Djely Tapa – Dankoroba (Influente)

Je connais Djely Tapa depuis mon retour de la Zambie en 2017. Nouvellement nommé directeur du Centre Afrika, c’est Jean-François Bégin, qui était à cette époque le coordonnateur du centre, qui m’a présenté Djely. Elle l’accompagnant avec enthousiasme lors de visites dans les écoles dans le but d’initier les élèves à quelques aspects de la richesse culturelle africaine tels que la musique et les comptes.

Djely Tapa répétait sans cesse qu’elle était la griotte du Centre Afrika. Elle était présente lorsque nous recevions des élèves à notre centre pour une journée d’initiation aux valeurs culturelles africaines. Un jour que nous attendions un large groupe d’écoliers, arrivant directement de l’aéroport, Djely s’est présentée au Centre Afrika tôt le matin après un long voyage. Elle avait quitté le Mali la veille. Malgré la fatigue du voyage, elle a tenu sa promesse d’être avec nous ce jour-là. Elle est extraordinaire !

Nommée Révélation Radio-Canada en musique du monde en 2019

Djely Tapa est issue d’une longue lignée de griots, ces poètes gardiens de traditions. Elle est de plus en plus connue sur la scène internationale comme interprète. Sa voix haute-perchée caractérise sa vocalise racée accompagnée d’envolées vertigineuses. La griotte du Centre Afrika a ainsi pris le large tel un oiseau. Elle a d’ailleurs toujours rêvé de devenir pilote d’avion.

Bref, je veux aujourd’hui vous présenter son plus récent album intitulé Dankoroba qui peut se traduire par le terme ‘influente‘. Je vous invite à visionner sa chanson de qualité hautement professionnelle. Elle chante en bambara. Vous trouverez la traduction en français après les photos illustrant sa vidéoclip. Mais, auparavant, un aperçu historique est nécessaire pour bien comprendre la signification de la chanson. Revenons à l’époque de l’empire du Mali.

L’Empire du Mali, ou l’Empire mandingue

Soundjata Keïta

Le Mandé est la province d’origine de l’empire du Mali, ou l’Empire mandingue. Celui-ci fut fondé sous l’impulsion de Soundjata Keïta au 13e siècle. L’autorité de ce souverain s’étalait du Ghana jusqu’à l’océan du côté occidental de l’Afrique. Les petits royaumes de l’empire étaient dirigés par des chefs qui assuraient la chasse, la capture et la revente d’esclaves.

L’empire du Mali a connu son apogée au XIVe siècle. Il englobait une grande partie du territoire actuel du Mali, de la Guinée, du Sénégal, et de plusieurs autres États africains.

Le dialecte mandingue

Le mandingue est un continuum de dialectes recouvrant de vastes territoires au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Gambie, en Guinée-Bissau, au Liberia et en Sierra Leone. De nos jours, les principales langues mandingues sont le bambara au Mali, le dioula en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, le mandinka au Sénégal et en Gambie et le mandinka en Guinée et au Mali.

Soundjata Keïta

Soundiata Keïta, également connu sous le nom de Mari Diata Konaté. Né en 1190 à Niani, dans le royaume du Manding, Soundiata Keïta a ainsi joué un rôle essentiel dans l’histoire de la région. Il a régné comme un empereur entre 1235 et 1240. De nos jours encore, l’histoire de Soundiata est transmise à travers une épopée légendaire racontée de génération en génération par les griots. En somme, Soundiata Keïta est une figure emblématique de l’Afrique de l’Ouest, dont l’héritage perdure à travers les récits et les traditions.

Empereur du Mali

La charte du Manden

C’est au moment de son intronisation en 1236, au nom de la confrérie des chasseurs, l’empereur Soundiata Keita aurait proclamé la charte du Manden.

Cette charte est une déclaration des droits de l’homme de portée universelle, remontant à 1222, attribuée à la confrérie des chasseurs malinkés (une société africaine traditionnelle et initiatique), transmise par la tradition orale et retranscrite au milieu des années 60 par l’anthropologue et historien Youssouf Tata Cissé.

La Charte du Manden, plusieurs siècles avant la reconnaissance de valeurs aujourd’hui défendues par le monde occidental, affirme de manière universelle le droit à la vie, à la liberté et à l’égalité, et aux réparations en cas d’offense à ces principes. Elle dénonce formellement l’esclavage et la discrimination.

Elle est suffisamment dérangeante – aux yeux de ceux qui cherchent à démontrer l’infériorité intellectuelle et morale de l’Afrique et de sa diaspora et son prétendu attachement traditionnel à l’esclavage – pour que plusieurs scientifiques occidentaux (dont l’historien français néo-conservateur Francis Simonis) aient cherché à en nier l’authenticité.

