J’ai le sentiment d’être un Noir de race blanche

J’ai le sentiment d’être un Noir de race blanche

Le Père Serge St-Arneault, de retour au Canada depuis un an, nous raconte les trente ans de sa vie en Afrique. Trente années qui lui donnent aujourd’hui le sentiment d’être un Noir de race blanche.

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Né le 29 juin 1955 à St-Adelphe, Serge St-Arneault a grandi à La Tuque. Il obtient un baccalauréat en théologie à l’UQTR en 1979. Il est officiellement membre de la Société des Missionnaires d’Afrique depuis le 5 décembre 1986. Après son ordination sacerdotale le 28 juin 1987, il part au Zaïre, l’actuelle République Démocratique du Congo, où il restera jusqu’en février 1996. En 2001, il part à Mua, au Malawi, où il devient codirecteur du centre culturel et artistique de Kungoni. En juin 2009, il se retrouve à la paroisse de Chézi. Puis, en janvier 2012, il devient le secrétaire de la Province d’Afrique Australe des Missionnaires d’Afrique dont le bureau central est situé à Lusaka en Zambie. Finalement, depuis août 2017, il est le directeur du Centre Afrika de Montréal.

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Mon premier séjour en Afrique Mon premier séjour en Afrique remonte aux années 1981-1983. En effet, j’ai vécu mes deux années de stage apostolique au Zaïre. Au terme de celui-ci, je devais me rendre à Londres pour poursuivre mes études. J’ai cependant retardé mon départ vers l’Angleterre en raison d’une vilaine hépatite virale de type A contractée au Zaïre.

De nombreuses images défilent dans ma tête en songeant à tous ces lieux et à ces personnes que j’ai connus depuis plus de trente ans, soit la moitié de ma vie. Je me souviens d’une brève conversation avec une religieuse qui, à l’époque, m’avait demandé ce que j’allais faire là-bas. À vrai dire, je n’en savais rien. Voici ce que j’aurais pu lui répondre.

 Je suis retourné au Zaïre en septembre 1987, après mon ordination sacerdotale qui avait eu lieu à La Tuque le 28 juin. J’ai alors vécu en pleine brousse chez les peuples Indru de Géty et Héma de Boga, à une soixantaine de kilomètres au sud de la ville de Bunia située au nord-est du pays. J’en garde un souvenir mémorable. Pourtant, les difficultés n’ont pas manqué: isolement, routes impraticables, écroulement économique, pillages dans les grandes villes en réaction aux exactions du régime politique du Président Mobutu Sese Seko, sans oublier les rivalités ethniques provoquées et alimentées par des intérêts mercantiles de pays étrangers.

Favoriser la tenue de négociations de paix entre les tribus

Malgré toutes ces difficultés, mes confrères et moi vivions une relation exceptionnelle avec la population dans ces moments tragiques qui ont coïncidé avec le départ des expatriés européens. J’ai même été menacé de mort. Sans aucune aide extérieure, nous avons investi toutes nos énergies en favorisant la tenue de négociations de paix entre les tribus en conflit. Avec nos faibles moyens, nous avons même réussi à organiser des convois humanitaires pour l’évacuation de familles menacées.

Je ne considère pas cela comme de l’héroïsme. J’ai simplement le sentiment d’avoir répondu aux paroles de Jésus : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8).

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Au milieu de toutes ces tragédies, avec mes amis zaïrois, qui entre-temps sont redevenus des Congolais, nous avons uni toutes nos ressources pour construire une école secondaire. J’ai aussi eu le privilège de me lier d’amitié avec les masadu, les gens mandatés pour superviser les rites funéraires des chefs coutumiers. J’ai même participé aux danses dites guerrières lors de ces cérémonies, si bien qu’au moment de partir, en février 1996, une vieille maman m’a confié ces quelques mots qui resteront toujours gravés dans mon cœur : « Vous savez, mon père, il ne vous manque qu’une seule chose pour être l’un de nous : la couleur de la peau! »

Tout est dans la qualité relationnelle. Celle-ci va au-delà de la connaissance pourtant essentielle des langues locales et des coutumes. Je peux le dire en toute franchise, je ressens une nostalgie chaque fois que je repense à « mon premier amour! »

Envoyé au Malawi

Ne pouvant pas retourner en République Démocratique du Congo au tournant du nouveau millénaire à cause de la guerre civile qui s’éternisait, mes supérieurs m’ont proposé d’aller au Malawi. Ce petit pays est coincé entre le Mozambique et la Zambie. J’ai dû tout recommencer ; l’apprentissage du chichewa (que je n’ai jamais aussi bien maîtrisé que le kiswahili au Congo), l’histoire et les coutumes ancestrales, particulièrement du peuple Chéwa. Je suis devenu codirecteur du centre culturel et artistique de Kungoni situé à Mua.

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Privilège peu offert aux non-Chéwa, j’ai eu la chance d’être accueilli au sein de la société secrète des Gulé Wamkulu qui sont reconnus pour leurs innombrables masques qui constituent la base de leur vision spirituelle associée aux esprits des ancêtres; les mizimu! C’est réellement fascinant.

Mon confrère Claude Boucher, originaire de Montréal, prêtre et anthropologue, a d’ailleurs consacré toute sa vie à approfondir les expressions culturelles de ces populations. Il a construit le centre culturel Kungoni qui comprend un musée renommé dans toute cette région d’Afrique.

