Publié le 05 décembre 2014 dans le journal Le Nouvelliste.
ISABELLE LÉGARÉ
Le Nouvelliste
(Trois-Rivières) Lucie St-Arneault s’accroche aux beautés de la vie qui se révèlent même après un drame comme celui de Polytechnique. Parmi elles, l’attachement qui réunit ses parents et ceux d’Anne-Marie Edward.
Leur amitié a pris naissance au lendemain des funérailles communes qui ont été célébrées à la basilique Notre-Dame de Montréal pour neuf des quatorze femmes assassinées.
Les St-Arneault ont été invités au chalet des Edward qui, à leur tour, ont visité leurs amis latuquois. Ensemble, ils pouvaient se consoler de la mort d’Annie et d’Anne-Marie. Ensemble, ils pouvaient essayer d’apprendre à vivre sans leur fille.
Contrairement à son père qui a exprimé le besoin de voir le film Polytechnique, Lucie s’est refusée de plonger au coeur d’une histoire fondée sur les faits réels de la tuerie.
«Je me dis souvent qu’un jour, je serai prête. Si des gens ont pris la peine de faire un film sur Polytechnique, c’est parce qu’ils ont probablement été touchés», ose croire la mère de Vincent, 17 ans, et de Roxanne, 14 ans.
L’an dernier, son fils a eu la délicatesse de l’informer qu’on allait lui présenter ce film en classe. Le garçon a demandé et obtenu la permission de sa mère qui ajoute, comme pour s’excuser d’essuyer de nouveau ses larmes: «Avec mes enfants, je suis capable de parler d’Annie sans pleurer.»
À travers le récit de leur mère, les deux adolescents ont découvert une femme dont la grandeur d’âme était impressionnante, témoigne Lucie St-Arneault avec admiration.
Inspirée par son frère Serge, missionnaire d’Afrique, la future ingénieure envisageait d’aller le rejoindre pour vivre l’expérience de l’aide humanitaire.
Au dire de sa soeur, Annie prenait naturellement la défense des laissés-pour-compte de la société. Artiste et poète, la jeune femme avait tous les talents, dont celui d’aimer et de se faire aimer.
«La petite aussi est comme ça», fait remarquer Lucie dont le visage s’illumine en parlant de sa fille Roxanne. Il lui semble qu’à travers elle se dévoile la bonté d’Annie. «Peut-être que je force ça aussi…», sourit tristement la dame avant de laisser tomber: «J’aurais tellement aimé que ma fille et ma soeur se connaissent.»
Bien avant d’être elle-même une maman, Lucie St-Arneault a ressenti un mélange de tristesse et d’empathie pour Monique Lépine, la mère du tueur.
«Il n’y a pas beaucoup de monde qui ressent de la compassion pour cette femme. Son fils s’est suicidé et a amené des gens avec lui. Ça doit être terriblement difficile pour une mère de vivre ça», se permet-elle de rappeler sans juger, comme l’aurait sans doute fait Annie.
Accepter. Pardonner… Lorsque notre grande soeur nous a été arrachée alors qu’on avait tant à lui raconter, ce sont des mots qu’on ne prononce pas sans mourir un peu aussi.
À l’instar de ses parents, Lucie St-Arneault est croyante. Ses pas la guident parfois jusqu’à l’église où, inévitablement, la prière du Notre Père est récitée. «(…) Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés…»
Vingt-cinq ans après le drame de Polytechnique, elle ne peut plus répéter cette parole comme avant, machinalement. Il lui arrive d’interrompre son appel. «J’ai beaucoup de difficulté à dire cette phrase. Souvent, je la saute… Je ne peux pas la dire si je n’y crois pas. Mais en même temps, ce n’est pas correct. Il faut que je pardonne. Il faut…», murmure celle qui a grandi, comme Annie, à poursuivre sa route en aimant son prochain.
Bouleversée et bouleversante, Lucie St-Arneault est une victime collatérale de la tragédie de Polytechnique. Le 6 décembre 1989, elle a perdu sa soeur, sa belle et grande amie. Vingt-cinq ans plus tard, il n’y a pas une journée où elle n’y pense pas.