Pourtant, en 2009, l’UNESCO a inscrit la Charte du Manden au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Le texte de la Charte du Manden

(Version transcrite en 1965 par Youssouf Tata Cissé, à partir d’un récit de Fa-Djimba Kanté)

Préambule

Le Manden fut fondé sur l’entente et l’amour, la liberté et la fraternité. Cela signifie qu’il ne saurait y avoir de discrimination ethnique ni raciale au Manden. Tel fut le sens de notre combat. Par conséquent, les enfants de Sanenè et Kòntròn font, à l’adresse des douze parties du monde et au nom du Manden tout entier, la proclamation suivante :

Article 1

Les chasseurs déclarent que toute vie [humaine] est une vie. Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie. Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable, qu’une autre vie. De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.

Article 2

Les chasseurs déclarent que toute vie étant une vie, tout tort causé à une vie exige réparation. Par conséquent, que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin, que nul ne cause du tort à son prochain, que nul ne martyrise son semblable.

Article 3

Les chasseurs déclarent que chacun veille sur son prochain, que chacun vénère ses géniteurs, que chacun éduque comme il faut ses enfants, que chacun « entretienne » autrement dit pourvoit aux besoins des membres de sa famille.

Article 4

Les chasseurs déclarent que chacun veille sur le pays de ses pères. Par pays ou patrie, il faut entendre aussi et surtout les hommes; car tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique [connaîtraient la tristesse et la désolation].

Article 5

Les chasseurs déclarent que la faim n’est pas une bonne chose, que l’esclavage n’est pas une bonne chose, qu’il n’y a pas pire calamité que ces choses-là dans ce bas monde. Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc, la faim ne tuera plus personne au Manden. Si d’aventure la famine venait à sévir, la guerre ne détruira plus jamais de village au Manden pour y prélever des esclaves. C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre. Personne ne sera non plus battu, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave.

Article 6

Les chasseurs déclarent que l’essence de l’esclavage est éteinte en ce jour, « d’un mur à l’autre » du Manden. La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden. Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden. Quelle épreuve que le tourment, surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours ! Quelle déchéance que l’esclavage ! L’esclave ne jouit d’aucune considération, nulle part dans le monde.

Article 7

Les gens d’autrefois nous disent que l’homme en tant qu’individu, fait d’os et de chair, de moelle et de nerfs, de peau et de poils qui la recouvrent, se nourrit d’aliments et de boissons. Mais son « âme », son esprit vit de trois choses : a) voir qui il a envie de voir, b) dire ce qu’il a envie de dire, c) et faire ce qu’il a envie de faire.
Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme, elle en souffrirait, et s’étiolerait sûrement. En conséquence, les chasseurs déclarent que chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, dans le respect des « interdits », des lois de la Patrie. Tel est le serment du Manden, à l’adresse des oreilles du monde entier.

La chanson de Djely Tapa intitulée Dankoroba – (Influente) interprétée en bambara

Depuis son ascension artistique en 2019 (année de la COVID-19), nous n’avons plus revu Djely Tapa au Centre Afrika. Notre griotte a étendu ses ailes dans tous les horizons. Nous en sommes très fiers. Elle maintient son désir de transmettre son riche patrimoine culturel. Cette fois-ci, elle chante la grandeur et l’important rôle qu’à jouer neuf femmes à l’époque de l’empereur Soundiata Keïta. Aujourd’hui, nous les appellerions des militantes ou des féministes, ou mieux encore, des influenceuses.

Dankoroba célèbre le pouvoir des individus de façonner positivement le monde, et rend hommage aux Sumusso, neuf femmes impliquées dans le 1er gouvernement de l’Empire mandingue au 13e siècle.

PAROLES EN BAMBARA

Hummm

Tom hum Ko la dön (x2)

Diala ladön torö ladön monifi ladön ya deen ye

Kana siran ngana gnè huki ka siran nganadeen gnè

Hummm dankoroba deen ye ladön ye

Dankorobayi la deen la mœlé huko te ko kolo kè

Djelyké korobayi non deen mi lamœ

Ho te kokolo kè

Djelymousso korobayi la deen lamœlé

Ho te kokolo kè

Ko deen bè dou sumusso karifadeen te doumouna

Deen bè dou gnagamousso karifadeen te doumouna

Sumusso kononton gnagamusso kononton kolou karifadeen te doumouna

Hé Hiye dankoroba la deen la mœlé ye gné Sumusso

Sumusso Kukuba

Sumusso Gnagarigassa

Sumusso Dugubètolo

Sumusso Batiba

Sumusso Soli

Sumusso Siga

Sumusso Nganadjougoulayi

Sumusso Ngnalé

Mbemba sumusso Kiligna Mandé Kouyaté

Djely ya djina boro hawa ye Biriko

Hummmmm nganalou la deen na mœlé ye

Ngana minè ngana la deen na mœlé Hee

Ngana (x3)

Tom hum ko ladön (x4)

