Le Nouvelliste, novembre 2017 Mis à jour le 1er décembre 2017
AUDREY TREMBLAY, Le Nouvelliste
La Tuque — Le Latuquois Serge St-Arneault, qui a perdu sa sœur Annie lors de la tragédie de l’école Polytechnique, s’est présenté à Ottawa, jeudi, avec un groupe de personnes pour implorer le premier ministre de ne pas céder aux pressions du lobby proarmes. Justin Trudeau avait promis de resserrer les règles en matière de contrôle des armes à feu, et il n’a pas livré la marchandise. La lenteur de son gouvernement à légiférer inquiète vivement des survivants de fusillades et des proches de personnes tombées sous les balles.
La déception qu’ils étaient venus exprimer entassés sur l’estrade d’une salle du parlement frôlait la désillusion. D’une seule voix, ils ont exhorté le gouvernement à déposer sans plus tarder un projet de loi sur le contrôle des armes à feu. «C’est une joute hautement politique et complexe. Je ne veux pas condamner le gouvernement des efforts qu’il fait. On voulait partager notre inquiétude et on encourage le gouvernement à aller de l’avant dans son projet […] Comme société, nous devons grandir dans la coresponsabilité, le souci des uns des autres et la protection des plus vulnérables», a lancé M. St-Arneault.
La coordonnatrice de Polysesouvient et diplômée de Polytechnique, Heidi Rathjen, a dit être sortie fort inquiète d’une récente rencontre avec le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale. Selon elle, contrairement à ce qu’a récemment suggéré le ministre, les travaux du comité aviseur sur les armes avancent à pas de tortue.
Sans trop vouloir spéculer sur les raisons de la lenteur libérale à agir, elle dit avoir peine à voir un autre facteur explicatif que la pression du lobby proarmes. Elle soupçonne que «tous ces petits délais, ces petits reculs» sont attribuables «aux objections des propriétaires d’armes».
Serge St-Arneault abonde dans le même sens alors qu’approche le 28e anniversaire de la tragédie qui coûté la vie de sa sœur Annie le 6 décembre 1989.
«Je sais que le lobby des armes est fort et bruyant, mais votre parti, monsieur le premier ministre, a été élu majoritaire, entre autres, pour votre promesse de renverser les dommages causés par le gouvernement Harper», a-t-il dit lorsqu’il a pris la parole au micro.
«Vous avez un mandat de la population. Ne faites pas de compromis – surtout pas pour plaire au lobby des armes. Renforcez les lois de manière à (accorder la priorité à) la sécurité publique», a fait valoir Serge St-Arneault.
Ce dernier n’est pas sans rappeler que Polysesouvient n’est pas contre les propriétaires d’armes, ni contre la chasse, ni contre le tir sportif… Ce qu’il demande, c’est la mise en place d’un système de contrôle raisonnable.
«Il y a des mécanismes de contrôle pour les automobilistes, c’est une question de sécurité publique, il y a des feux rouges, des policiers, des permis de conduire. […] C’est dans ce sens-là qu’on devrait comprendre le type de contrôle qu’on veut pour les armes à feu qui sont en soi de nature dangereuse parce qu’une arme c’est faite pour tuer», a-t-il lancé.
«Le message global est bien compris par l’ensemble de la population canadienne, mais farouchement débattu par les groupes proarmes qui ne veulent aucun contrôle de quelque nature que ce soit. Pour nous, c’est une minorité […] Ces gens-là ont beaucoup d’influence, on le voit très bien dans certains partis politiques. Ils ont une idéologie et une vision des choses qui, pour nous, semble aller à l’encontre de la sécurité publique», a ajouté M. St-Arneault.
Dans une lettre d’opinion publiée vendredi dans Le Nouvelliste, il n’a pas manqué de dénoncer l’idée du groupe de pression Tous contre un registre des armes à feu (TCRAF) d’avoir voulu faire un rassemblement sur le site du parc du 6 décembre 1989. Le débat a suscité de nombreux commentaires, parfois même haineux, sur les réseaux sociaux. «La radicalisation commence souvent par un langage et finit par un drame», a-t-il commenté.
Serge St-Arneault se questionne également sur les propos tenus par Guy Morin, du groupe TCRAF, qui parle d’instrumentalisation de Polysesouvient à des fins pécuniaires et politiques.

«On n’a rien. On est de simples citoyens conscients de l’ampleur du problème. Les citoyens investissent l’argent de leurs proches pour une cause qui leur tient à cœur», a-t-il répliqué.
«On a vécu des drames, et les drames ont parfois comme conséquences le rapprochement des gens qui ont une souffrance commune, et ce, malgré toutes les différences. On se retrouve solidaire», a mentionné M. St-Arneault.Le groupe Polysesouvient, qui milite depuis des années pour un meilleur contrôle des armes, s’est trouvé de nouveaux alliés: la communauté musulmane, toujours ébranlée par la fusillade à la mosquée de Québec.
Un survivant de la tragédie qui a fait six victimes, Nizar Ghali, était à Ottawa pour une première apparition publique depuis la tuerie. «J’ai vécu ce drame, j’ai vu la force de destruction de ces armes à feu. J’ai vu mes frères tomber et mourir dans leur flaque de sang», a-t-il lâché.
L’impatience et le désarroi s’entendaient aussi dans la voix du père de Thierry LeRoux, ce policier tué dans l’exercice de ses fonctions en 2016 à Lac-Simon, en Abitibi, dans le cadre d’une opération qui a mal tourné. «Thierry a été tué par un individu ayant des antécédents suicidaires connus qui n’aurait jamais dû être en possession d’armes à feu. Le système actuel lui a permis de posséder des armes légales, incluant un fusil d’assaut», a laissé tomber Michel LeRoux.
«Cette tragédie, la mort de Thierry, celle du tueur, est arrivée parce que le système actuel favorise les armes à feu, les propriétaires d’armes à feu, au détriment de la sécurité publique. C’est assez, il faut que ça change maintenant», a-t-il tranché.
Le ministre Goodale a reconnu en mêlée de presse qu’un projet de loi ne serait pas déposé d’ici la fin de l’année. Mais il a promis que le gouvernement maintenait le cap et comptait toujours présenter une trousse législative conforme à la plateforme électorale.
Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi la promesse libérale prenait autant de temps à se matérialiser, il a laissé entendre que beaucoup d’autres dossiers dans son portfolio à la Sécurité publique l’avaient tenu occupé ces deux dernières années.
Le ministre Goodale a par ailleurs nié subir des pressions indues ou exagérées en provenance du lobby proarmes. Il a insisté sur le fait qu’il était normal, dans une société comme le Canada, d’entendre les points de vue de tous.
Avec La Presse Canadienne

Une réflexion sur « Armes: «Ne faites pas de compromis» »