En route vers Québec en suivant une portion du Chemin du Roy, la 138, je me suis brièvement arrêté à Deschambault en souvenir d’un même arrêt que j’avais fait avec mes parents en 2011 chez Huguette Vaillancourt, une amie. L’église Saint-Joseph, située sur la rue de la Salle, attire immédiatement l’attention.
Selon le site internet Deschambault-Grondines ; L’église de Saint-Joseph, érigée sur un promontoire qui domine le fleuve Saint-Laurent nommé cap Lauzon, s’élève au cœur d’un ensemble religieux catholique comprenant aussi deux anciens presbytères, le cimetière, l’ancienne salle des habitants et l’ancien couvent, entourés de vastes espaces verts plantés d’arbres.
Voir aussi l’itinéraire 3D de l’intérieur de l’église sur le site suivant :
Débutée en 1834, la construction de l’église s’est achevée en 1838. Il s’agit du deuxième bâtiment depuis l’arrivée des premiers habitants en 1688. Le décor choisi par l’architecte Thomas Baillairgé (1791-1859) est de style néoclassique.
De nos jours, comme cinq autres lieux de culte de la région, cette église figure sur le parcours Les Voies du Sacré qui est offert aux touristes. Dès l’entrée, les regards se dirigent vers un immense crucifix.
Je suis alors témoin de l’arrivée de deux mamans avec un groupe de jeunes enfants. Plusieurs d’entre eux pointent du doigt ce crucifix. Une fille d’environ dix ans semble troublée. Que voit-elle ? Elle voit un homme suspendu et ensanglanté.
Elle pointe de nouveau son doigt vers une toile accrochée au mur qui ceinture l’église. Il s’agit du chemin de croix1. Tout s’est déroulé très vite. À peine entré, aussitôt sorti. Une visite touristique vite faite ! Mais, qui était cet homme ? Ces enfants le sauront-ils un jour ?
Qu’est-ce que la singularité ?
Depuis un certain temps, je suis fasciné par un terme qui, à première vue, semble étrange et peu familier; la singularité. Cette notion se déploie dans de nombreuses sphères.
Dans les domaines des sciences sociales, elle est par définition ce qui échappe à la classification, ce qui est unique, spécifique, et incomparable. Omniprésente dans nos sociétés, la singularité devient un point de rencontre novateur entre la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, le droit, les études littéraires et la philosophie.
Dans nos sociétés occidentales, la singularité est étroitement liée à l’individualité. Elle n’est pas seulement une propriété, mais aussi une valeur. L’idéal de réalisation de soi pousse les individus vers l’authenticité, la différence et l’épanouissement.
Ensciences de la complexité, la singularité interroge la science au-delà de ses frontières. Elle est à la fois défi et mystère. La singularité émerge lorsque les lois habituelles ne s’appliquent plus, lorsque les règles de la complexité se dérobent. Elle nous invite à explorer les limites de notre compréhension scientifique. C’est ainsi qu’en physique, la singularitérevêt un autre sens. C’est une rupture des règles familières, un point d’inflexion où notre compréhension atteint ses limites. D’ailleurs, entre la relativité générale et la mécanique quantique, il existe une incompatibilité fondamentale, qualifiée de singularité.
En somme, la singularité est un concept qui transcende les disciplines scientifiques, nous invitant à repousser les frontières de notre compréhension2. Exemples : les trous noirs, les étoiles à neutrons, les pulsars et les quasars. Ainsi, notre univers observable est un théâtre de singularités fascinantes, chacune nous offrant un aperçu unique de la physique et de la cosmologie.
La singularité renvoie à ce qui est unique, exceptionnel, et ne peut pas être généralisé. C’est ce qui échappe à la règle commune, à la catégorisation habituelle.
Dans le domaine philosophique, la singularité est liée à l’individu,à ce qui le distingue des autres. Elle est souvent associée à l’existence concrète et à l’expérience personnelle3. La singularité concerne l’unicité et l’individualité.
Ensciences informatiques, la singularité technologique est un concept fascinant qui suscite à la fois l’enthousiasme et l’inquiétude. Elles englobent divers scénarios tels que l’Intelligence Artificielle (IA) qui s’autoaméliore, la possibilité de fusionner un cerveau avec un ordinateur, l’émergence d’une entité dotée d’une intelligence surpassant largement celle de tous les humains combinés, etc.
La singularité technologique soulève des questions éthiques, sociales et philosophiques. Comment gérer une IA surpassant notre propre intelligence ? Quelles seront les implications pour l’emploi, la vie quotidienne et la sécurité ?
La singularité d’un point de vue spirituel
Dans le domaine des soins palliatifs, la dimension spirituelle est réintégrée dans l’approche des patients. Elle reconnaît que l’être humain n’est pas seulement biologique et psychologique, mais aussi spirituel. Prendre soin d’une personne implique de considérer sa singularité, ses besoins spirituels et sa quête de sens. L’accompagnement spirituel devient essentiel pour maintenir la qualité relationnelle et l’humanité dans les soins4.
Dans les traditions spirituelles, la singularité peut être explorée à travers la vision intérieure. Lorsque nous détournons notre attention du monde extérieur pour nous approcher de la spiritualité, nous commençons à percevoir les mondes intérieurs et le sacré.
Dans la spiritualité, la singularité réside dans l’expérience personnelle de la transcendance, de la prière, de la méditation ou de la communion avec le divin. La singularité spirituelle respecte la liberté individuelle. Chaque personne a sa propre quête, sa propre relation avec le sacré. L’accompagnement spirituel doit se faire dans le respect de cette singularité, sans imposer de croyances ou de dogmes.
En somme, la singularité spirituelle existe, et elle nous invite à reconnaître la profondeur de chaque être humain au-delà de sa réalité matérielle.
Conceptions de la singularité dans les traditions religieuses
Dans le contexte du dialogue entre croyants de différentes religions, la singularité se manifeste par la reconnaissance de l’unicité de chaque tradition. Chaque foi a sa propre voie vers le divin, ses rituels, ses textes sacrés et ses pratiques. Le dialogue interreligieux permet alors d’explorer ces singularités tout en cherchant des points communs, des valeurs partagées et des compréhensions mutuelles5. Chaque croyant est complémentaire à l’unité de l’ensemble. La singularité des individus s’intègre ainsi dans la diversité de la communauté religieuse et la singularité dans les traditions religieuses nous rappelle la richesse de l’expérience spirituelle et la diversité des voies vers le sacré.
