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Pédagogie Politique 

Freddy Kyombo Senga

Par Freddy Kyombo Senga , M.Afr, missionnaire, formateur en leadership communautaire et journaliste. Il est aussi le directeur du Centre Afrika à Montréal depuis juillet 2023. 

À la fin de mes études de théologie au Missionary Institute of London1, mon travail de fin d’études portait sur les écrits de l’éducateur brésilien Paolo Freire qui a travaillé sur l’importance de la conscientisation des masses. Entre autres, il est auteur de « La pédagogie des opprimés » et « L’éducation pour une conscience critique ». 

Durant mes quinze années de mission et mon séjour au Congo, je n’ai jamais pu esquiver les conséquences positives et négatives des faits politiques. J’ai donc été observateur aux premières loges de tout ce qui advenait à mes paroissiens, aux jeunes que j’encadrais et aux populations au milieu desquelles je vivais.  

Quelle « Bonne Nouvelle du Salut » puis-je annoncer à un père et une mère de famille avec huit enfants qui doivent vivre avec un salaire aléatoire et incertain de moins de 50 dollars à la fin du mois ? Dans de telles situations, les populations sciemment paupérisées adoptent souvent une attitude spirituelle fataliste qui est contraire avec l’esprit d’un Dieu libérateur.  

D’ailleurs, qui donc est ce Dieu qui imposerait autant de souffrance aux habitants de certains pays et qui permettrait un gaspillage scandaleux aux habitants d’autres pays ? Est-ce faire de la politique que de conscientiser les gens pour qu’ils puissent se prendre en charge et gérer leur cité de façon responsable ?  

Tant pis si l’on me traite de politicien. Pour moi, la pastorale ne consiste pas à confiner les gens dans les églises et les faire ployer sous un Dieu impitoyable et insensible. À une certaine époque en Amérique latine, les églises ont été utilisées pour tromper les populations qui ne devaient pas s’intéresser aux affaires du monde. Ils devaient seulement se concentrer sur les réalités spirituelles, les choses d’en haut.    

En cohérence avec ma formation et mon travail personnel, à la suite de Paolo Freire, j’ai donc opté pour l’éducation populaire et la conscientisation des peuples. Au Mali et au Congo, j’ai utilisé les techniques éducatives du « training for transformation » que je peux traduire par « une formation pour la transformation ». Il s’agit d’une pédagogie dialogique dans laquelle l’apprenant est acteur dans son propre apprentissage. Il ne fait pas que gober des théories qui viennent d’ailleurs, mais il est outillé (empowerd) pour jeter un regard critique sur sa propre situation et sur son environnement. Il peut faire ses propres choix et agir de façon adéquate. Par son savoir-faire, le rôle du facilitateur est d’encourager et de soutenir la démarche des gens. C’est dans ce cadre que nous pouvons parler de la « Pédagogie Politique » qui va concerner non seulement les populations ordinaires, mais aussi tous ceux qui aspirent à gérer la cité.   

L’éducation politique à la démocratie 

Selon Paolo Freire, les opprimés ne devraient pas être exclus du processus de leur propre libération. Dans son livre « The Politics of Education« , il plaide en faveur d’un processus d’alphabétisation politique qui parle du besoin d’impliquer les gens dans la gestion de leur vie. 

Pour Ira Shor : « C’est une grande découverte, l’éducation est politique ! Lorsqu’un enseignant découvre qu’il est aussi un politicien, il doit se demander quel genre de politique je fais dans cette classe. C’est-à-dire, en faveur de qui suis-je professeur ? Le professeur travaille en faveur de quelque chose et contre quelque chose. À cause de cela, il ou elle aura une autre grande question. Comment être cohérent dans ma pratique de l’enseignement avec mon choix politique ? Je ne peux pas proclamer mon rêve libérateur et, le lendemain, être autoritaire dans ma relation avec les étudiants ». (Shor et Freire 1987 :46)  

Ira Shor – On Paulo Freire

Le rêve libérateur de Paolo Freire est d’atteindre une éducation démocratique qui permettrait aux gens de dialoguer et d’exprimer leur opinion. Ce n’est pas la même chose que le type de démocratie qu’il appelle une « démocratie sui generis » dans laquelle l’élite, sous prétexte de défendre le peuple contre l’influence étrangère, fait taire son propre peuple.  

Selon cette élite, ceux qui insistent pour donner leur point de vue sur les enjeux de société sont traités comme étant des malades et des déviants ayant besoin de « médicaments ». Cette médication a souvent consisté en un traitement de choc répressif allant jusqu’à l’assistanat, limitant et même abolissant les règles démocratiques.  

