Par Serge St-Arneault, M.Afr, 28 décembre 2021
Notre récente évolution sociale
Je vous parle d’un temps que les moins de 60 ans ne connaissent pas. Ma génération dite des bébés boomers a vécu la fin d’une époque; celle d’une société canadienne-française tricotée serrée peuplée de familles nombreuses, catholiques et francophones. Jusqu’à mes dix ans, la messe était célébrée en latin. Les prières enrobaient mystérieusement un sens du sacré sous le regard d’un Dieu omniprésent. La peur de tomber dans le péché ainsi que les lois et obligations de l’Église permettaient de tracer un chemin menant au salut. Il s’agissait de suivre le courant.
Or, ce courant a brusquement changé de direction au tournant de ladite Révolution tranquille du Québec. Mes neveux et nièces n’ont aucune expérience de cette époque. La rupture est réelle et normale. Les liens si importants avec les membres de la parenté au village ancestral de Saint-Adelphe ne sont plus possibles. Sauf quelques cousines et cousins, la majorité de cette parenté est enterrée au cimetière du village.
Un vieil immeuble qui se lézarde
La pratique religieuse, jadis si importante, s’est drastiquement effondrée. Depuis bientôt deux ans, les mesures sanitaires provoquées par la pandémie de la Covid-19 ont pour effet de réduire encore davantage le nombre de croyants qui persistaient à se rendre à l’église. La foi chrétienne semble être comme un vieil immeuble qui se lézarde avant de tomber. À cela s’ajoute le silence médiatique de la structure pyramidale de l’Église que, de toute façon, personne n’écoute.
Le monde a changé
Selon le père Joseph De Mijolla, prêtre français de 83 ans; « Nous sommes dans une extension de science et de technique qui n’en finit pas et qui est irréversible. (…) Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas seulement le résultat d’un renouvellement générationnel, mais d’un basculement civilisationnel et anthropologique sans précédent. »
Dans une large mesure, il en est de même au Québec. De plus, la technologie numérique annonce l’éclosion d’un monde parallèle visuel qui occupera de plus en plus notre quotidien. Bientôt, il nous sera possible de créer des personnages numériques dont la réalité dite augmentée rivalisera avec nos cinq sens grâce à une réalité virtuelle ultraréaliste. Préparez-vous, le métavers1 s’en vient!
Le changement déstabilisateur
Les structures qui défient l’épreuve du temps sont celles qui parviennent à s’adapter, à innover, à se réinventer. Tout est constamment en évolution même au sein d’une tradition millénaire. Nous devons alors distinguer l’essentiel de l’accessoire. La messe en latin a fait place aux langues vernaculaires. Ce changement, fruit du Concile Vatican II, a permis l’accessibilité de la parole de Dieu, de l’Évangile, à des millions de croyants. Le carcan d’un rituel liturgique immuable a laissé place à une éclosion extraordinaire de nouveaux chants et expressions rituelles plus significatives. Je le sais pour l’avoir vécu en Afrique, tout particulièrement en République Démocratique du Congo.
Ces changements n’enlèvent pourtant rien à l’essentiel du rituel de la célébration eucharistique. Or, un certain nombre, attaché à la tradition, a joint des mouvements plus conservateurs tel que les catholiques lefebvristes. D’autres, les plus nombreux, ont carrément quitté le bateau pour voguer sur d’autres océans de l’éventail spirituel mondial ou, tout simplement, décidé d’être seuls à bord.
L’inévitabilité des changements
L’accélération des changements des récentes décennies n’est que le prélude de changements plus importants en gestation. Notre écosystème planétaire est aux abois. Les changements climatiques se font de plus en plus sentir; inondations, feu de forêt, tornades, etc. Des populations entières sont en mouvement migratoire pour fuir l’oppression, la guerre, la pauvreté.
La pression exercée de ces mouvements migratoires sur les pays plus nantis, comme le nôtre, provoque des réactions défensives dont carbure un nationalisme étroit d’extrême droite. La polarisation des opinions, particulièrement politiques, s’accentue, particulièrement aux États-Unis. Cela n’augure rien de pacifique.
Un renouveau spirituel est possible
Je demeure néanmoins persuadé que l’Église Catholique peut encore être pertinente dans notre monde malgré les crises qui mine sa crédibilité depuis quelques décennies. Même si des voix discordantes se font entendre en son sein, la route du renouveau est tracée sous le leadership du pape François.