La Singularité de l’Incarnation
Dans le christianisme, la singularité réside dans l’incarnation du Christ. Jésus est vu comme le Fils unique de Dieu, l’unique médiateur entre Dieu et l’humanité. Cette singularité divine-humaine est au cœur de la foi chrétienne.
Les crucifix pointés du doigt par les enfants
À leur niveau, les enfants ont vécu une singularité dans le sens d’une expérience personnelle unique qui les a peut-être perturbés. En effet, voir un homme cloué sur une croix pour la première fois et un événement singulier en soi.
Nos églises ne sont plus des lieux de transmission du patrimoine spirituel de nos ancêtres. Quelques touristes les visitent pendant la saison estivale, sans plus. Les mamans de ces enfants ne pouvaient probablement pas leur donner une explication au sujet de ce crucifié, encore moins un enseignement.
De fait, il y a eu deux croix. La première datait de 1936 et la second de 1982. Elles sont maintenant réunies et bien visibles près de la porte d’entrée du Salon Bleu que j’ai visité en 2019.
Le sang versé par Jésus sur la croix a une portée universelle et revêt une singularité exceptionnelle. Par son sang, il a détruit le mur de la haine qui divise les humains (Lettre de Paul aux Éphésiens, 2, 13-18). Il nous a réconcilié avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix. C’est lui, le Christ, qui est notre paix.
Comment expliquer ça aux enfants qui pointent du doigt un crucifix ? Ce jour-là, dans l’église de Deschambault, avant même d’avoir le temps de me poser la question, les deux mamans et leurs enfants étaient déjà sortis.
Le Chemin de Croix est une tradition profondément enracinée dans l’Église catholique, mais elle est également présente dans d’autres confessions chrétiennes. Chaque station représente un moment précis de la passion de Jésus, offrant aux croyants l’opportunité de méditer sur les enseignements de Jésus et de grandir dans leur foi. ↩︎
(Ottawa) Un important groupe de contrôle des armes à feu craint que le gouvernement libéral n’abandonne son engagement à promulguer une interdiction complète des armes à feu de type assaut, citant l’absence de progrès tangible sur les étapes clés pour tenir cet engagement.
NATHALIE PROVOST, Survivante de la tuerie de l’École polytechnique en 1989 et porte-parole de PolyseSouvient
La Presse, 23 juillet 2024. La récente tentative d’assassinat contre l’ancien président Donald J. Trump a ravivé les appels à l’interdiction des armes d’assaut aux États-Unis alors que le tireur s’est servi d’une arme AR‑15 légalement acquise.
Avec Marie, toutes les femmes en majesté, tous les hommes avec ferveur portent son étendard pour la protection de l’humanité.
Le 19 juin dernier, trois représentant du Centre Afrika, Freddy Kyombo, David Gnadouwa et Serge St-Arneault, ont répondu à l’invitation de Gabriela Guilbeau Maltez, vice-présidente de Femmes Internationales Murs Brisés Canada (un réseau d’entraide mondial regroupant 360 millions de personnes dans 108 pays), pour participer à la soirée L’heure de Marie.
Cette soirée s’est tenue au Centre de Méditation L’Émergence de Montréal situé au 7501, rue Saint-Denis à Montréal. Ce centre est une véritable oasis de paix à Montréal, un lieu de ressourcement et d’apprentissage qui offre gratuitement des cours de méditation, des conférences, ainsi que des ateliers pour guider le développement spirituel.
Dès notre arrivée, nous avons apprécié cet espace de tranquillité caractérisé par des couleurs apaisantes enveloppées d’une douce musique. Pas besoin de souliers pour marcher sur les tapis qui couvrent l’entièreté des salles. Souriante, Gabriela nous a servi de l’eau fraîche.
C’est là que Marie a rassemblé tous ses enfants qui ont partagé l’importance qu’elle occupe selon la tradition des différentes communautés de foi. Pour les uns, Marie est Maryam. Pour d’autres, elle est Tara, Shakti, Mary ou Pachamama.
L’heure de Marie rassemble ainsi toutes les croyances, religions et philosophies et propose une évocation universelle dirigée vers Marie, Mère de l’humanité.
Olivier Béraneck, Directeur Éducation FIMB Canada, a présidé à l’ouverture de la soirée qui a été animée par Éric Le Reste, coordonnateur des Centres Brahma Kumaris au Canada qui a magistralement traduit les propos de l’invité d’honneur de la soirée, sister Gayatri Naraine, représentante des Brahma Kumaris de New York aux États-Unis. Elle est venue de là spécialement pour cette soirée.
De ses propos, je retiens avant tout le grand respect qu’elle a envers Marie qu’elle prie chaque jour même si elle est issue de l’hindouisme.
La soirée a débuté avec une chorégraphie de Sébastien Martineau, formateur à l’Académie des Ambassadeurs de la Paix. La soirée s’est terminée avec le chant de l’Ave Maria, chanté par Carmina Franco, Mezzo-soprano, accompagné de Gabriel Dachi-Béraneck, pianiste.
Conclusion
Cette soirée m’a fait du bien. Je me réjouis de découvrir que Marie a une portée universelle. Elle est reconnue et appréciée de multiples façons dans différents courants religieux. Marie, Mère de l’humanité, est une humble personne qui a ouvert tout son être à l’accueil d’une invitation divine qui a donné naissance à un Fils unique pour toute l’humanité. Marie est l’exemple parfait d’une figure apaisante et unificatrice dans un monde profondément divisé. Tous, quelle que soit notre allégeance religieuse, et même sans aucune d’entre-elles, nous pouvons évoquer celle qui est un modèle d’incarnation de l’Amour inconditionnel.
Sister Gayatri Naraine, accompagnée d’une amie des Brahma Kumaris, a clôturé la soirée en offrant un petit gâteau enrobé de coconutz blanc à l’image de tous les habits blancs portés par elles.
— Nous avons préparé ces petits gâteaux hier soir par amour spécialement pour vous. À votre rythme, en silence et en nous regardant dans les yeux, vous êtes invités à partager cette communion de paix.
Le rassemblement mondial de toutes les croyances, religions, spiritualités et philosophies dirigées vers Marie chaque jour à midi.
« Murs Brisés » Nous créons des ponts !
Depuis 1990, FIMB est un réseau de réseaux, partenaires et indépendants, aconfessionnel et apolitique.
Notre vocation : la protection de la vie dans tous ses aspects.