La massification opposée à la conscientisation 

En plus d’être à la fois la cause et l’effet de la massification, la répression maintient les gens dans une certaine passivité, nie leur responsabilité et ne les aide pas à participer à leur propre destin. La massification est le fait de traiter les populations comme une masse sans âme qui se nourrit d’émotions et de promesses. Elle attend tout de l’élite qui a le monopole de l’intelligence, de la réflexion et des bonnes décisions.  

La conscientisation est alors considérée comme étant dangereuse puisqu’il s’agit d’un « programme éducatif actif et dialogique, soucieux de responsabilité sociale et politique, et (les gens qui en bénéficie sont) déterminées à s’opposer à la massification ».   

La méthodologie de Paolo Freire 

En dialogue avec le facilitateur, la méthodologie proposée par Paolo Freire favorise l’analyse et le débat des problèmes par les apprenants. Celui-ci pense que l’on peut « apprendre la démocratie par l’exercice de la démocratie ». Il nous invite à voir que la démocratie et l’éducation démocratique sont fondées sur la foi en l’homme, sur la conviction qu’il peut et doit non seulement discuter des problèmes de son pays, de son continent, de son monde, de son travail, mais aussi des problèmes de la démocratie elle-même.    

Commentant cette méthodologie, Ira Shor dit que Freire insiste sur une certaine cohérence entre les théories démocratiques de l’enseignant et sa méthodologie en classe. Toute divergence entre les deux compromettrait la crédibilité de ses théories.    

Démocratie et éducation en classe 

Paolo Freire pense qu’il y a un lien très étroit entre les principes démocratiques et l’éducation. Il affirme que « toute activité éducative est de nature politique » incluant l’éducation en classe.  

Selon Ira Shor : « La politique est dans la relation enseignant-élève, qu’elle soit autoritaire ou démocratique. La politique est dans les matières choisies pour le programme d’études et dans celles qui sont laissées de côté. C’est aussi dans la méthode de choix du contenu des cours, qu’il y ait une décision partagée ou seulement la prérogative de l’enseignant, qu’il y ait un programme négocié dans la classe ou imposé unilatéralement ».   

Paolo Freire croit que le programme d’études pourrait être utilisé pour imposer une culture dominante à un élève. Cela entrave alors sérieusement la capacité des élèves à penser de façon démocratique et critique. Plus l’élève est exposé à un programme manipulateur et non démocratique, moins celui-ci est susceptible de pouvoir agir et de se considérer comme un sujet de transformation du savoir et de la société.  

Les discoureurs incompétents 

Observez les discours des cadres et fonctionnaires qui semblent dénués de tout esprit d’initiative. Ils n’agissent que sous l’impulsion de quelqu’un qui possède une autorité politique, elle-même incompétente. Observez aussi comment ces pauvres fonctionnaires sont mal lotis. Pourtant, ils défendent bec et ongles l’action salutaire de leur propre bourreau. Ne s’agit-il pas du syndrome de Stockholm2 où la victime s’attache affectueusement à son bourreau ?    

De bons outils pour une réflexion-actions 

Il nous faut une pédagogie ou une andragogie3 qui donne à nos compatriotes les bons outils pour une réflexion-actions adéquate à leur situation réelle, pour un changement en profondeur de leur société.  

L’Éducation de nos concitoyens à leur participation effective dans la gestion de la cité est un premier pas vers une véritable transformation sociale.   

Ainsi outillés, les gens feront eux-mêmes le choix du genre de vie qu’ils souhaitent pour leur pays et pour leurs progénitures. Ils se donneront eux-mêmes le profil de ceux qui peuvent aspirer à les servir comme gestionnaires de la chose publique.  

Ainsi éduqués et informés, ils ne seront pas ballotés par des sentiments tribaux ou par le déterminisme des classes sociales. Ils seront plus conscients qu’ils ne sont pas venus accompagner les autres sur cette terre ou tenir la chandelle à ceux qui s’empiffrent des bonnes choses ou qui remplissent leurs sacs des pépites d’or. Ils ne laisseront plus manipuler par des politiciens délinquants et veilleront plus étroitement la gestion du patrimoine national commun et de la chose publique.  

  1. Ouvert en 1967, Missionary Institute of London a fermé ses portes en 2007. ↩︎
  2. Le syndrome de Stockholm est un concept proposé pour expliquer l’attachement psychologique de victimes ou d’otages envers leurs bourreaux.  ↩︎
  3. L’andragogie est la science de l’éducation et de la formation des adultes. Elle se caractérise par un apprenant adulte et un formateur. Il n’est pas question d’enseigner, mais de former. ↩︎