Reconnaître la présence de Dieu dans l’histoire et la vie de ces peuples

Il faut investir du temps, beaucoup de temps, pour soulever le voile des premières apparences culturelles. Les missionnaires ont l’avantage de consacrer de nombreuses années de leur vie pour apprécier ces richesses : valeurs communautaires, sagesse et proverbes, diversités linguistiques, etc.

L’essentiel est de mettre en valeur, de faire surgir, d’éveiller ou simplement de reconnaître la présence de Dieu dans l’histoire et la vie de tous ces peuples qui puisent leur spiritualité dans les valeurs transmises par les ancêtres. En effet, l’Esprit de Dieu s’est manifesté chez ces gens bien avant l’arrivée des missionnaires. Pour moi, le missionnaire est avant tout celui qui permet de reconnaître ces traces spirituelles tout en annonçant la nouveauté de l’Évangile qui s’adresse à toute l’humanité.

Bref, ma vie n’est plus la même. Je suis allé en Afrique comme missionnaire, mais c’est l’Afrique qui m’a converti aux valeurs profondes de notre humanité commune éclairées par la radicalité du témoignage de l’homme Jésus.

J’ai vécu mes deux dernières années au Malawi dans une petite paroisse appelée Chézi, située à mi-chemin entre la capitale Lilongwe et le lac Malawi. Les Gulé Wamkulu y sont également actifs. Je me suis rapidement senti à l’aise grâce à mon initiation dans leur société secrète. C’est tout de même précieux de pouvoir côtoyer un environnement culturel si étrange aux premiers abords.

Le respect mutuel permet de vrais miracles

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Le « respect » est le mot qui résume le mieux mon expérience missionnaire. Au-delà des différences ou particularités sociales, linguistiques et spirituelles, le respect mutuel permet de vrais miracles. J’ai souvent constaté que les paroles s’évaporent, à commencer par les sermons. En effet, nous mémorisons plus facilement les bonnes et mauvaises impressions ou perceptions. Il peut aussi s’agir d’un souvenir de tendresse ou de compassion. Là est l’œuvre de l’Esprit de Jésus qui transforme les cœurs en profondeur.

Sachant que je quittais le Malawi en janvier 2012, les chefs coutumiers ont pris la décision de m’introniser dans leur cercle. Symboliquement, j’ai, en effet, été nommé chef coutumier sous le patronyme de « mfumu Chimphopo ». Je considère cela comme une marque de reconnaissance et de profonde amitié. J’en serai toujours reconnaissant.

Secrétaire de la Province d’Afrique Australe des Missionnaires d’Afrique

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De là, je me suis retrouvé à Lusaka en Zambie en tant que secrétaire provincial, et responsable des communications, au service des confrères vivant au Malawi, au Mozambique, en Afrique du Sud et en Zambie. C’est tout de même un défi de travailler dans la langue de Shakespeare pour un gars comme moi qui a échoué tous ses cours d’anglais à l’école.

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Capitale de la Zambie, Lusaka est en pleine envolée économique. L’Afrique, c’est aussi les grandes agglomérations, les vastes centres d’achat, les universités et les embouteillages sur les grands boulevards aux heures de pointe. Même si l’anglais est largement répandu, je parvenais à comprendre le chinyanja, une forme dérivée du chichewa.

Mon retour au Canada

Après plus d’une trentaine d’années, il est temps de revenir au bercail. Mes supérieurs m’ont demandé d’assurer la responsabilité du Centre Afrika situé sur la rue St-Hubert à Montréal. J’ai accepté avec joie. J’ai le sentiment que cela arrive à un bon moment dans ma vie. L’Afrique m’habite encore. J’ai parfois le sentiment d’être un Noir de race blanche.

Je suis chanceux de pouvoir poursuivre ma quête de connaissance du monde africain qui me passionne. Adolescent, j’avais le sentiment que la planète terre n’était pas assez grande pour mes aspirations. Je me suis limité à trois pays africains.

Serge St-Arneault, M.Afr.

5 réflexions sur « J’ai le sentiment d’être un Noir de race blanche »

  1. Cher Père Serge, Bonjour! Concernant votre article, pour moi, vous êtes plus que cette qualification. Non seulement vous êtes « un noir de race blanche », mais surtout « un homme de la race humaine ». Car vous ayant connu a la Paroisse de Gety/Province Ituri/RDC en 1993, et en ma qualité de procureur de paix comme vous (Matt 5:9) et médiateur international,  je peux confirmer que votre humanisme interpelle et dépasse les frontières géographiques. Enfin en ma qualité de Chrétien, je peux confirmer, pour parler en terme de tribu comme en Afrique, que nous sommes tous des « MuYesu » / « WaYesu ». Car il est né avec un seul objectif : sauver la race humaine entière de l’esclavage du péché. J’ose croire que ceux qui vous ont connu en RDC, au Malawi et ailleurs ne me contrediront pas. Merci pour ce précieux article.

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  2. Très cher Serge,Quel article si émouvant et qui résume le traumatisme dont nous tous souffrons en silence, à moins que nous l’exprimons dans l’art oratoire (lors de nos présentations) ou par écrit (votre cas).Merci beaucoup.Je vais vous écrire en privé concernant notre voyage à Montréal.Ben & Kongosi 

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