Le Devoir, 9 mars 2024. Jean-François Lisée, auteur et chroniqueur, a dirigé le PQ de 2016 à 2018.
Le premier thème développé par Jean-François Lisée dans son article est celui du juron « tabarnak » que Denis Villeneuve a cherché en vain à faire dire à l’acteur Josh Brolin. L’authenticité du ton n’y était pas !
Plus sérieusement, selon Lisée, « Villeneuve invente deux fractures (dans son film) : une entre les jeunes, religio-sceptiques, et les vieux, croyants ; une autre entre les nordistes, laïcs, et les sudistes, fondamentalistes. On croirait le Québécois de la loi 21 juger durement l’obscurantisme des Américains de la Bible Belt ».
Villeneuve au micro de Patrick Masbourian précise qu’« une des idées principales de la Révolution tranquille au Québec a été de dissocier cette société laïque là, qui s’est éloignée du joug de l’Église. […] Le Québec a été un laboratoire extraordinaire pour ça, et je pense que c’est là où je pourrais dire que mon adaptation à une sensibilité québécoise ».
Une sensibilité québécoise = un laboratoire extraordinaire !
Lisée ajoute que « l’irrévérence anticatholique des Cyniques de sa jeunesse sourd dans une scène — inimaginable dans le livre — où Villeneuve se moque du discours circulaire religieux ». (…) Villeneuve « en profite pour infuser une œuvre phare de la culture occidentale de convictions laïques, antimonarchistes et féministes forgées dans son Québec natal, ce « laboratoire extraordinaire ».
La Révolution tranquille, toujours et partout !
J’ai souvent abordé le thème de la Révolution tranquille et ce qu’elle a représenté pour moi dans mon adolescence. Un souvenir d’enfance illustre aussi ce propos : Qu’est qu’on est venu faire icitte ?
Dans le témoignage de MA RÉVOLUTION TRANQUILLE (MA RÉVOLUTION TRANQUILLE, SUITE), j’ai soulevé comment les Cyniques ont joué un rôle crucial à l’époque de la Révolution tranquille qui fut un « laboratoire extraordinaire », aux dires de Denis Villeneuve. À tel point qu’une soixantaine d’année plus tard, l’adaptation d’un roman de science-fiction publié aux États-Unis en 1965 par écrivain Frank Herbert, intitulé Dune, soit imagé par un talentueux metteur en scène qui a grandi dans ce « laboratoire extraordinaire » issue d’une société qui « s’est éloigné du joug de l’Église ».
Frank Herbert a écrit son roman où son imaginaire littéraire créait un monde en transformation qui se déroulait au même moment avec frénésie au Québec. Intéressant !
Le ridicule
Selon Lisée, Villeneuve a réussi à tourner les croyants en ridicule. C’est précisément le rôle qu’ont joué les Cyniques avec brio. Le ridicule provoque le rire, la moquerie, la dérision. À ce titre, le ridicule libère du carcan imposé par une structure dominante. Elle est une soupape qui permet d’évacuer la rancœur et cicatrise les blessures émotionnelles.
Or, la saga romanesque de Dune aborde beaucoup plus de thèmes dont l’écologie planétaire, l’organisation politique et religieuse, les rivalités politiques et économiques, l’accessibilité aux ressources, l’intelligence artificielle, les robots intelligents, les manipulations génétiques, le mysticisme et le contrôle des religions pour guider la population.
Frank Herbert a étonnamment été inspiré pour aborder tant de thèmes qui sont aujourd’hui si cruciaux. En serait-il de même de notre « laboratoire extraordinaire » à la sauce québécoise dont les jurons proverbiaux sont devenus légendaires ?
Le joug de l’Église
Il me semble que le joug de l’Église qui a été dénoncé lors de la Révolution tranquille est précisément cette tentative de tout contrôler, jusqu’à la chambre à coucher. Ce contrôle n’existe plus au Québec. Les gens, même les croyants, gardent maintenant leur distance et se méfient.
Les tentatives de contrôle viennent d’ailleurs, telles que les théories de complots. Gilles Petel l’explique abondamment dans son livre Pandémie et complotisme.
Je crois sincèrement que le message du Christ, son Évangile, est avant tout un message de libération. Aussi lourde soit-elle par ses 2000 ans d’histoire, je constate que l’institution de l’Église évolue. Cette évolution s’accompagne de tensions, voire d’oppositions. Nous devons garder en mémoire que la recherche du contrôle, donc de la domination, sera toujours un danger pour l’Église. N’oublions pas que les idéologies religieuses et politiques sont par définition des mécanismes de contrôle.
Même si les lois sont souhaitables pour forger une cohésion sociale, manifestées par des appropriations culturelles d’une extrême variété et richesse, c’est l’esprit de la loi qui importe.
C’est la loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus. (Rm, 8, 2)
C’est par l’Esprit que de la foi nous attendons la justice espérée. (Ga 5, 5)
L’Esprit-Saint, l’avez-vous reçu pour avoir écouté le message de la foi ? (Ga 3, 2)



