Allocution présenté par Serge St-Arneault, M.Afr, Directeur du Centre Afrika, Montréal, lors de la conférence de presse organisée par les médecins et autres professionnels de la santé à l’Hôpital Général de Montréal aujourd’hui à 12h00. Les médecins réclament une interdiction complète des armes de poing et armes d’assaut ainsi que l’adoption du projet de loi C-71 qui renforce l’encadrement des armes à feu.
J’ai vécu en zone de guerre en République Démocratique du Congo (à l’époque le Zaïre) dans les années 1990. Le chaos s’était progressivement propagé dans tout le pays avec son lot de pillages et de conflits tribaux.
Dans la brousse où j’étais, on avait déjà eu la visite de militaires pour intervenir dans un conflit entre chefs coutumiers. Ce jour-là, revenant à la maison, j’ai été directement menacé par un militaire. Il m’a simplement dit :
- « Siku y vita ingine, miye nitawa weye ».
Traduction littérale :
- « Lors du prochain conflit, c’est moi qui vais te tuer. »
J’ai immédiatement senti comme un boulet me tomber dans l’estomac. Je m’en rappelle très bien. De fait, les rivalités tribales se sont accélérées. Les paracommandos sont revenus, soi-disant pour rétablir la paix, en brulant les villages. La plupart des expatriés avaient déjà quitté le pays. Quant à moi, je suis resté avec mes confrères pratiquement jusqu’au moment de la chute du régime dictatorial du Président Mobutu.
En 2010, Marc Rochette, un journaliste du journal Le Nouvelliste de Trois-Rivières, m’a demandé dans une interview s’il y avait des risques de vivre dans la brousse africaine. Ce à quoi j’ai répondu :
- « Qu’est-ce qui est le plus dangereux? Être missionnaire en Afrique ou étudiante à l’École Polytechnique de Montréal ».
Ma sœur Annie a été l’une des premières victimes du drame de la Poly du 6 décembre 1989. Le rapport d’investigation du coroner indique que le décès est attribué à des lésions multiples graves au niveau du crâne, du cerveau, section de l’aorte et des hiles pulmonaires et éclatement du foie, le tout secondaire au passage dans la tête et dans le thorax de trois projectiles d’arme à feu.
Vous êtes médecins et professionnels de la santé. Vous comprenez mieux que moi de quoi il s’agit. Nous sommes réunis ici pour une cause commune. Nous voulons, de fait nous exigeons des lois plus sévères sur les armes à feu au Canada. Une journée nationale d’action a lieu aujourd’hui dans 13 villes du pays. Tous s’entendent pour dire que les armes à feu représentent une menace croissante pour la santé publique. Selon Statistique Canada, le nombre de crimes violents commis avec une arme à feu a augmenté de 43% depuis 2013, soit depuis l’abolition du registre national des armes à feu par le gouvernement de Steven Harper en 2012, suivi par l’affaiblissement d’une série d’autres mesures en 2015.
À peine une semaine après la tragédie de Christchurch en Nouvelle-Zélande, la première ministre Jacinda Ardern a annoncé l’interdiction imminente de « toutes les armes semi-automatiques de style militaire », de « tous les fusils d’assaut », de « tous les chargeurs à grande capacité » et de « tous les accessoires ayant la capacité de convertir une arme à feu en arme semi-automatique de type militaire ». Elle a également émis une ordonnance de reclassification pour les armes semi-automatiques afin de dorénavant empêcher leur vente à la plupart des détenteurs de permis actuels.
Voilà une preuve de leadership politique.
Soulignons aussi l’action du Gouvernement du Québec qui a instauré son propre registre des armes en réaction à l’abolition du registre fédéral. Le Québec est maintenant l’une des trois seules juridictions en Amérique du Nord (avec Hawaï et le District de Columbia) qui enregistrent les armes sur son territoire – bien que c’est la norme en Europe et la plupart des pays industrialisés.
Mais qu’en est-il du gouvernement Trudeau?
Les Canadiens attendent depuis de nombreuses années une action réelle et concrète dans ce domaine.
Tout ce que ce gouvernement offre aux Canadiens pour corriger la quasi-destruction de l’ensemble des gains législatifs par le gouvernement antérieur, c’est le projet de loi C-17. D’ailleurs, celui-ci ne rétablit que quelques faibles mesures comparativement à ce qu’elles étaient avant leur élimination. Ceci dit, ce projet de loi C-71 est un pas dans la bonne direction et nous l’appuyons. Malheureusement, son adoption avance à pas de tortue au Sénat.
De plus, ce projet de loi ne modifie en rien l’accès légal aux armes de poing et aux armes d’assaut. Nous le savons, celles-ci sont conçues pour tuer efficacement et rapidement.
Combien de fois encore faudra-t-il rappeler que le même type d’armes légalement accessible, c’est-à-dire des armes semi-automatiques de type militaire, a été utilisé lors de la tragédie à la Mosquée de Québec et tout récemment à Christchurch où 50 Néo-Zélandais innocents ont été assassinés?
Je réitère les paroles que j’ai prononcées à Ottawa au début du mois de décembre 2018 que j’adressais au premier ministre Justin Trudeau;
- « Ne faites pas de compromis. Montrer aux Canadiens comment on se tient debout quand on n’a pas peur du lobby des armes ».

Membres de PolySeSouvient présent lors de la marche pour soutenir les médecins dans leur manifestation contre les armes à feu.
Photo : André-Mam Mbombo
Lien YouTube : https://youtu.be/nZKSaZWRw1k