Ngana minè ngana han

Té kokolo kè Dankoroba ha si ye gné

Dankoroba ha si ye gné Djaly miniyan si ne bora koloba la

Sanisso térèna si ne bora koloba la

Nganalou la deen mœlé

Kani Soumano si ne bora koloba la

Mbora koloba la

Dankoroba deen na mœle

Deen na mœlé (x2)

Ngana bòda la kolotè Hummm…

Auteure-interprète : Djely Tapa, compositeurs : Jean Massicotte & Atimi Banohro, musiciens : Jean Massicotte, Atimi Banohro, Kandiafa, chorale Afrika Intshiyetu. Produit par Djely Tapa. Production déléguée : Guilaine Royer. Vidéoclip : Jypheal. Disques Nuits d’Afrique-Distribution Believe

En Français

Note : Les sumusso sont considérées comme des ‘sorcières’. Cela peut porter à confusion. En effet, l’appellation de ‘sorcière’ dans ce contexte, comme dans beaucoup d’autres cultures africaines, n’a rien de comparable avec la notion ou la définition des sorcières du moyen-âge en Europe ou dans la pensée populaire encore bien présente dans nos sociétés occidentales où un sorcier ou une sorcière est un personnage qui possède des dons surnaturels, voire méchants et malsains.

Dans le cas des sumusso, il s’agit avant tout de personnes influentes possédant une renommée sociale ou un statut public. Il en est de même chez un chef coutumier qui détient un pouvoir à la fois politique et spirituel. Les gens craignent la compagnie des sorciers ou des sorcières avant tout à cause de leur potentielle influence, soit bénéfique ou maléfique. Pourtant, leur rôle est également associé à la préservation de la paix ou de l’harmonie sociale. Il s’agit donc d’une influence positive. Cela n’a rien à voir avec les ‘méchantes sorcières laides et maléfiques’ que nos lointains ancêtres ont brûlé sur des bûchés.

Voir aussi le lien : SORCELLERIE ET THÉORIES COMPLOTISTES 

Hummm

Leurs fleurs (x2)

La fleur de caïlcédrat, la fleur de figuier

La fleur de l’Être s’épanouit en l’enfant

N’ayez pas peur du stratège mais plutôt de son héritier

Oui, l’héritier est le joyau de l’influent

L’héritier des influents stratèges ne fera point d’erreur

L’héritier des vieux griots ne fera point d’erreur

L’héritier des anciennes griottes ne fera point d’erreur

Tous les enfants risquent d’être enjôlés, sauf les protégés de courageuses érudites

Tous les enfants risquent d’être enjôlés, sauf les protégés de sorcières dangereusement éclairées

Un enfant guidé par les neuf sorcières suprêmes ne sera jamais subjugué

Me voici, je suis l’héritière des influentes stratèges

Sorcières :

Sumusso Kukuba

Sumusso Gnagarigassa

Sumusso Dugubètolo

Sumusso Batiba

Sumusso Soli

Sumusso Siga

Sumusso Nganadjougoulayi

Sumusso Ngnalé

Mon ancêtre, Sumusso Kiligna Mandé Kouyate

Hawa avait le génie de Djely ya à Biriko

Je suis l’héritière de femmes de pouvoir

L’héritière de femmes éclairées qui défont les intrigants

Leurs fleurs (x4)

La stratège clairvoyante ne fera point d’erreur

Je suis descendante de glorieuses influentes

Je suis de la lignée solide de Djaly Miniyan

Je suis de la lignée solide de Sanisso Tèrèna

L’héritière d’influentes hautement éclairées

Je suis de la lignée solide de Kani Soumano

Ma lignée est vigoureuse

L’héritière de femmes puissantes au legs éternel

In English

Hummm Their flowers (x2)

The caïlcédrat flower, the fig flower…

The flower of Being blossoms in the child

Don’t fear the strategist, fear the heir

Yes, the heir is the treasure of the influential strategist

The heir of influential strategists will make no mistakes

The heir to the old griots will make no mistakes

The heir of the old female griots will make no mistakes

All children risk being mesmerized except those protected by women of courage and knowledge

All children risk being mesmerized except those protected by dangerously enlightened witches

A child guided by the nine highest witches will never be subjugated

Here I am, heiress of influential women

Witches:

Sumusso Kukuba

Sumusso Gnagarigassa

Sumusso Dugubètolo

Sumusso Batiba

Sumusso Soli

Sumusso Siga

Sumusso Nganadjougoulayi

Sumusso Ngnalé

My ancestor, Sumusso Kiligna Mandé Kouyate

Hawa had the genius of djely ya in Biriko

I am the heiress of powerful women

The heiress of enlightened women who defeat schemers

Their flowers (x4)

The clear-sighted strategist will make no mistake

I am a descendant of glorious women of influence

I come from the solid lineage of Djaly Miniyan

I come from the solid lineage of Sanisso Tèrèna

The heiress of highly enlightened women

I come from the solid lineage of Kani Soumano

My lineage is vigorous

The heiress of powerful women whose legacy is eternal