Montréal, 20 mars 2018 – Les témoins, survivants et familles des victimes des tueries à l’École Polytechnique, au Collège Dawson et à la Mosquée de Québec appuient prudemment le dépôt du projet de loi C-71, la réforme de la Loi sur les armes à feu promise lors de la dernière campagne électorale par le Parti libéral. Un examen préliminaire du projet de loi révèle un ensemble de mesures inutilement faibles.
« Bien que le gouvernement semble respecter la lettre de ses engagements électoraux, il n’en a pas respecté l’esprit. Les mesures contenues dans le projet de loi ne consistent qu’en un strict minimum afin de remplir ‘techniquement’ ses promesses. Il nous semble très clair que l’objectif premier n’est pas de maximiser la sécurité publique, mais de minimiser le mécontentement du lobby des armes à feu tout en donnant l’impression de passer à l’action », explique Heidi Rathjen, diplômée de Polytechnique et porte-parole de PolySeSouvient. Au cours des derniers jours, des reportages 2 médiatiques ont relaté comment la législation sur les armes à feu « donnait une sacrée trouille au caucus libéral » (“scaring the hell out of the Liberal caucus”) en raison de leur crainte du lobby des armes à feu.
Meaghan Hennegan, qui a survécu à la tuerie de masse au Collège Dawson, ajoute: «Nous sommes particulièrement déçus de l’échec du gouvernement Trudeau à aborder la disponibilité légale des armes d’assaut. L’arme qui a été utilisée pour tirer sur moi et nombreux de mes camarades de classe est plus facilement accessible qu’alors. C’est totalement ridicule! Les Libéraux ont été élus majoritaires sur la base d’une plateforme pro-contrôle et la grande majorité des Canadiens est en faveur d’une interdiction des armes d’assaut, y compris la majorité des propriétaires d’armes à feu! Les seuls qui s’opposent au retrait de ces machines à tuer sont une bruyante minorité d’amateurs d’armes. Sur l’enjeu des armes d’assaut, il semble bien clair que le gouvernement Trudeau se soit rangé du côté du lobby des armes à feu et non de l’intérêt public.»
Un récent sondage d’Environics Research[i] commandé par PolySeSouvient a révélé que 81% des Canadiens sont d’accord que «la propriété privée d’armes d’assaut semi-automatiques à des fins récréatives ne devrait pas être légale au Canada», avec un soutien identique dans les régions urbaines et rurales ainsi que 63% parmi les propriétaires d’armes à feu. Un autre sondage, publié par Policy Options, constatait que 85% des Canadiens soutiennent «l’interdiction de la possession privée d’armes d’assaut militaires et de fusils de tireur d’élite par des civils».
Boufeldja Benabdallah, vice-président du Centre culturel islamique de Québec : « Nous avons vu les dégâts que les armes à feu peuvent causer lorsqu’ils tombent entre de mauvaises mains. Six veuves et 17 enfants pleurent toujours le massacre de leur mari et de leur père. Comment le gouvernement peut-il répliquer avec un projet de loi aussi timide? »
Registres de ventes et inventaires
Le groupe est également choqué par l’approche timide avec laquelle le ministre Goodale a choisi de se pencher sur les registres de ventes, afin de concrétiser la promesse des Libéraux d’obliger les vendeurs à tenir « un inventaire de leurs armes à feu et un registre de leurs ventes afin d’aider la police dans ses enquêtes sur le trafic et autres crimes impliquant des armes. » Plusieurs autorités provinciales et policières avaient témoigné par le passé quant à l’importance de ces registres et inventaires.
« La mesure proposée est plus faible que les exigences qui existaient depuis les années ‘70 et qui n’étaient considérées problématiques par personne. Il n’y avait pas d’obligation pour les policiers d’obtenir une autorisation judiciaire. Même les États-Unis exigent des vendeurs commerciaux qu’ils enregistrent leurs ventes et ces données étant plus facilement accessibles aux autorités. Une mesure véritablement efficace aurait aussi pris en compte tous les transferts d’armes d’individu à individu, non seulement les ventes commerciales, et aurait rendu ces informations accessibles à la police sans obstacles procéduraux, » a expliqué Mme Rathjen.
« Dans quel but veut-on soustraire les données sur les ventes contre la vue du gouvernement? Comment la police est-elle alors censée détecter la constitution d’arsenaux? Comment saura-t-elle dans quel commerce enquêter pour retracer une arme trouvée sur les lieux d’un crime?
« Si l’on se fie à ces dispositions édulcorées, il est difficile de croire que le gouvernement veut vraiment aider la police dans ses enquêtes criminelles et ses efforts pour contrer les ventes illégales. La législation proposée vise clairement à protéger les intérêts de quelqu’un, mais certainement pas ceux du public. »
En novembre dernier, une importante délégation de survivants et de membres de la famille de victimes de violence armée s’était déplacée jusqu’à la Colline parlementaire pour demander aux députés et au ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale d’instaurer un ensemble exhaustif de mesures de contrôle des armes à feu, généralement conforme à la plateforme électorale des Libéraux, en plus de l’interdiction des armes d’assaut. Depuis lors, la dernière tuerie dans une école, à Parkland en Floride, a fait émerger un mouvement populaire aux États-Unis qui réclame lui aussi à l’interdiction des armes d’assaut.
Nathalie Provost, qui a survécu au massacre de Polytechnique malgré quatre blessures par balle, conclut: « Malgré notre déception, nous ne voulons pas que ce projet de loi échoue. Bien qu’il soit extrêmement faible, il demeure un pas dans la bonne direction. Nous espérons qu’au cours des jours et semaines à venir, nous pourrons travailler avec le ministre et les membres du Comité permanent de la sécurité publique pour améliorer considérablement le projet de loi C-71, au point où nous pourrons, sincèrement et avec soulagement, féliciter le gouvernement d’avoir enfin fait le nécessaire. »
* Une analyse préliminaire des mesures sera disponible ici au courant de la journée: http://polysesouvient.ca/Documents/DOCU_18_03_20_PreliminaryAnalysisBill.pdf
[i] Environics Research, pour PolySeSouvient, mené en ligne du 6 au 8 mars 2018 parmi 1510 Canadiens de 18 ans et plus.
Résultats : http://polysesouvient.ca/Documents/STATS_18_03_08_Environics_Poll_Results.pdf ; méthodologie : http://polysesouvient.ca/Documents/1_ERG_Online_Methodology_n1510_March%208_2018.pdf