Rapports entre religion, politique et pluralisme.
TEXTE DE FRÉDÉRIC BARRIAULT
Le temps me manque cruellement en ces temps incertains. Je note cependant le vide énorme causé par la fermeture du Centre Justice et Foi dont la voix était essentielle dans les débats sur la laïcité, l’identité et le pluralisme, avec son regard critique sur les instrumentalisations du catholicisme sous forme de catho-laïcité islamophobe. En pensant *chrétiennement* les rapports entre religion, politique et pluralisme.
Alexandre Dumas présente aujourd’hui une analyse exhaustive et caustique de cette imposture intellectuelle qu’est le rapport Pelchat-Rousseau. La chronique d’Yves Boisvert abonde dans le même sens, en montrant la faiblesse méthodologique et argumentative de ce rapport biaisé et partisan. J’ai été séduit par la chute du texte de Boisvert, c’est-à-dire l’obsession de Christiane Pelchat et de Guillaume Rousseau pour une prétendue « clarté » et une « intransigeance » tous azimuts envers la présence du religieux dans l’espace civique et public. À l’opposé d’une approche pondérée et équilibrée comme celle qui prévaut depuis des années, en cohérence avec le rapport de la Commission Bouchard-Taylor.
Cette obsession pour le prescrit et l’interdit m’a rappelé l’opposition tenace de la droite et de l’extrême droite catholique envers le pape François, auquel ils reprochaient de trahir l’enseignement de l’Église et d’engendrer une confusion dans l’esprit des fidèles par son approche pastorale fondée sur le discernement, la bienveillance et l’accompagnement des personnes en situation irrégulière au regard de la morale catholique. Une bienveillance et un accompagnement pastoral qui s’appliquait aussi aux migrants et réfugiés en situation irrégulière.
À cette approche bienveillante s’oppose le nationalisme chrétien et l’intégrisme de la droite et de l’extrême droite religieuses qui veulent éliminer toutes les supposées « ambiguïtés » en réaffirmant avec force et violence ce qu’ils jugent (à tort) être l’essence du christianisme, sous forme de prescriptions et d’interdictions qui punissent les personnes qui transgressent selon eux les normes sociales, qu’il s’agisse des personnes LGBTQ+, des femmes ayant recours à une IVG ou des personnes critiquant cette vision théocratique du christianisme qui est en définitive aux antipodes de l’Évangile du Christ. L’objectif ultime des nationalistes chrétiens est en effet de refonder un ordre social intégralement chrétien, du sommet de l’État jusqu’à la sphère de l’intime, dans les foyers et chambres à coucher des citoyen•nes.
Le projet de société des partisans de cette laïcité falsifiée est du même ordre. Il ne s’agit pas, il ne s’agit plus de séparer l’État des religions, mais plutôt de mettre en place un athéisme d’État qui ferait disparaître des religions jugées contraires aux « valeurs québécoises » pour la refouler dans la sphère privée et intime. Non seulement la refouler, mais aussi tâcher de la faire disparaître par une soi-disant éducation à la « laïcité » et une journée nationale de la « laïcité » qui ferait disparaître les dernières scories de cette foi religieuse apparemment dangereuse. Non sans ironie, cette laïcité falsifiée est en réalité une religion civile qui n’est pas sans rappeler celle des Jacobins sous la Révolution française, ou celle des Bolcheviks sous la Révolution russe.
Une vision totalement falsifiée de la laïcité républicaine et française qui sert apparemment de modèle à nos intégristes laïques québécois. Comme le rappelle sans relâche Jean Baubérot depuis quinze ans, la laïcité française de 1905 est une loi de liberté : elle a effectivement libéré l’État français de la tutelle encombrante de l’Église catholique. Or, elle a aussi et surtout protégé les religions contre l’emprise tout aussi encombrante du césaro-papisme aussi vieux que la France, c’est-à-dire cette ingérence de l’État dans la vie interne et dans les croyances des Églises et des groupes religieux.
La Loi de 1905 a réaffirmé avec force la liberté de conscience et de religion, en tempérant les excès de certains anticléricaux intransigeants qui auraient voulu interdire le port de la soutane, du voile et de l’habit religieux dans l’espace civique et public. Au contraire même : il y a même eu des prêtres députés en soutane dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Les croyantes et croyants n’étant pas et n’ayant pas à être des citoyens de seconde zone.
La laïcité bien entendue est un modèle de cohabitation pacifique et pragmatique, fondé sur ces fameux accommodements raisonnables que Pelchat et Roussesu aimeraient interdire, au nom de l’intégrisme et l’instansigeantisme séculariste et athée, qualifié abusivement de « laïc ».
AUTRE LIEN
EXTRAIT PARTICULIÈREMENT INTÉRESSANT DE CE REPORTAGE :
“One of the difficulties of this conversation is that when you use the expression ‘separation of church and state’ anywhere in North America, besides Quebec, it means we will protect religion from the intervention of government,” Poupko said. “In Quebec, it means we will protect government from the intervention of religion.” Rabbi Reuben Poupko
« L’une des difficultés de ce débat réside dans le fait que lorsque l’on utilise l’expression « séparation de l’Église et de l’État » en Amérique du Nord, à l’exception du Québec, cela signifie que nous protégerons la religion de l’intervention du gouvernement », explique M. Poupko. « Au Québec, cela signifie que nous protégerons le gouvernement de l’intervention de la religion. » Rabbi Reuben Poupko
C’est l’État qui est laïque et non la société
La laïcité de l’État garantit que les institutions demeurent neutres devant la diversité des croyances, au service et au bénéfice de tous les membres de la société. Mais elle n’exige pas l’effacement public de la foi dans la société, bien au contraire. Confondre neutralité de l’État et neutralisation de la société conduirait à une grave régression.
✠ Christian Lépine, Archevêque de Montréal
L’État est laïque, pas la société
« Dans une société démocratique comme la nôtre, la diversité des convictions ne se craint pas », lance-t-il au gouvernement que dirige le premier ministre François Legault. « Elle s’accueille et contribue à faire la richesse du Québec, forte de la culture du dialogue et de la rencontre. »
Mgr Christian Lépine.















