Le meurtre par balles d’une adolescente de 15 ans survenu dimanche à Montréal était presque écrit dans le ciel, selon un policier expert en armes à feu qui a témoigné devant le tribunal récemment. Un peu à l’image de ce qui se passe à Toronto, de plus en plus de jeunes possèdent des armes et ont la détente de plus en plus sensible.
DANIEL RENAUD, LA PRESSE, Publié le 9 février 2021
« Souvent, on a des victimes collatérales qui seront exposées parce qu’on se retrouve avec des gens blessés par balles dont on ne peut pas conclure qu’ils étaient visés par les évènements. On a des projectiles qui se retrouvent dans des logements privés, des tirs au travers de façades de maisons ou de commerces, ou sur des scènes de rassemblements de jeunes », a décrit l’enquêteur Marc-André Dubé le 18 janvier dernier, lors des plaidoiries sur la peine d’un récidiviste de 26 ans qui a plaidé coupable à une accusation de possession d’une arme à feu prohibée chargée.
Durant son témoignage, le policier a dit constater qu’en raison de la prolifération des sources d’approvisionnement des armes à feu, de la facilité de s’en procurer et de la présence des armes sur les réseaux sociaux et dans des vidéoclips sur l’internet qui font de la possession d’armes à feu « une banalisation », des individus de plus en plus jeunes en possèdent une aujourd’hui.
« Les armes sophistiquées étaient habituellement associées à des caches d’armes du crime organisé ou à un groupe criminalisé de plus haut niveau. Là, je peux voir des gens arrêtés avec une arme non autorisée, qui ont une feuille de route criminelle très peu chargée, et qui se retrouvent avec une excellente arme à feu dans les mains », a expliqué le sergent-détective Dubé.
116 évènements, 406 douilles
Marc-André Dubé, du Service de police de la Ville de Montréal (SVPM), est prêté depuis 2009 à l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA), qui relève de la Gendarmerie royale du Canada, et dont le mandat est d’assister les corps de police au pays.
Il est revenu travailler au SPVM durant deux ans avant de retourner à l’ENSALA en 2019. Ce qu’il a constaté à son retour l’a sidéré : une hausse sensible des évènements de coups de feu à Montréal comparativement à la situation qui prévalait avant qu’il quitte temporairement l’ENSALA.
Il a été frappé par « la haute intensité des évènements », tellement que, de sa propre initiative, il a construit un tableau des évènements survenus à Montréal depuis l’automne 2019.
Entre le 29 octobre 2019 et le 31 décembre 2020, il a répertorié 116 évènements de décharge d’arme à feu, en ne tenant compte que des évènements sur les lieux desquels la présence de preuves matérielles a été constatée, comme des douilles et des projectiles ou des victimes mortes ou blessées.
Durant ces 116 évènements, pas moins de 406 douilles éjectées ont été retrouvées sur les scènes, une moyenne de 3,5 projectiles tirés par évènement.
Il décrit notamment un évènement survenu à Montréal le 29 octobre 2019, dans le quartier Villeray, au cours duquel 43 projectiles de deux calibres différents ont été tirés, dans un contexte de tentative de meurtre survenue lors du tournage d’un vidéoclip par des jeunes.
« Ce sont des évènements à haute intensité qui surviennent parfois en plein jour et démontrent un certain mépris pour la sécurité du public », a témoigné M. Dubé.
Avant, on voyait ces évènements, mais ils étaient plutôt épisodiques et prévisibles, souvent reliés à des guerres entre factions criminelles, puis la situation revenait à la normale. Mais maintenant, c’est constant. J’ai des évènements comme ceux-là sur mon bureau presque chaque semaine.
Le policier Marc-André Dubé
Depuis son retour à l’ENSALA, l’enquêteur constate une plus grande utilisation de chargeurs à haute capacité et la présence de plus d’une arme à feu sur la même scène. Il note que des projectiles d’une même arme à feu peuvent être retrouvés sur trois et même quatre scènes de crime.
Vidéoclips et réseaux sociaux
Marc-André Dubé ajoute que les requêtes des corps de police pour de vraies armes exhibées dans des vidéoclips de rap et sur les différentes plateformes des réseaux sociaux ont « explosé », alors qu’avant ce phénomène était « marginal et inexistant ».
« Il y a un message [dans ces vidéos] qui est clair et commun : ‟Je suis armé et je n’hésiterai pas à me servir de mon arme si quelqu’un veut s’en prendre à mon territoire, à mon gagne-pain criminel‟ », a interprété l’enquêteur Dubé.
Des armes à feu véritables sont exhibées sans souci pour les conséquences que ça pourrait entraîner de se faire voir avec celles-ci.
Le policier Marc-André Dubé
Marc-André Dubé souligne également la rapidité avec laquelle des photos d’armes disponibles circulent sur les réseaux sociaux.
Il déplore une diversification des armes disponibles et une plus grande fabrication artisanale et domestique.
Il confirme la popularité des « pistolets fantômes », fabriqués avec une carcasse de polymère à laquelle une culasse et un canon en métal sont ajoutés – et qui n’affichent pas de numéro de série –, ou des armes à feu fabriquées avec des imprimantes 3D, à partir d’instructions qui se trouvent aisément sur l’internet.
Ressemblances avec Toronto
Sans vouloir comparer le nombre d’évènements de décharges d’arme à feu qui surviennent à Montréal à ce qui se passe à Toronto – où il y en a eu 462 en 2020 –, l’enquêteur Dubé affirme que le travail entre les membres de l’ENSALA et ceux de l’escouade Gun and Gang de la Ville Reine se ressemble de plus en plus.
« La nature des évènements décrite dans les dossiers que je consulte, c’est du pareil au même », a dit le policier.
Il a ajouté que les échanges réalisés avec la police de Toronto et le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives des États-Unis démontrent régulièrement des sources d’approvisionnement communes.
Rappelons qu’en décembre dernier, en raison de la prolifération des évènements de coups de feu à Montréal, le SPVM a annoncé la création d’une équipe spécialisée dans la lutte contre trafic d’armes à feu, l’ELTA, qui sera bientôt opérationnelle.
Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.
Inspirés par la justice ontarienne
Au Québec, des procureurs de la poursuite s’inspirent de la justice ontarienne pour obtenir des peines plus sévères auprès des juges, chez lesquels ils commencent à percevoir une certaine volonté.
Des extraits de décisions de juges montréalais repris par la poursuite :