De contrôle imposé à responsabilisation accrue: l’enjeu des armes à feu

Le Nouvelliste, Le vendredi 1er décembre

Le rassemblement prévu par le groupe Tous contre un registre des armes à feu n’aura finalement pas lieu sur le site du parc du 6-Décembre-1989 près de l’Université de Montréal. Le tollé provoqué par cette annonce aura eu gain de cause contre ce groupe proarmes. Celui-ci revendique le droit de s’exprimer. Alors que ce droit leur est accordé pourquoi donc faire des revendications sur un lieu hautement symbolique qui n’a jamais été autre chose qu’un lieu de souvenir, de commémoration et de soutien pour les familles victimes d’armes à feu?

Guy Morin a le mérite d’avoir provoqué tout le monde. «Ça fait 28 ans, dit-il, qu’ils (Poly se souvient) sont instrumentalisés. Nous, on veut que ça s’arrête, l’instrumentation de ces gens-là à des fins pécuniaires et politiques, pour passer à un autre agenda.» Mais à qui s’adresse-t-il? Ne s’est-il pas lui-même laissé instrumentaliser par les puissants lobbies proarmes qui nagent dans des millions alors que ces «gens-là» n’ont à vrai dire que leur argent de poche? Guy Morin ne fait-il pas lui-même de la politique en arborant ses propos dans les médias?

Selon ses dires Guy Morin veut démontrer que «Poly se souvient» utilise chaque année l’événement de la Polytechnique pour ramasser de l’argent, exiger un meilleur contrôle des armes à feu et sauver des vies. J’accorde à M. Morin deux bonnes réponses sur trois. Il est vrai que la vie des citoyens serait mieux protégée avec un registre pour les armes à feu. Cela a été prouvé depuis le démantèlement de la loi de 1995 sur le contrôle des armes à feu, votée en 2012 sous le gouvernement Harper. En effet, selon Statistique Canada, le nombre de décès reliés aux armes à feu a augmenté pour la troisième année consécutive. Là où Guy Morin se trompe, c’est que Poly se souvient ne ramasse pas d’argent lors de la commémoration du 6 décembre 1989.

Il veut nous tendre la main pour qu’ensemble nous puissions passer à un autre agenda. Je n’ai rien contre cela. Mais comment faire confiance à une main tendue quand l’autre tient une arme à feu? Nous aimerions tous, lui et moi, que les propriétaires d’armes à feu soient vraiment des gens garants de l’entreposage et de l’utilisation responsable de toutes leurs armes à feu. Malheureusement, Guy Morin a saboté un possible climat de collaboration en celui d’un affrontement, d’une opposition.

De quoi s’agit-il donc? En vertu de la nouvelle loi 64 sur l’immatriculation des armes à feu, toute arme à feu sur le territoire du Québec doit être immatriculée avec un numéro unique et inscrite à un fichier. Les transactions devront être signalées et l’arme pourrait être saisie en cas d’infraction. De toute évidence, et cela a été sans cesse répété, Poly se souvient n’est pas contre les propriétaires d’armes, ni contre la chasse, ni contre le tir sportif. Tout ce qui est demandé est la mise en place d’un système de contrôle raisonnable d’objets qui sont d’abord conçus pour tuer. Les proarmes s’acharnent à dénoncer ce registre des armes à feu en imaginant qu’il y a là un «contrôle excessif». Voilà l’erreur! Il n’y a rien d’excessif à mettre en place des lois civilisées pour protéger les vies humaines. Il y a beaucoup de lois imposées aux propriétaires de voiture pour assurer la sécurité publique. Nous comprenons tous que c’est pour notre protection même si on chiale de temps en temps. On sait que c’est pour notre bien.

À vrai dire, ce qui pose problème est le mot «contrôle». Qui aime se faire contrôler? Même un enfant va un jour exiger de ses parents de le laisser faire: «Je suis capable!» Et si on changeait le mot «contrôle» pour le mot «responsabilité». Au lieu de parler de «contrôle des armes à feu», nous pourrions avoir une loi de «responsabilisation des détenteurs d’armes à feu» en leur permettant de participer ou de devenir des acteurs dans la prévention du crime et des accidents reliés à la possession d’armes à feu.

L’enregistrement des armes et l’assurance de garder ces armes dans des lieux sécuritaires (à la maison ou en déplacement) deviendraient non pas une obligation imposée, mais relèveraient de la responsabilité participative des propriétaires d’armes à feu. Ceux-ci deviendraient alors des collaborateurs pour la santé et de la sécurité publique, en partenariat avec la police.

On pourrait étendre ce concept vers l’idée que nous serions les deux mains d’un même corps qui lutte contre le mal; les victimes et les propriétaires d’armes à feu uni dans un même but, celui de la prévention et de la responsabilité sociale. D’ennemis, nous deviendrions des amis!

Malheureusement, cela semble utopique. Mon intuition est simplement de dire que certains propriétaires d’armes à feu s’opposent au «contrôle» (sous toutes ses formes!), mais pas nécessairement à l’idée de détenir le ‘pouvoir’ de protéger les gens (femmes, enfants, personnes vulnérables) au service de la loi et de l’ordre.

Détenir une arme à feu, c’est détenir un «pouvoir». Le détenteur de ce pouvoir peut l’utiliser sagement ou en abuser. Il faut donc constamment se rappeler que pouvoir et domination sont souvent proches l’un de l’autre. D’où la nécessité de la loi pour la responsabilisation accrue des détenteurs d’armes à feu pour la protection des citoyens.

Je reviens à la main tendue de Guy Morin que je ne connais pas. Je n’ai aucune raison de croire qu’il est un méchant garçon, mais j’ai peur de lui. Là est la conséquence de mon traumatisme depuis l’assassinat de ma sœur Annie à la Polytechnique. Aurais-je un jour l’occasion de lui tendre ma main? Dès maintenant, même de loin, je la lui tends. C’est celle d’un prêtre catholique qui le bénit. Là est ma seule arme!

Serge St-Arneault, M.Afr

Frère d’Annie, tuée le 6 décembre 1989

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