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La scandaleuse qui n’est pas scandaleuse

Contexte culturel et social contemporain

L’enjeu de la diversité religieuse et spirituelle dans un contexte culturel où la neutralité et la laïcité sont mises de l’avant, comme c’est le cas en France et maintenant au Québec, remet en question le rôle de la religion qui a façonné ces sociétés pendant des siècles.

Tout particulièrement, le catholicisme a cimenté l’unité grâce à un système de croyance ‘reliant’ les gens les uns les autres. En effet, la religion se définit par sa capacité à relier les gens entre eux. Or, un catholicisme ritualiste cède de plus en plus sa place à un catholicisme plus spirituel. Ce processus est douloureux. En effet, la critique du passé est sévère. Plus de trente ans après la Révolution tranquille, le Québec souffre encore de son passé religieux et une peur du religieux s’est incrustée dans la psyché collective.

Pour séduire à nouveau, l’Église d’ici a pour mission d’évacuer cette peur viscérale en vivant de son mieux le message évangélique qu’elle annonce. Le but n’est pas de réinstitutionaliser la religion catholique comme elle était autrefois. De fait, de nouvelles formes d’expression d’une foi vive et porteuse de sens surgissent ici et là grâce à la présence bénéfique de croyantes et croyants issus de l’immigration, voire de la diversité. De fait, une nébuleuse de croyances émerge selon des sensibilités liées à de nouvelles pratiques éthiques, écologiques et même politiques. À l’égard des questions existentielles, face à la finitude, la construction du sens se démocratise.

Quel regard portons-nous ?

En termes anthropologiques, chaque civilisation, chaque culture et même chaque individu portent un regard selon leur perspective. Tous, nous jugeons selon notre point de vue. Plus la certitude de l’exactitude de nos croyances ou de nos idéologies domine ou définit notre identité, plus le jugement sur une différente façon de faire ou de croire risque d’être grand. Là réside un danger d’aliénation. Cela est vrai aussi bien dans les cas d’idéologies politiques que pour le fanatisme religieux.

La scène de la Cène avec les Drag-Queens

Que s’est-il passé lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 ? Cela dépend du regard. Certains y ont vu une image qui rappelle la célèbre peinture de Léonard de Vinci, « La Cène », représentant le dernier repas de Jésus-Christ avec ses apôtres.

Mettant en avant des artistes drags, des personnalités de la mode et de la danse, d’autres ont vu dans le tableau « Festivité », des messages forts tels que le féminisme et l’inclusion mêlant art et culture. 

De leur part, de l’autre côté de la planète, les internautes chinois, après avoir vu Philippe Katerine presque nu, peint en bleu, et allongé sur un plateau au milieu d’un buffet, ont été conquis. Ils l’ont rapidement rebaptisé « l’artiste Schtroumpf » ou « Schtroumpf parisien ».

Moquerie ou non de la Cène chrétienne

Aux dires de Thomas Jolly, le metteur en scène de la cérémonie d’ouverture, celui-ci n’avait aucunement l’intention de se moquer de la Cène chrétienne. Au lieu de cela, il a puisé son inspiration dans la Grèce antique.  Son idée était de créer une grande fête païenne en lien avec les dieux de l’Olympe et l’olympisme.

Pour mieux comprendre la référence au tableau du « Festin des Dieux », il faut se tourner vers une œuvre de la Renaissance italienne. Le « Festin des Dieux » a été commencé par le peintre italien Giovanni Bellini en 1514, puis retravaillé par un autre grand artiste italien, Titien, en 1529. Ce tableau représente plusieurs divinités de la mythologie gréco-romaine en train de festoyer. Commandé à l’époque par un noble italien, il est aujourd’hui conservé à la National Gallery of Art de Washington.

Cependant, le tableau « Le Festin des Dieux », peint par le peintre néerlandais Jan van Bijlert et réalisé vers 1635-1640, est une meilleure référence pour expliquer cette controverse. Il se trouve au musée Magnin à Dijon.

À gauche : « Le Festin des Dieux » par Jan van Bijlert. À droite : tableau « Festivité » présenté lors de la cérémonie d’ouverture de Jeux olympique de Paris.

Question d’interprétation

Tout est question d’interprétation ! La capacité de se scandaliser est un choix personnel. En fait, c’est une DÉCISION. La réalité est ce qu’elle est. Elle peut nous scandaliser ou non selon nos valeurs, nos choix, notre passé douloureux ou heureux, selon les influences, les reportages ou les récits que nous écoutons ou rejetons. Beaucoup de chrétiens et de catholiques ont fait leur choix en ce qui concerne le tableau « Festivité » présenté lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Y avait-il vraiment lieu de se scandaliser ?