Les valeurs élevées sont le cœur de nos actions : droiture, respect de soi et d’autrui, patience, persévérance, goût du travail bien fait, tolérance, concentration et calme.
Dans ce monde en perte de repères, grâce à leur sensibilité et leur volonté d’engagement, les femmes sont une puissance au service de l’humanité.
En ces temps de détresse où tout vacille, la puissance invocatoire de Marie, Mère de l’humanité, est universellement reconnue. Elle ouvre la voie du rassemblement pour un monde meilleur.
Dans le respect des diversités, l’heure de Marie invite à un appel d’urgence pour la protection de l’humanité et de la planète. C’est un rassemblement mondial de toutes les croyances, religions, spiritualités et philosophies dirigées vers Marie chaque jour à midi.
Beaucoup de personnes sans croyance particulière sont touchées par la noble figure de la Mère de l’humanité. Elle est le creuset qui accueille toute intention de paix. Les femmes, grâce à leur sensibilité, se sentent tout simplement proches d’elle, car elle est l’essence même de l’identité féminine. Quant aux hommes, beaucoup la vénèrent. La plupart des religions, traditions et philosophies donnent une place à Marie. Elles la reconnaissent en général comme un modèle d’incarnation de l’Amour inconditionnel.
L’heure de Marie propose, tous les jours à midi ou à un autre instant de votre convenance, une invocation universelle avec la participation de tous, car ces temps troublés réclament un appel d’urgence dirigé vers Marie. Votre signature ou votre contribution à une action de votre choix aide au rassemblement de cette puissance de recueillement.
Oublions nos différences pour être, ensemble avec Marie, les artisans de la protection de l’humanité et de la planète. Du fond du cœur, merci pour votre participation.
Dans cet article, Dieudonné Rizinde Mahirwe, M.Afr, mène une réflexion critique sur les droits de l’homme. Ceux-ci sont-ils véritablement universels ? Est-ce que tous les humains en bénéficient de manière égale ? Aborder ces questions permet de créer des conditions propices à l’élaboration de nouveaux récits. (Texte original en espagnol, édition française par Serge St-Arneault, M.Afr)
Dieudonné Rizinde Mahirwe, à gauche, en compagnie de son confrère d’Emmanuel Barongo à Guadalajara.
Par Dieudonné Rizinde Mahirwe, M.Afr Prêtre missionnaire au sein de la Société des Missionnaires d’Afrique, le père Rizinde est originaire de la République Démocratique du Congo. Après quelques années de ministère en Zambie, il a poursuivi ses études en philosophie au Mexique. Il est actuellement recteur du centre de formation des Missionnaires d’Afrique à Guadalajara pour les jeunes mexicains qui se préparent eux aussi à devenir missionnaires.
Introduction
La Déclaration des droits de l’homme, proclamée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unis en 1948, semble contenir les conditions idéales pour créer un monde épris de liberté, de justice, de paix et de dignité. Le premier article de ladite déclaration illustre la nécessité de ne plus répéter les erreurs qui ont provoqué le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Europe.
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits et, doués de raison et de conscience, ils doivent se comporter fraternellement entre eux. »
Désormais, les peuples créeraient un monde gouverné par l’esprit, comme celui du sensus comunis1. Les droits universels sont d’ailleurs inscrits dans de nombreuses constitutions et les normes sont appliquées dans beaucoup de pays. Cependant, un soupçon persiste selon lequel les droits de l’homme sont « une sorte de chimère » pour de nombreux Noirs en Afrique et ailleurs, c’est-à-dire les afrodescendants, qui ne bénéficient pas de ces droits à part entière. Tel qu’ils ont été conçus, tout indique que les droits détiennent une clé ou une conceptualisation (une intentionnalité) du colonialisme et de l’inégalité intrinsèque.
La problématique de la migration et le défi de générer de nouveaux récits sont étroitement liés à la conception et aux applications des droits tels que définis par la charte des Nations unies. Quoi qu’il en soit, les défis migratoires auxquels sont confrontés les pays du Nord et du Sud à l’égard des migrants doivent être analysés selon une vision systémique du racisme qui prévaut dans les instances institutionnelles mondiales.
Des questions surgissent : – Pour qui les législateurs formulent-ils une loi et contre qui ? – Les droits sont-ils écrits pour bénéficier de manière égale à tous ou sont-ils accordés uniquement aux privilégiés ? Qu’en est-il tout particulièrement des droits des migrants ? – Les droits ont-ils été mystifiés par les experts afin de restreindre leurs applications grâce à des concepts idéologiques ? – Quel est le récit de ces milliers d’oubliés, hommes, femmes et enfants, qui peuplent les camps de réfugiés ou qui risquent leur vie sur de frêles bateaux sur la mer Méditerranée ou dans le Rio Grande ?
Il est nécessaire d’admettre que l’origine du problème migratoire mondial réside dans le racisme, la corruption et le monopole des privilèges juridiques. Un nouveau récit2 doit émerger avec une prise de conscience de la racine de ce phénomène.
Conditions pour l’émergence de nouveaux récits
L’émergence de nouveaux récits s’impose dans le contexte de vastes crises migratoires où la tromperie omniprésente se confirme au niveau des vicissitudes politiques, sociales, psychologiques et économiques. Ignorer l’implication profonde du problème de l’immigration et son impact sur le champ juridico-politique montre la persistance de la « mauvaise foi3 ».
L’émergence de nouveaux récits devient alors impossible. En effet, le problème migratoire est délibérément traité sans sérieux par les décideurs en manque de volonté politique. Cet échec remet sévèrement en question la pertinence des relations internationales, les avancées significatives en matière de droits, de liberté et de dignité humaine décrétées dans les accords interétatiques et les chartes fondatrices des Nations unies sur la migration et la protection des personnes et de leurs droits.
Les nouveaux récits sur la migration ne peuvent donc pas se contenter de rester en périphérie sans mettre en lumière l’imbrication entre les échecs juridico-politiques et la précarité existentielle. La thèse implicite ou explicitée de cette analyse critique révèle l’existence dramatique d’un cercle vicieux.
Il ne fait aucun doute qu’une impasse existe lorsque la législation elle-même devient un problème ontologique qui confirme le racisme systémique, la xénophobie et la discrimination régionale. Un cercle vicieux se crée dans un environnement dominé par le capitalisme occidental où un droit instaure presque automatiquement de nouvelles formes de violence.
