L’imputabilité des grandes entreprises canadiennes à l’international

Dans le cadre des questions de justice sociale et environnementale, je me suis rendu le 20 mai dernier à l’université Concordia, pavillon Hall, pour assister à un débat présenté par un panel autour du comportement et de l’imputabilité de nos entreprises à l’international, notamment la responsabilité des minières en République démocratique du Congo et les risques sur les chaînes d’approvisionnement des compagnies canadiennes.

Ce panel était composé d’Alice Chipot, directrice générale du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE), de Denis Côté (Analyste des politiques à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) et de Jacques Nzumbu (Jésuite de la République démocratique du Congo et spécialiste de l’exploitation minière et des technologies vertes). Ceux-ci ont participé à la série de conférences de La Grande Transition(1) qui avait pour thème : Lutter en temps de crise globale.

Voici la synthèse de l’équipe du RRSE dans le journal Pivot ainsi qu’une présentation visuelle de Jacques Nzumbu, jésuite congolais et spécialiste des minières, sur les pratiques des minières canadiennes. 

L’article du journal Pivot

L’imputabilité des grandes entreprises canadiennes à l’international : un statu quo à déconstruire

La coalition du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE) s’est rendue le 25 avril dernier à Ottawa afin d’obtenir la mise en place d’une loi visant à prévenir les abus commis par les entreprises canadiennes à l’égard des personnes à l’échelle mondiale.

Une pétition de 43 000 signatures, adressée aux député·es du Parlement canadien, a été déposée en signe du soutien massif de la population envers un meilleur encadrement des grandes entreprises. Inspirée par les législations françaiseallemande et norvégienne, entre autres, la pétition demande l’adoption d’un cadre obligatoire sur la « diligence raisonnable » en matière de droits humains et d’environnement.

La diligence raisonnable en matière de droits humains est l’obligation pour les entreprises de gérer et prévenir de manière proactive les incidences négatives et réelles de leurs activités sur les droits de la personne. En cas de défaillance, un cadre « complet » de diligence raisonnable donne la possibilité de sanctionner l’entreprise pour son manquement et de la forcer à réparer les préjudices causés aux victimes et à l’environnement.

À l’heure actuelle, il faut rappeler qu’il est très complexe – voire impossible – pour les communautés souffrant des conséquences environnementales (contamination, pollution, accès à l’eau, etc.) ou sociales (exploitation, travail forcé, expropriation, etc.) des activités d’entreprises canadiennes d’obtenir l’arrêt de ces activités et encore plus de recevoir des réparations pour les dommages causés.

Le système favorise l’absence d’imputabilité des grandes entreprises.

C’est en réaction à ce statu quo, où tout le système favorise l’absence d’imputabilité des grandes entreprises, que de nombreuses organisations de la société civile et acteurs du milieu politique ont mis de l’avant une approche globale de diligence raisonnable. Celle-ci permettrait de prémunir, identifier et stopper les abus quand ils existent, mais aussi de sanctionner et réparer les dommages causés par les pratiques d’affaires problématiques sur le plan social et environnemental.

C’est uniquement par ce mécanisme exhaustif, qui accorderait une place aux tribunaux, que les comportements corporatifs canadiens s’amélioreront.

Mettre en place des mécanismes correctifs efficaces

Le 3 mai 2023, la loi fédérale S-211 sur le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement a été adoptée. Cette loi envoie un signal positif, qui vise à reconnaître l’importance d’éradiquer le travail forcé des enfants. Malheureusement, les mécanismes concrets pour assurer l’imputabilité de nos entreprises y brillent une fois de plus par leur absence.

En effet, le texte ne propose qu’une logique de transparence et de reddition de compte et non de sanction réelle des mauvaises pratiques.

De plus, elle dissocie les droits des travailleur·euses sur les chaînes d’approvisionnement des autres droits connexes des communautés concernées. Or, comme l’a démontré le triste anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza (voir à ce sujet cette bande dessinée explicative), on tarde encore à apporter les mesures correctives nécessaires et de nombreuses dimensions, comme le droit des femmes ou les droits syndicaux ne sont pas suffisamment protégés.

À l’heure actuelle, il est très complexe – voire impossible – pour les communautés souffrant des conséquences environnementales ou sociales des activités d’entreprises canadiennes d’obtenir des réparations.

Enfin, il est important de souligner un dernier mécanisme canadien défaillant du point de vue des défenseurs des droits humains : le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE). Créé en 2019, ce bureau s’avère être un organe consultatif impuissant, qui ne réalise aucune enquête et n’a sanctionné aucune entreprise malgré les nombreux dossiers déposés décrivant des situations alarmantes en lien avec des entreprises canadiennes.

Mieux protéger les communautés dans un contexte de transition écologique

Au-delà de la nécessité d’imposer des sanctions, déployer une approche globale implique aussi de proposer une loi adaptée aux nouveaux défis qui se présentent à nous. Les besoins de transition énergétique et de décarbonation de l’économie nous incitent à envisager le développement de technologies vertes très gourmandes en « minéraux stratégiques », souvent exploités sur des territoires à l’étranger, principalement en Afrique ou en Amérique du Sud.

La République démocratique du Congo, par exemple, est hôte du plus important gisement de cobalt, un minerai crucial pour les technologies de la transition énergétique mondiale. Or sur place, les minières canadiennes continuent de bafouer les droits des communautés, de contaminer les sols et de fermer les yeux sur le travail des enfants.

Une réputation canadienne entachée, mais la possibilité d’œuvrer pour un meilleur avenir

Bien que 50 % des sociétés d’exploration et d’exploitation minière du monde soient incorporées au Canada, celui-ci ne leur impose que très peu d’obligations. Au contraire, elle leur assure des avantages fiscaux.

Quant à la perspective de poursuivre en justice les entreprises canadiennes actives à l’étranger, elle est presque inenvisageable, alors même que sont régulièrement documentés les cas de destruction environnementale, de pillage, de contrebande, de crimes fiscaux et d’expropriation.         

Les défis climatiques vont nous forcer à repenser nos pratiques d’affaires et notre gouvernance économique.

Sur la base de ces éléments, il nous semble essentiel de moderniser au plus vite la législation canadienne pour rendre imputables les entreprises canadiennes sur l’ensemble de leur chaîne de valeur et d’approvisionnement internationale.

De même, il est contreproductif de dissocier les impacts sociaux des impacts environnementaux, ceux-ci étant totalement imbriqués. Les défis climatiques vont nous forcer inévitablement à repenser la configuration de nos pratiques d’affaires et de notre gouvernance économique.

Ces efforts de transformation structurelle ne peuvent se faire sans la protection et la participation actives des populations des Suds.

Alice Chipot est directrice générale du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE). Abir Samih est chargée de projet au RRSE.

Présentation de Jacques Nzumbu

(1) Afin de passer de la résistance à une transformation sociétale, il faut un véritable projet de transition hors du capitalisme, en s’appuyant sur les savoirs critiques produits tant à l’université que dans les mouvements sociaux. On invite donc les citoyens-nes de divers horizons à réfléchir à cette question avec nos invité.es internationaux, ainsi qu’une centaine de panels et d’activités de conférencier.ères du monde entier.

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