechnique, ainsi que des survivantes et des témoins.

Le gouvernement Trudeau maintient que son approche est la bonne en matière de contrôle des armes à feu.

Si Justin Trudeau a participé aux commémorations du 6 décembre ces dernières années à Montréal, l’accueil pourrait être bien différent la prochaine fois. Jean-François Larivée, qui a perdu son épouse Maryse Laganière le 6 décembre 1989, ne mâche pas ses mots envers le premier ministre.

Nathalie Provost, une survivante de la tuerie, en rajoute : Pour moi, il n’est plus le bienvenu là. Je n’irai plus le saluer. Je n’accepterai plus ses bons mots de condoléances ou de sympathie […]. Pour moi, ça devient de l’hypocrisie de le répéter fois après fois et de ne pas faire les gestes qui sont efficaces.

Je dois vous avouer qu’on se sent utilisés, affirme Nathalie Provost.

Un sentiment que partage Jean-François Larivée. Ils se sont servis de ce qu’on disait, de ce qu’on faisait, pour avoir plus de votes et, finalement, ils nous trahissent parce que le projet de loi qui est déposé, là, ce n’est absolument rien. C’est de la poudre aux yeux, c’est un écran de fumée, affirme-t-il.

Un projet de loi critiqué

Le groupe PolySeSouvient aimerait que l’interdiction des armes d’assaut annoncée au printemps dernier soit accompagnée d’un programme de rachat obligatoire, plutôt que facultatif. Selon ce qui est prévu dans le projet de loi C-21, les propriétaires des armes proscrites ne seraient pas forcés de les rendre aux autorités en échange d’une compensation et pourraient les conserver, sans les utiliser, à condition de les entreposer de manière sécuritaire.

Les signataires déplorent que, selon le plan libéral, ces armes demeurent en circulation; ils craignent qu’un éventuel gouvernement conservateur puisse annuler cette interdiction.

Demain, dans une semaine, dans un an, les tueurs de Polytechnique, de Dawson ou de la mosquée, tous détenteurs de permis de possession et propriétaires d’armes d’assaut acquises légalement, pourraient commettre les mêmes massacres avec les mêmes armes et les mêmes chargeurs à grande capacité, est-il écrit dans la lettre. Non, nous ne serons pas plus en sécurité grâce à votre projet de loi.

Ottawa garde le cap

Dans une déclaration écrite, le bureau du premier ministre a remercié les signataires de la lettre et s’est engagé à leur répondre directement. Nous allons continuer d’écouter et de travailler avec les provinces, les municipalités, et les parties prenantes qui veulent resserrer le contrôle des armes à feu, a-t-on ajouté.

Le projet de loi, comme tel, nous sommes persuadés que c’est la bonne approche à prendre, affirme de son côté Joël Lightbound, secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique. Il rappelle que les groupes intéressés pourront s’exprimer en comité parlementaire et assure que le gouvernement sera à l’écoute.

M. Lightbound réitère que des programmes de rachat obligatoire des armes d’assaut ont eu des résultats mitigés dans d’autres pays, comme la Nouvelle-Zélande. Le tiers des armes leur a été rendu, les deux tiers sont toujours en circulation, souligne-t-il.

Au Canada, les propriétaires qui veulent conserver les armes interdites devront les enregistrer et ne pourront pas les utiliser, ajoute-t-il. Je comprends la douleur des familles des victimes qui veulent qu’on en fasse toujours plus, explique-t-il.

PolySeSouvient aimerait aussi voir une interdiction des armes de poing à l’échelle nationale, alors que le gouvernement Trudeau veut laisser le soin aux villes, individuellement, de les interdire sur leur territoire. Ce fardeau n’incombe pas aux villes, selon les signataires. Assumez vos propres responsabilités, monsieur le premier ministre! lancent-ils.

À Ottawa, les troupes bloquistes ont déjà laissé entendre qu’elles avaient l’intention de proposer des changements au projet de loi C-21 en comité parlementaire pour que le programme de rachat des armes d’assaut de type militaire soit obligatoire. Selon la députée Kristina Michaud, le gouvernement Trudeau doit faire preuve de courage une fois pour toutesS’il est pour un resserrement du contrôle des armes d’assaut, il doit rendre le programme de rachat obligatoire, comme nous le lui demandons, a-t-elle ajouté.

Le Nouveau Parti démocratique, de son côté, déplore que le projet de loi C-21 manque cruellement de mordant, en matière de lutte contre le trafic d’armes, notamment. Toutefois, il ne fait pas du programme de rachat obligatoire une condition sine qua non pour l’appuyer.

À la mi-février, le Parti conservateur avait réitéré son opposition à un régime d’interdiction des armes d’assaut et à un programme de rachat pour les propriétaires. Le fait de retirer leurs armes aux citoyens respectueux des lois ne fait rien pour arrêter les dangereux criminels et les gangs qui obtiennent leurs armes illégalement, avait alors déclaré le lieutenant politique d’Erin O’Toole au Québec, le député Richard Martel.

Pour Nathalie Provost, c’est la bataille de la dernière chance pour obtenir une loi plus musclée en matière de contrôle des armes. Si ce projet de loi est adopté [dans sa forme actuelle], pour nous, c’est comme un combat perdu complètement. C’est 30 ans de militantisme perdus. Trente ans d’engagement, trente ans de convictions, perdus, dit-elle.

On allait avoir un château en pierre, puis on a fini avec un château de cartes qu’un simple souffle des conservateurs va pouvoir détruire, s’inquiète Jean-François Larivée.