Une redéfinition des droits de l’homme s’impose pour permettre l’émergence de nouveaux récits. L’exclusion des victimes permet aux décideurs d’imposer leur volonté en évitant d’aborder la légalité véritable des lois ou en utilisant la juridiction de manière arbitraire. N’étant pas égaux, les gens sont traités comme s’ils étaient des marchandises ou des proies faciles, cause de cas d’extermination, de viol, d’enlèvement et de meurtre. De fait, le problème réside dans l’acte du législateur.
Expérience personnelle
Lorsque je vivais à Rugari, mon village natal situé à l’est de la République démocratique du Congo, il était évident pour moi que les gens étaient égaux. Nos parents nous ont appris qu’il n’y avait aucune différence entre un Asiatique, un Européen, un Américain et un Africain. Nous sommes tous des êtres humains partageant la même essence constitutive.
Nous avons eu la chance de côtoyer des missionnaires catholiques polonais même si leur connaissance de la langue française ou de notre langue locale, le kiswahili, était minimale. Au-delà de la couleur de leur peau, de leurs cheveux et de leur comportement, ils étaient semblables à nous.
Cette première notion d’anthropologie implicite s’est avérée être une bénédiction pour moi en tant que religieux missionnaire présentement au Mexique. Cette expérience me convainc que vivre dans un environnement multiethnique est un enrichissement surprenant. Pourtant, dans mon pays d’origine qui est composé de plus de 300 ethnies, la coexistence interethnique est encore loin d’être considérée comme une bénédiction.
Origine de la désintégration identitaire
D’après mon expérience personnelle, le problème de la désintégration ethnique est indicateur d’une difficulté de générer son propre récit lorsque l’on se trouve dans une condition d’extrême vulnérabilité.
De fait, tous les immigrés ou réfugiés sont confrontés à une crise similaire d’identité raciale ou nationale. Le danger est qu’ils soient exclus ou sans défense dans un cadre juridico-politique non sécuritaire.
Ce qui m’a été inculqué par mes parents dès mon plus jeune âge a eu un impact positif sur moi. Ainsi, lors de ma présentation à l’examen d’État qui marquait la fermeture de mes études secondaires en 1996, je n’ai souffert d’aucun complexe identitaire lorsque je vivais dans la famille d’une ethnie différente de la mienne même si les enfants de cette famille n’ont pas pris la peine de faciliter mon intégration dans leur foyer. Une intégration de cette nature est pourtant perçue et appréciée comme une bénédiction dans d’autres pays africains. Or, dans ma région, à l’est de mon pays, ce n’est pas le cas.
Puis, une guerre civile a éclaté peu après en 1998 (la guerre perdure encore aujourd’hui, plus de trente ans après, faisant de nombreux morts). Nous avons dû fuir notre maison pour nous exiler dans le nord du Congo. Nous, qui avions accueilli des réfugiés du Rwanda en 1994, nous sommes devenus des « déplacés internes » à cause d’un conflit armé.
Une nouvelle identité teintée de négativité se dessinait alors dans notre existence, au point d’oublier nos noms propres. Devenir un réfugié ou un déplacé interne dans son propre pays n’est pas un statut dont on peut être fier. Nous nous sommes retrouvés dans cette triste obligation de nous identifier comme des survivants précaires et totalement dépendants d’une aide humanitaire extérieure.
La guerre supprime les droits de l’homme. En effet, dans ce rythme de vie subalterne, il est difficile de générer son propre récit. Nous étions une famille normale et subvenions à nos besoins. Soudainement, nous avons tout perdu ; notre maison, nos relations, nos repères jusqu’à notre identité. Nous avons expérimenté l’origine de l’injustice et des inégalités qui assaillent les pauvres et les moins privilégiés.
Logique du capitalisme
La crise que nous avons vécue est un échec résultant de la logique du capitalisme qui considère les personnes en termes de produits. La cause principale du problème qui affecte les migrants est cette condition de précarité où la vie d’une personne est reléguée de l’espace public.
Les droits de l’homme sont nés dans le contexte de la pensée libérale moderne. Ce sont des droits conçus pour des individus, non pas pour des peuples, même si, dans leur conceptualisation, ces droits sont considérés comme des garanties que l’État doit respecter envers ses citoyens. En réalité, les immigrés, les réfugiés et les personnes déplacées ne sont pas traités comme de vrais citoyens. Conséquemment, l’État ne garantit pas leurs droits.
Vulnérables et sans véritables droits, les réfugiés apparaissent comme des ustensiles d’usage vivant sans valeur d’échange où leur liberté et leur dignité sont annulées. Les discussions sur l’exploitation des migrants qui ignorent cette subordination inhumaine sont comme des bâtiments sans fenêtres. Cela ne correspond pas à l’acte d’habiter une maison commune ouverte à tous les êtres humains sans distinction.
Camps de réfugiés
Or, la maison commune des camps de réfugiés se transforme souvent en foyer permanent et devient un territoire d’esclavage. À cet effet, il sera important de lire le cas de John Locke pour comprendre ce problème4.
Ce sont des bâtiments où reposent des corps fatigués par l’irrégularité de la situation. Il s’agit d’espaces où se poursuit le processus d’avilissement des hommes et des femmes, sans aucune correspondance avec leur désir vital, leur dignité et leur liberté. C’est un territoire abandonné où chacun est laissé à son sort.
C’est aussi une forme de précarité sans règles de vie autre que celle du royaume de la corruption, de la perversité, de la consommation de drogue et des abus sexuels. Ainsi, l’absence d’espace public (d’institutions publiques) et la non-existence d’un droit juste pour tous anéantissent le sens du bien commun. L’espace public comme condition de possibilité de liberté, c’est-à-dire de participation à une conscience politique (la polis), nous oblige à nous interroger sur le sens véritable de l’espace public.
Hannah Arendt note que « le terme public désigne le monde lui-même, dans la mesure où il est commun à nous tous et différencié de la place que nous y possédons de manière privée5 ». Dans cette perspective, Giorgio Agamben fait allusion à la vision classique pour expliquer son approche de ce qui ressemble à une crise biopolitique : « La célèbre définition de la polis comme « née en vue de vivre [tou zen], mais existant avec des vues de bien vivre [tou eu zen] ‘ (Pol., 1252b 28-30), a donné une forme canonique à cette intrigue entre vie et vie politiquement qualifiée, entre zoè et bios, qui s’avérera décisive dans l’histoire de la politique occidentale6 ».
Droit au travail
Le travail est un droit fondamental pour générer un sens à la vie, au monde et à l’agir humaine. Or, sans documents d’immigration appropriés, les réfugiés sont maintenus dans un état d’inaction qui devient une forme préméditée de déshumanisation.