Prenons l’exemple de la chanteuse Madonna qui s’est souvent attaquée aux thématiques religieuses dans ses chansons et vidéos. Lors de sa tournée Sticky & Sweet Tour en 2008, elle chante Live to Tell perchée sur une croix avec une couronne d’épines sur la tête. Si certains catholiques protestent face à ce qu’ils considèrent être un affront, l’indifférence générale domine.

Quelle est l’interprétation de l’artiste de cette chanson ?

Mon spectacle n’est ni anti-chrétien, ni sacrilège, ni blasphématoire. Il s’agit plutôt d’un appel au public pour encourager l’humanité à s’entraider et à voir le monde comme un tout unifié. Je crois sincèrement que si Jésus était vivant aujourd’hui, il ferait la même chose.

Mon intention spécifique est d’attirer l’attention sur les millions d’enfants d’Afrique qui meurent chaque jour et qui vivent sans soins, sans médicaments et sans espoir. Je demande aux gens d’ouvrir leur cœur et leur esprit et de s’impliquer de quelque manière que ce soit. La chanson se termine par une citation du livre biblique de Matthieu : « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. J’étais nu et vous m’avez donné des vêtements. J’étais malade et vous m’avez soigné et Dieu m’a répondu : « Tout ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu, 25, 35).

Ne portez pas de jugement sans avoir vu mon spectacle1.

La parabole du grand repas moqué

Pour la suite de notre réflexion, je recommande l’article signé par Jocelyn Girard le 31 juillet 2024 dans Culture.

Participant à un banquet donné par un personnage religieux important, Jésus est mis à l’épreuve sur ses convictions. Il choisit alors de provoquer son hôte ainsi que ses convives qui sont aussi de très bons religieux.

Jésus leur adresse une critique parce qu’ils se sont évalués les uns les autres à partir de leurs positions autour de la table, jugeant qui avait les meilleures places et qui était mis à l’écart. Et il se met à donner des indications claires sur le type de personnes qui auraient dû recevoir une invitation à un tel repas. Il commande alors d’inviter les pauvres, les infirmes, les boiteux et les aveugles… car ils ne peuvent rendre une telle invitation en retour.

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Le danger du complotisme

Prenons gare au courant réactionnaire qui crie à qui veut l’entendre que Philippe Katerine avait un agenda caché qui visait à se moquer des symboles chrétiens par-delà le banquet des dieux grecs. À juste titre, comme le souligne Jocelyn Girard : « un tel banquet, il est probable qu’aux pauvres, aux boiteux et aux infirmes de sa parabole, Jésus se serait permis d’ajouter les trans, les drags, les gens des minorités souvent prises violemment à partie par les majorités qui se croient si intègres et sans péchés. »

En choisissant de se scandaliser, il y a donc un réel danger chez les chrétiens et catholiques qui se sentent attaqués dans leurs croyances ou leur identité, d’ériger des murs avec des artistes qui ont une autre manière de construire du sens. Or, ériger des murs est contraire à la religion qui se définit par sa capacité de relier les gens entre eux.

Que dire aussi de ceux qui cyberharcèlent Thomas Jolly en lui faisant des menaces de mort liées à son origine et à son orientation sexuelle. Il est totalement injuste de s’en prendre ainsi à un artiste. C’est même contre l’esprit évangélique.

Conclusion

Une confusion s’est largement diffusée dans cet affrontement avant tout émotionnel. L’offense ressentie par de nombreux chrétiens et catholiques est sérieuse. Elle est indicative de quelque chose de plus profond. Depuis des décennies, les croyants se sentent mis de côté de la sphère publique et la visibilité des institutions de l’Église diminue comme une peau de chagrin. Voilà que le message évangélique est diffusé par une artiste comme Madonna qui chante sur une croix. Combien de jeunes ont vu une autre croix que celle-là ?

Or, un signe ostentatoire du christianisme comme celui de la croix n’apparaît pas dans le tableau « Festivité » lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. Il y a des gens autour d’une table, sans plus. Mais, certains y ont reconnu une allusion à la dernière Cène de Jésus. C’est ce qu’ils ont choisi de voir.

Peut-être que ce ras le bol est la goutte qui a fait déborder un vase, celui d’être constamment humilié par les accusations d’abus d’autorité ou de pouvoir. Ce terrible malentendu a pourtant le potentiel d’y trouver une nouvelle opportunité pour devenir une « Église moins institutionnelle, et plus relationnelle, capable d’accueillir sans juger préalablement, amie et proche, accueillante et miséricordieuse », comme le souligne le document de travail de la XVe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques qui s’est tenu à Rome en 2018.

