
«La blessure sera toujours vive.» Le père Serge St-Arneault était de passage à Québec le 5 décembre pour prendre part à la remise à titre posthume de la Médaille de l’Assemblée nationale aux quatorze femmes assassinées à l’École Polytechnique le 6 décembre 1989. La sœur du père St-Arneault, Annie, fait partie des victimes.
«J’aurais préféré ne pas venir. Je le fais par amour pour ma sœur Annie. C’est tellement important de se rappeler et de mentionner le combat qu’on mène pour les femmes, notre lutte contre la violence», a-t-il indiqué avant la cérémonie.
Aujourd’hui directeur du Centre Afrika à Montréal, le prêtre originaire de La Tuque, membre des Missionnaires d’Afrique, a expliqué que son identité est en partie déterminée par cet événement tragique.
«Aujourd’hui, je ne suis pas simplement Serge, je suis devenu le ‘frère d’Annie St-Arneault’. Pour moi, que je le veuille ou non, il n’est pas et ne sera jamais question ‘de passer à autre chose!’. Cette nouvelle identité me colle à la peau», a-t-il confié.
Responsabilité commune
Selon lui, le 30e anniversaire de la tuerie permet de souligner à quel point la responsabilité de faire mémoire de ce moment de l’histoire du Québec incombe à l’ensemble de la société, puisqu’il continue d’avoir une portée collective. Trois décennies plus tard, il se réjouit de voir que l’on parvient à nommer franchement certaines réalités et que l’on qualifie la tuerie de «féminicide».
«Nos choix et notre détermination comme groupe social à lutter pour l’égalité hommes-femmes à tous les niveaux ont été, sont et seront encore inspirés par la tragédie de la Poly. D’où l’importance de préserver cette douloureuse mémoire», a-t-il souligné.
Ce devoir l’a notamment poussé à s’impliquer dans le dossier du contrôle des armes à feu et à faire partie de ceux qui réclament des améliorations aux lois canadiennes et québécoises. Un engagement qui lui notamment a permis de côtoyer d’autres personnes affectés par cette tragédie, dont Nathalie Provost, une survivante de l’attaque orchestrée par Marc Lépine, qui milite pour le contrôle des armes.
«J’assistais récemment à une présentation artistique et l’artiste m’a pris pour le père d’Annie. J’ai répondu que je suis son frère!», relate-t-il au sujet de sa sœur qui avait 23 ans lorsqu’elle a été tuée. «Ces filles ne vont jamais vieillir. Elles vont toujours rester ce qu’elles étaient au moment du drame. Pour nous, elles sont déjà dans une aura éternelle. Ça me fait de la peine. Je connais Nathalie Provost : quand je la vois, je peux imaginer ce que serait ma sœur. La blessure sera toujours vive, un manque c’est un manque.»
Il y a quelques jours, le père St-Arneault a rencontré pour la première fois Monique Lépine, la mère de Marc, qu’il a toujours considérée comme une «victime collatérale».
«Nous, les proches des victimes, étions solidaires avec elle, mais je n’avais jamais su comment la rejoindre. Lors du lancement de son livre le mois dernier, je me suis présenté comme le frère d’Annie. Elle m’a reconnu dans ma douleur. Et je l’ai reconnue dans son drame aussi. Elle comprenait ma douleur et je comprenais la sienne», a confié le prêtre.
Déclaration de l’assemblée des évêques du Québec
Le 2 décembre, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec a publié une déclaration sur la violence envers les femmes et les personnes vulnérables. Le document, intitulé « Se souvenir pour mieux agir », a été préparé par son Conseil Église et société.
«Cette commémoration annuelle est l’occasion de prendre la mesure des violences que subissent encore les femmes, ainsi que de l’ampleur du travail d’éducation, de prévention et de réparation que l’on doit s’engager à poursuivre collectivement», y écrit-on.
L’AECQ se dit consciente que «notre Église a contribué à la violence subie par diverses personnes, ici et ailleurs», dont les agressions, les abus sexuels, les abus de pouvoir et les abus spirituels.
«Notre Église doit poursuivre l’analyse des causes de ces abus, son engagement en faveur de leur prévention et le développement de formes de réparation et de guérison», ajoute-t-elle. «Se souvenir de la violence faite aux femmes et aux personnes vulnérables devrait nous conduire à agir, afin de relever dans la dignité toutes celles et ceux qui souffrent, susciter l’espérance et ressusciter des relations de paix et d’unité.»
Différentes activités de commémoration se tiennent les 5 et 6 décembre à travers le Québec. À Montréal, un rassemblement public organisé par le Comité Mémoire, en collaboration avec la Ville de Montréal et Polytechnique Montréal, aura lieu à 17 h le vendredi 6 décembre au belvédère Kondiaronk. Le ciel sera éclairé de 14 faisceaux lumineux qui seront allumés à quelques secondes d’intervalle, à l’appel des noms des 14 victimes.