Notre expérience familiale témoigne d’un contexte silencieux de néocolonialisme où des formes d’esclavagisme sont générées par des situations d’expropriation de la vie des gens victimes de situations conflictuelles armées. La modernité capitaliste établit ainsi une différence entre le « simple fait de vivre » et le sens d’une existence humaine significative. La notion du travail considéré comme production de culture est écartée. De plus, les œuvres considérées comme le produit de la créativité du Sud sont souvent considérées avec mépris en Occident.
Il est brutal de penser que le monde occidental opère dans ces circonstances en s’appuyant ou tirant avantage de la précarité des pays du Sud en se nourrissant depuis longtemps de leur faiblesse au travers des intérêts capitalistes. Les diamants du sang au Libéria et dans l’est de la République démocratique du Congo indiquent que la situation d’inégalité produit toujours l’instrumentalisation des moins privilégiés parce que la politique milite en faveur du capital.
Malheureusement, des gouvernements des pays sous-développés tombent dans le piège de la politique et des jugements de l’Occident. Le corps de l’esclave est celui qui n’est nulle part, n’a ni patrie, ni esprit, ni religion, ni culture, ni famille, ni activité. Celui-ci attend que son destin soit déterminé par d’autres.
Sans contredire la thèse foucaldienne selon laquelle « l’objectif aujourd’hui est la vie7 », le penseur italien Giorgio Agamben considère que la simple vie n’existe pas. Selon lui, il n’existe que la « vie politique » comme forme de vie orientée vers l’idée de bonheur et cohérente avec un mode de vie8.
Je comprends qu’Agamben veuille examiner l’idée selon laquelle le mode de vie devrait appartenir à chacun sans être le privilège de personne en particulier. Cependant, les conditions de production de ce mode de vie sont précaires pour plus de 80 % de la population mondiale, notamment dans les pays d’origine des migrants.
Généralement, il existe une distance constante entre les humains qui survivent et les autres qui subsistent en maintenant simplement la vie. Ce paradigme unilatéral vient d’un dominateur invisible et montre que « le pouvoir politique que nous connaissons repose toujours, en fin de compte, sur la séparation entre la sphère du simple être vivant qui compose l’individu, du contexte des formes de vie9 ».
Cela suggère qu’une fois que le racisme hégémonique a acquis d’autres facettes, il est nécessaire de réactiver la pensée critique. Il serait donc très intéressant de voir à qui appartient cette vie niée. Si l’esclavage des Noirs ou de toute personne est une pratique interdite et un discours criminel, les conditions n’ont pas encore été créées pour que les afrodescendants soient respectés sur leurs territoires d’origine et dans les camps de réfugiés.
Rejet des afrodescendants
À l’instar des philosophes du soupçon qui sont célèbres pour avoir contesté la modernité occidentale, je me lance dans l’attitude douloureuse de soupçonner que les gens qui ont trop souffert des horreurs de la guerre et de la migration sont en fait pour la plupart des Noirs. Le fléau du rejet des afrodescendants est encore perceptible, non pas dans le discours officiel, mais plutôt dans les structures institutionnelles des législations occidentales et les appareils de « sécurité publique ».
Un racisme systémique est présent dans d’autres contextes plus silencieux comme celui des Églises, dans les salles de classe et sur les places publiques. Le bien-être est généralement le privilège de certains citoyens ou de certains immigrants bien sélectionnés tandis que d’autres, du fait de la précarité, se vendent et sont subordonnés.
En clair, je crois que le traitement qu’un migrant ukrainien pourra recevoir sur le territoire européen sera différent du traitement que recevrait un migrant soudanais ou congolais. Les inégalités perdurent même dans la précarité. La vie des immigrés et des réfugiés afrodescendants est plus exposée aux dangers que d’autres êtres humains vivant des drames comparables.
Par conséquent, toute action politique ou juridique qui se limite à la simple production de la vie ne fait que violence, car, comme le souligne Hannah Arendt : « la politique est la condition de possibilité d’une bonne vie, c’est-à-dire la citoyenneté comme plénitude de la vie humaine10 ».
Situation critique de la migration aujourd’hui comme simple vie
Je suis convaincu que pour créer les conditions favorables qui rendent possibles de nouveaux récits (écrire sa propre histoire), un espace public doit être pris en compte comme condition de décision des affaires publiques. Le bien-être de chacun ne doit pas être la propriété de quelqu’un d’autre. En effet, ce que nous partageons en tant que citoyens du monde est la vie en tant qu’existence et non une simple vie qui se trouve dans des espaces où la propriété privée est instrumentalisée pour isoler certains groupes sociaux et ainsi créer les conditions fertiles pour les asservir.
Cette perspective nous incite à réévaluer les espaces habités en tant que producteurs de discours politiques qui ne favorisent pas ceux qui se trouvent en permanence dans une précarité voisinant la mort. Les personnes sans domicile fixe ni protection juridique subissent le poids du temps qui leur échappe et de l’espace où ils sont confinés. Surgit alors un récit masqué et moralisateur du pouvoir.
La question épineuse est donc de savoir dans quel espace et comment de nouveaux récits seront possibles. La seule issue pour sortir de cette caverne du mythe platonicien sera celle liée à l’existence de chaque personne. Chaque histoire est unique et doit tenir compte de l’environnement social, racial, politique, religieux, culturel, intellectuel et vital de chacun. Nous avons besoin d’un regard et d’un récit où les gens peuvent s’exprimer par leurs propres mots et où leur parole compte. Où sont donc les nouveaux récits que les migrants peuvent écrire eux-mêmes pour contrecarrer un système qui ignore leur manque de droits pourtant reconnus dans la charte des Nations unies ?
Un regard critique sur le statut du droit face à la précarité existentielle nous amène à nous demander si les migrants du Sud sont réellement considérés comme des êtres humains à part entière, ou s’ils sont considérés comme des personnes marginalisées, c’est-à-dire sans droit à l’espace public ou à la liberté d’expression. Plus que jamais, nous avons besoin d’un autre droit fondé sur la justice pour les Noirs.
Demandeurs d’asile
Lorsqu’on désigne le migrant du XXIe siècle comme un demandeur d’asile, avec tout le poids sémantique que comporte ce concept, cela nous donne un indice de la précarité existentielle de ces personnes.