AUTRES LIENS

Au sujet du sens de la croix : La singularité de Jésus

(…) nos ancêtres ont accordé beaucoup d’importance aux crucifix. Il y en avait partout; dans les maisons, les salles de classe, les carrefours, les façades des bâtiments et même dans le Salon Bleu de l’Assemblée nationale. Depuis les débuts du christianisme, la contemplation du crucifié est une démarche spirituelle ayant une grande signification.

Au sujet de la construction de murs : Un colloque sur les migrants et les réfugiés

(…) le Pape François milite pour la « globalisation des solidarités » en prenant comme principe qu’il n’y a pas d’amour sincère sans une part de sacrifice. L’esprit chrétien incite à offrir un espace d’accueil aux peuples étrangers et à leurs expressions culturelles. C’est cette attitude qui permet une croissance bénéfique de sa propre identité appelée à se transformer, à mûrir, à s’épanouir.

Au sujet de l’interculturalité : Vers une spiritualité interculturelle

Comment pouvons-nous intégrer la spiritualité de l’interculturalité dans notre quotidien ?

  1. Nous devons être prêts à changer notre regard et nos modes de perception.
    a) En développement une démarche constructive.
    b) En considérant l’autre personne ou l’autre groupe comme une source de complémentarité.
    c) En appréciant l’autre comme un don pour moi, non pas une menace.
    d) Ainsi, une communauté interculturelle devient un don pour tous.

2. Nous devons valoriser la diversité qui est voulue par Dieu.
a) À l’exemple de Moïse qui doit se déchausser pour pénétrer dans le lieu sacré de la rencontre, nous aussi, nous nous déchaussons de nos préjugés pour prioriser la spiritualité de l’interculturalité.
b) Nous sommes tous les enfants d’un même créateur.
c) La diversité est un don de Dieu.
d) La diversité est suscitée par l’Esprit de Dieu.

3. Nous devons chercher à atteindre ou tendre vers la spiritualité de communion.
a) Pour bien jouer son rôle, l’Église devrait avant tout être la maison ou l’école de la communion.
b) À privilégier : le regard du cœur, l’attention à l’autre, la capacité de voir le positif chez l’autre (personne ou groupe) et partager les fardeaux.

4. Nous devons construire la fraternité (référence : 1 Jean, 4,20).
a) En élargissant notre « cercle de fraternité »
b) En devenant des LIEUX D’HOSPITALITÉ SOLIDAIRES en privilégiant le vrai dialogue et la construction progressive d’une spiritualité interculturelle dans l’accueil de l’autre.

Au sujet des complotistes : Pandémie et complotisme

Il est important de faire la distinction entre les complots et les complotistes. Les complots, les machinations et les manipulations existent et ont toujours existé. En revanche, le complotisme relève de la croyance en des conspirations imaginaires. Il désigne l’attitude consistant à substituer abusivement à l’explication communément admise de certains phénomènes sociaux ou événements historiques, un récit alternatif qui postule l’existence d’une conspiration qui n’est évidemment jamais démontrée clairement. (Gilles Petel)

  1. My performance is neither anti-Christian, sacrilegious or blasphemous. Rather, it is my plea to the audience to encourage mankind to help one another and to see the world as a unified whole. I believe in my heart that if Jesus were alive today he would be doing the same thing.
    My specific intent is to bring attention to the millions of children in Africa who are dying every day, and are living without care, without medicine and without hope. I am asking people to open their hearts and minds to get involved in whatever way they can. The song ends with a quote from the Bible’s Book of Matthew: ‘For I was hungry and you gave me food. I was naked and you gave me clothing. I was sick and you took care of me and God replied, ‘Whatever you did for the least of my brothers… you did it to me.’ (Mathieu, 25, 35)
    Please do not pass judgment without seeing my show.
    Madonna: ‘I’m Not Mocking Church’ ↩︎

LIEN

Paul-André Giguère, Présence, Information religieuse, 22 août 2024

Merci à Jocelyn Girard pour sa réflexion sur la tempête dans un verre d’eau qui a suivi la présentation du tableau sur le banquet des dieux lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Il m’a ôté les mots du clavier alors que je m’apprêtais à les écrire pour Présence. J’aimerais seulement ajouter deux codicilles pour pousser l’interpellation un peu plus loin.

→ Relire le texte de Jocelyn Girard, La parabole du grand repas moqué, 31 juillet 2024.