En effet, ayant appris que tout vient du Père et que tout nous est donné en son Fils Jésus, l’Esprit Saint continu de nous inspirer pour mieux partager la joie de notre foi chrétienne et à constamment la redécouvrir.
Notre attention ne se tourne pas vers la structure millénaire de l’Église, mais vers le message initial de Jésus, l’homme de Nazareth. L’Église restera l’Église de Dieu tant et aussi longtemps qu’elle proclamera humblement le message révolutionnaire de l’Évangile.
Selon le père Joseph De Mijolla, « nous avons besoin non seulement de la foi, mais de folle spontanéité dans la foi, d’inventivité dans la foi, dans les mots, les actes, les gestes, les images, les silences, l’amour et le respect… La spontanéité délicate de l’Esprit Saint. »
Conclusion
J’ai été ordonné prêtre en 1987 après quelques années d’études en Angleterre. L’ouverture à l’internationalité est ce que je cherchais et c’est ce que j’ai expérimenté au sein de la Société des Missionnaires d’Afrique. Nous sommes une famille spirituelle issue de la vision du Cardinal Lavigerie, archevêque de Cartage et d’Alger à la fin du XIXe siècle. Infiniment reconnaissant de cet héritage, j’ai la ferme conviction que mon sacerdoce repose avant tout sur mon désir de vivre mon appel missionnaire en fidélité avec le message de Jésus. Les Missionnaires d’Afrique me donne l’encadrement nécessaire pour réaliser ma vocation. Grand merci!
Nous avons tous besoin d’être structuré ou encadré en tant que société et individu. C’est le propre de l’évolution socio-économique des peuples. Malheureusement, il peut arriver qu’une structure sombre dans des formes d’aliénation. Cela peut être le cas de régimes politiques, économiques, culturels, familiaux ou religieux. Il faut alors avoir le courage de les condamner et de proposer des alternatives. Rien ne doit être figé dans le béton. C’est à ce niveau que la foi chrétienne est inconfortable, même au cœur de la vie de l’Église structurée. Elle se doit d’être en perpétuelle réformation.
Qui sait? D’ici quelques années, certains de nos rassemblements dominicaux se feront sur le métavers où il sera possible de se retrouver dans une immense salle virtuelle pour célébrer la messe. De la même manière que nous recevons en temps réel la bénédiction papale urbi et ordi2, la pandémie nous a appris qu’il est possible de communier spirituellement au corps du Christ en suivant la messe sur un écran de télévision. La foi se doit d’être inventive. Ayons confiance!
Dernière remarque
Nous n’avons pas célébré la fête de Noël en famille cette année, pandémie oblige. Les décorations, normalement si abondantes, ont pratiquement disparu, sinon incontestablement diminuées, surtout devant les maisons et le long des rues. Les églises sont restées vides. Nous sommes loin des Noëls de mon enfance. L’ambiance n’y est plus, ou presque. Les baby-boomers se font vieux et c’est tant mieux. La frénésie des cadeaux s’est atténuée. Les pères Noël de rouge vêtu rient jaune, eux qui prenaient tout l’espace visuel au détriment de l’enfant de la crèche. La fête de Noël a enfin une chance de redevenir spirituellement significative. C’est mon espoir! Et vous?
- Le «métavers» (contraction de méta-univers, «metaverse» en anglais), est une sorte de doublure numérique du monde physique, accessible via internet. Ce concept, qui n’en est qu’à ses balbutiements, doit permettre de se libérer des contraintes physiques en multipliant les interactions humaines via la 3D.
- Une bénédiction urbi et orbi est une bénédiction solennelle, prononcée par le pape à certaines occasions religieuses importantes du culte catholique, spécialement les jours de Pâques et de Noël. Elle est précédée d’un message et assortie d’une indulgence plénière. Dans la pratique actuelle, elle est prononcée depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre, dans l’État du Vatican.
AUTRES LIENS :
QU’EST-CE QU’ON EST VENU FAIRE ICITTE?
Gérard Bouchard, 31 décembre 2021
Historien, sociologue, écrivain, Gérard Bouchard enseigne à l’Université du Québec à Chicoutimi dans les programmes d’histoire, de sociologie/anthropologie, de science politique et de coopération internationale. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires collectifs.
JULIE JAMMOT, AGENCE FRANCE-PRESSE, La Presse, 7 janvier 2022
(Las Vegas) « Qu’est-ce que le métavers sans les sensations ? C’est juste des avatars », lance José Fuertes, dont la veste haptique, garnie de capteurs, permet de sentir aussi bien les câlins que les coups de poing en réalité virtuelle.