On rapporte que le gouvernement du Royaume-Uni veut expulser des demandeurs d’asile au Rwanda. La majorité des personnes concernées ont exprimé leur répugnance face à cette initiative interétatique entre les deux nations. On peut se demander si l’opinion de la nation d’origine du migrant a été prise en compte avant de prendre une telle décision. Le fait que de nombreux immigrés aient préféré fuir les agents du ministère de l’Intérieur indique qu’ils sont terrifiés. Cela est un signe notoire de violence contre les droits de l’homme.
Certaines organisations caritatives en faveur des migrants alertent le public sur les conséquences désastreuses de l’asile forcé. Alors que le gouvernement a largement diffusé son message concernant la détention de personnes à destination du Rwanda, il n’est pas clair si les autorités avaient prévu que certains demandeurs d’asile se cacheraient et que d’autres iraient en Irlande. Lou Calvey, directrice de l’association caritative Asylum Matters, a déclaré : « Les organisations caritatives de première ligne en matière d’asile signalent que des personnes quittent leur logement d’asile pour éviter d’être arrêtées. Ils tirent la sonnette d’alarme sur les risques croissants de misère et d’exploitation11 ».
Les migrants sont constamment marginalisés en raison de leurs conditions de vulnérabilité. Il est inquiétant de constater que le piétinement des droits humains fondamentaux est soutenu par le système juridique dans des pays où les dispositions légales sont censées être appliquées pour protéger des vies. Du point de départ jusqu’au lieu de destination, le migrant passe sa vie dans une situation pleine de dangers, de préjugés, de vols, de viols, d’enlèvements, de faim, de maladies et de déportations.
Cette réalité nous place devant la question de savoir si l’on peut encore parler de la pertinence des déclarations universelles des droits. Il est plutôt évident que la condition des migrants est aujourd’hui devenue un signal d’alarme annonçant l’inutilité des droits universels et de leur mise en œuvre stricte et impartiale.
Le fait que ceux qui fuient et ceux qui se voient systématiquement refuser l’asile en Europe soient dans la plupart des cas des afrodescendants devrait être préoccupant. Les témoignages abondent. Un Érythréen détenu pendant 25 jours avant son audience craignait d’être expulsé au Rwanda. « C’est très perturbant pour nous de penser à cela, dit-il. Je suis venu ici pour chercher la sécurité à cause de ce qui se passe dans mon pays, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Le ministère de l’Intérieur peut-il me dire sur quelle planète je dois aller pour retrouver ma liberté et ma sécurité12 » ?
La crise de la précarité devrait réactiver les sirènes existentielles et allumer les lumières de la pensée pour s’attaquer aux causes profondes du problème. Le manque dramatique de nouveaux récits aggrave la crise migratoire qui restreint l’émergence d’une dignité humaine réelle pour chaque être humain13.
Conclusions
De cette analyse critique sur les conditions requises pour construire de nouveaux récits, nous concluons que nous nous trouvons encore de nos jours dans une réalité selon laquelle ceux qui dominent et ceux qui sont dominés continuent de l’être.
Que ce soit entre l’Europe et l’Afrique ou entre les États-Unis-Canada et l’Amérique latine, l’antagonisme binomial continue de prédominer. Le semi-territoire est dans ce cas une condition corporelle et spirituelle où le migrant ou le marginalisé se retrouve au milieu des États comme s’il était, d’une certaine manière, coincé entre le marteau et l’enclume. Pendant ce temps, les prétendues autorités qui devraient représenter le peuple perdent du temps et de l’énergie à se rejeter la faute les unes sur les autres, à se battre dans une conversation sans issue.
Malgré tout, il y a espoir que de nouveaux récits émergent pour changer le statu quo en faveur d’une politique sociale saine et plus respectueuse des droits universels de chaque être humain.
Avec les salutations à la mexicaine de Dieudonne Rizinde.
Lire le document original écrit en espagnol sur le site internet de :
Arendt, Hannah, La condition humaine, Paidós, Barcelone, 1993.
Hinkelammert, Franz, Joseph, « L’inversion des droits de l’homme : le cas de John Locke », dans Herrera Flores, J. (Ed.). Le vol d’Anteo. Droits de l’homme et critique de la raison libérale, (Bilbao, Desclée de Brouwer, 2000), 79-113.
Kant, Manuel, Critique du jugement, Collection Austral, Madrid, 1977.
Kant considère que le sensus communis doit être compris comme l’idée d’un sens commun à tous. Cf. Manuel Kant, Critique du jugement, Collection Austral, Madrid, 1977, p. 198. ↩︎
Par ‘nouveaux récits‘, nous entendons une nouvelle histoire des droits de l’homme et une nouvelle conceptualisation non coloniale. ↩︎
Plus qu’une dissimulation des droits de l’homme, il s’agit d’une injustice, d’un déni systématique des droits de l’homme. ↩︎
Franz Joseph Hinkelammert, « L’inversion des droits de l’homme : le cas de John Locke », dans Herrera Flores, J. (Ed.). Le vol d’Anteo. Droits de l’homme et critique de la raison libérale, (Bilbao, Desclée de Brouwer, 2000), 79-113. ↩︎
Hannah Arendt, La condition humaine, Paidós, Barcelone, 1993, p. 61. ↩︎
D’après ce que l’on voit à la télévision et selon la crise migratoire dans le monde, la triste vérité est que le migrant d’Allemagne ou le migrant d’Ukraine est une personne, cela ne fait aucun doute. Quant au migrant africain, ce n’est probablement pas le cas. ↩︎
(Note de l’éditeur : 8 juill. 2024 #actualités #africa24. La politique de déportation des demandeurs d’asile vers le Rwanda ne sera pas poursuivie. C’est ce qu’a annoncé le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer lors de sa première conférence de presse annonçant au passage qu’il s’engageait à respecter le mandat des électeurs pour le changement. Le projet, qui devait courir sur cinq ans, prévoyait un versement au Rwanda 140 millions de livres sterling, pour financer de l’aide au développement et la prise en charge des migrants expulsés.) ↩︎
Diane Taylor, « ‘J’ai peur’ : les demandeurs d’asile rassemblés pour être envoyés au Rwanda. Des demandeurs d’asile du Soudan, d’Érythrée et d’Afghanistan détenus dans le cadre de l’opération gouvernementale Vector partagent leurs histoires », dans The Guardian, le mardi 28 mai 2024, consulté le 27 mai 2024 en ligne, traduit via Google : https://www.theguardian.com / uk-news/article/2024/may/28/im-frightened-the-asylum-seekers-arrondi-up-to-be-sent-to-rwanda. ↩︎
Ces jours-ci, l’actualité est dominée par les élections américaines. Les déboires du Président Biden et la tentative presque réussie de l’assassinat de Donald Trump sont débattus par de nombreux analystes. Personne n’est indifférent. Les résultats des élections présidentielles auront un retentissant impact à l’échelle mondiale, quel que soit le candidat élu le 5 novembre prochain.
Déjà au mois d’avril dernier, lors d’un autre séjour à Washington pour participer à une réunion avec mes confrères, la fièvre électorale était déjà palpable. Le 6 avril, par une journée nuageuse, j’ai profité d’un bref moment libre pour aller voir la célèbre toile de Salvador Dali intitulé The Sacrament of the Last Supper au National Gallery of Art.
Il faut calculer une heure de marche pour s’y rendre en tenant compte d’un bref arrêt devant la Maison-Blanche où figure une statue du Général Marqui de Lafayette qui a joué un rôle prédominant pendant la guerre d’indépendance.
Sur une rue voisine de la Maison-Blanche, une plaque commémorative a attiré mon attention sur le coin d’un imposant édifice qui est de nos jours le US Treasury Department.
Traduction : L’amitié entre les États-Unis et le Canada a été développée et renforcée par la signature du traité Webster-Asburton Treaty, le 9 août 1842, dans l’ancien bâtiment du département d’État qui se trouvait sur ce site. Ce traité a établi la frontière nord-est entre les deux pays.
À bien y penser, la frontière entre nos deux pays n’a été négociée que 25 années avant la création du Dominion du Canada.
Je suis soudainement frappé par l’omniprésence de lieux soulignant les différentes guerres qui ont jalonné l’histoire des États-Unis. En plus des nombreux sites mémoriaux1 et musées, les rues sont jalonnées de statues de vaillants militaires.
Finalement, j’arrive au musée National des Arts. C’est un immense bâtiment. La visite des musées est gratuite à Washington. Il y a donc beaucoup de visiteurs.
Après quelques recherches infructueuses d’un étage à l’autre, une préposée au kiosque de visiteurs, situé sous la coupole centrale du bâtiment, me montre le chemin. Je remarque que le dôme ressemble étrangement à l’identique à celui du Panthéon de Rome (voir aussi les photos numéro 21 et 23).
Un couple d’Américains s’approche et me demande de les aider à comprendre cette toile. À vrai dire, je ne connais pas si bien cette œuvre si ce n’est que Salvador Dali l’a peinte l’année de ma naissance, en 1955. Je souligne simplement la transparence des personnages qui ne permet pas de les identifier, sauf Jésus. Celui-ci est jeune, sans barbe. L’arrière-plan fait référence, semble-t-il, à une baie située en Espagne. La coupe de vin est remplacée par un verre et les deux morceaux de pain sont éloignés. Tout est symbolique, comme dans l’univers mental du célèbre peintre excentrique.
Alors, me dit l’Américaine, cela signifie que le jeune homme au-dessus avec les bras étendus, c’est Dieu le Père !
Plus loin, il est possible de se diriger vers une autre section du musée en empruntant un corridor souterrain.
Ce corridor mène à une autre sortie du musée.
L’architecture est totalement différente de la première section.
Quelle surprise ! L’ambassade du Canada se trouve tout juste de l’autre côté de la rue.
Les collones ne semblent pas avoir de fonction particulière si ce n’est d’imiter celles du Musée National des Arts qui est en face.
Au bout d’une longue journée de marche, je me traine les pieds pour rejoindre notre maison non sans remarquer une autre statue, celle de l’Admiral David Glasgow Farragut.
Les monuments pour commémorer pratiquement chacune des guerres auxquelles les États-Unis ont été impliqués sont partout visibles à Washington. C’est une très belle ville où la mémoire du sacrifice valeureux de leurs jeunes soldats embaume l’atmosphère. C’est la ville du patriotisme par excellence.
Il n’est donc pas étonnant d’y retrouver un esprit guerrier permanent parmi les politiciens inspirés par tant de sacrifices loyaux pour la patrie. Cela concerne les démocrates tout autant que les républicains qui sont d’ailleurs sans cesse au coude à coude lors des élections.
Nous ne sommes plus dans l’univers fantastique de la transparence à la manière de Salvador Dali. Le repas de la Dernière Scène de Dali nous invite à une lumière spirituelle gracieuse.
À l’inverse, l’univers opaque et polarisé du monde politique américain annonce-t-il la dernière scène tragique de ce grand pays ?
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1. Liste partielle des mémoriaux de guerre à Washington : mémorial des anciens combattants de la guerre de Corée, mémorial national du 9 septembre du Pentagone, Lincoln mémorial, le monument de Washington, mémorial national de la Seconde guerre mondiale, musée commémoratif de la Garde nationale, le mémorial national de la Première Guerre mondiale, United States Holocaust Memorial Museum, mémorial des femmes du Vietnam, mémorial de la marine américaine, mémorial des vétérans du Vietnam, monuments de la guerre de Sécession à Washington, etc.
Le 24 juin 1924, les fêtes grandioses de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal étaient principalement associées à une procession patriotique mettant en vedette l’œuvre de la race française en Amérique. Les chars allégoriques qui ont pris part au défilé montraient différents événements historiques tels qu’un hommage à Marguerite Bourgeois et au héros national Pierre LeMoyne d’Iberville.
Rappelons que la première célébration de la fête nationale canadienne a eu lieu le 24 juin 1834, date choisie par Ludger Duvernay, fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Toutefois, ce n’est qu’en 1908 que le pape Pie X a approuvé le choix de Jean-Baptiste comme patron de tous les Canadiens-français du Canada et de l’étranger.
Enfant, dans les années 60, je me rappelle ces défilés où figurait nécessairement un jeune garçon aux cheveux bouclés blonds assis imperturbablement en hauteur sur le dernier char allégorique. Il représentait Jean-Baptiste. C’était comme ça !
Un siècle plus tard
En 2024, nous assistons à une profonde transformation. Selon le site officiel du comité de la fête nationale, la priorité de la fête nationale est mise sur une joyeuse célébration de notre vivre-ensemble harmonieux. Cette année, le défilé était une simple parade de fresque vivante, une ode à la tradition, à la modernité, et surtout, à la joie de vivre qui pulse au cœur de chaque Québécoise et Québécois.
Selon Benoit McGinnis, porte-parole de la 190e édition de la Fête nationale, plus de 6000 activités ont eu lieu sur près de 650 sites, dans toutes les régions. Les festivités ont rejoint plus de 2,5 millions de personnes, qui ont chanté sur tous les tons et avec tous les accents leur attachement au Québec.
Et la religion catholique dans tout ça !
Une messe a été présidée par Mgr Christian Lépine à l’église Saint Jean-Baptiste de Montréal le 24 juin 2024 à 10h00. J’y étais. Au début de la messe, un laïc a souligné que la paroisse célébrait cette année son 150e anniversaire. Or, aucune référence à la fête nationale des Québécois n’a été évoquée pendant toute la cérémonie religieuse. Évidemment, aucune personnalité publique ou politique n’était présente. Les chrétiens se sont rassemblés essentiellement pour prier. À ce titre, Mgr Lépine a parfaitement endossé son rôle de guide spirituel. Dans cette assemblée, j’ai noté qu’il y avait quelques religieuses en habit traditionnel, avec voile.
Puis, en après-midi, je me suis rendu au parc Maisonneuve où se déroulait les spectacles de la fête nationale. Cela n’avait rien à voir avec l’élan patriotique, selon Gilles Vigneau, et poétique, selon Jean-Pierre Ferland, du grand spectacle 1 x 5qui a eu lieu sur le mont Royal en 1976. J’avais 21 ans à cette époque.
Bref, qu’ai-je vu au parc Maisonneuve ? J’ai vu une foule très diversifiée; des familles, des jeunes comme des plus âgés. Il y avait des musulmanes, jeunes et moins jeunes, québécoises portant le voile. À vrai dire, c’est le seul signe religieux ‘ostentatoire’ que j’ai noté. L’ambiance était à la fête, mais sans exaltation ou débordement. Les organisateurs ont atteint leur but; une joyeuse célébration de notre vivre-ensemble harmonieux.
Le divorce assumé
Le lien historique entre l’esprit patriotique et la religion catholique est définitivement brisé. Et c’est tant mieux ! Chacun a trouvé sa place. Alors que la société québécoise se diversifie grâce à l’apport de nouveaux immigrants, nous assistons à une transition minoritaire du catholicisme au Québec. Les statistiques indiquent qu’entre 5% et 15% des baptisés assistent aux messes. Aussi, les communautés religieuses et les diocèses ont entrepris un processus de gestion de la décroissance et de liquidation des actifs immobiliers. La visibilité des signes architecturaux catholiques s’évapore de plus en plus. Sur les 2 746 églises du Québec inventoriées en 2003, 713 ont été détruites, fermées ou reconverties.
Requiem pour une église (1 : voir le commentaire au bas de l’article.)
Selon Yann Raison et E.-Martin Meunier, le catholicisme a longtemps occupé la grande part de l’espace religieux en France et au Québec. Cette place prépondérante lui procurait une influence indéniable sur la culture et la politique. On observe désormais une diminution de cette influence sociale, ainsi que la perte de son rang de religion majoritaire.
Selon ces mêmes chercheurs, on assiste à l’émergence de nouvelles structures communautaires, d’organisations et de mouvements laïques qui évoluent dans l’ombre de l’institution diocésaine et qui sont parfois difficiles à distinguer. De plus, l’apport de l’immigration favorise l’émergence d’un ‘nouveau catholicisme’. En effet, les chrétiens issus de l’immigration sont deux fois plus pratiquants en moyenne qu’un Québécois.
Perspectives
Sans être prophète, il est raisonnable de penser que l’effacement graduel de la visibilité des institutions religieuses catholiques au Québec ouvrent la voie vers de nouvelles potentialités. Cela permet aux catholiques de devenir de véritables partenaires du vivre-ensemble harmonieux. D’une société tricottée serrées comme je l’ai connu dans mon enfance, je me réjouis désormais de participer et même contribuer à l’essor d’une société basée, non pas sur un nationalisme racial comme en 1924, ni sur une identité religieuse majoritairement catholique, mais sur un accueil mutuel respectueux des diversités ethniques et religieuses, source d’un enrichissement collectif idéalement harmonieux.
À vrai dire, c’est Jean-Pierre Ferland qui avait raison en 1974; la poésie doit primer sur le patriotisme.
(1) Requiem pour une église. Ce numéro présente les cas particuliers de trois églises représentatives de ce qui se trame présentement concernant le patrimoine religieux bâti du Québec. L’église Saint-Jean-Baptiste, située dans la ville de Québec, classée monument patrimonial, est fermée au culte depuis 2015 et n’a fait, en date de l’automne 2021, l’objet d’aucun véritable projet de requalification. L’église Saint-Cœur-de-Marie, située à Québec, classée monument patrimonial, fermée au culte depuis 1997, a finalement été démolie en 2021 par un promoteur immobilier. L’église Saint-Gabriel, située dans la MRC de Bellechasse (25 km à l’est de Québec), a été requalifiée à la fois en mode communautaire et en mode cultuel. Afin de saisir au mieux possible le destin du patrimoine religieux bâti du Québec, nous avons demandé à différents intervenants de nous entretenir de la place qu’occupait et occupe peut-être encore aujourd’hui la présence de ces églises qui ont structuré la vie de tout un peuple pendant plus de 350 ans, et en quoi leur disparation est aussi perte de mémoire et de dissolution de l’ensemble des repères visuels liés à la foi catholique.
Au Canada français, on se plaisait à répéter, dans une formule aux allures de porte tournante, que la langue était la gardienne de la foi et que la foi veillait sur la langue. Ce principe, érigé en une sorte de totem identitaire, servait de baume permettant de croire que, quoi qu’il arrive, cette société persisterait, fidèle à elle-même, dans l’ombre d’une tradition qui, à force de regarder en arrière, confondait l’espoir en l’avenir avec la contemplation béate d’un passé fabulé. (…)
(…) Une société qui se voulait fermée sur elle-même, mais qui, au nom de cette fermeture, se projetait jusqu’en Chine, n’est-ce pas formidablement paradoxal ? L’important semblait de s’accorder sur une image du monde suffisamment commode pour supporter la nôtre. Le catholicisme, au-delà de la foi réelle de ses adeptes, fut sans doute un mécanisme de défense national, une manière de tempérer une réalité difficile qu’il fallait adoucir sur le plan psychologique. Sans surprise, cette passion religieuse s’est évanouie dès lors que la situation politique et matérielle du monde changea. Sans qu’il n’ait été besoin d’aucune loi pour y parvenir.