Les femmes sourdes de Goma nous rappellent une vérité universelle : l’égalité ne se mesure pas à l’aune des mots couchés sur le papier, mais à celle de l’accès réel aux droits et aux opportunités. Dans une guerre où tout semble urgent, elles montrent que l’inclusion ne peut attendre ; c’est une nécessité humanitaire. Elles se battent pour le droit de vivre pleinement, de prendre des décisions concernant leur corps et de participer à la société comme tout le monde.
1er décembre 2025
Par Monique Kabanza Sebiguri. Publié avec l’accord de l’auteur.
À Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), la guerre ne se contente pas de détruire les maisons et les routes. Elle brise les liens, réduit les voix au silence et limite les opportunités. Au milieu de cette tourmente, une lutte invisible se déroule, menée par celles dont on entend rarement parler : les femmes et les filles sourdes. Elles vivent dans un monde qui refuse de parler leur langue, dans une société qui confond le silence avec l’ignorance ou la soumission. Pourtant, leur silence n’est pas un choix. Il découle directement d’une exclusion systémique qui les prive de leur droit à l’information, à la santé et à l’autonomie corporelle.
Je me souviens d’une scène qui m’a profondément marquée. Dans un petit centre de santé situé à la périphérie de la ville, une jeune femme sourde essayait d’expliquer sa douleur à l’aide de gestes et d’expressions. Les professionnels de santé, débordés et surchargés, ne pouvaient pas lui répondre. Ils ne disposaient ni d’interprète, ni d’outils visuels, ni de formation pour les aider à communiquer avec elle. Pendant plusieurs semaines, elle a souffert en silence après qu’un préservatif s’est coincé dans son vagin.
Sans personne à qui se confier et incapable d’expliquer sa situation, elle a attendu, espérant que la douleur s’estompe. Lorsqu’elle est finalement arrivée à l’hôpital, il était trop tard. L’infection s’était propagée et elle a tragiquement perdu sa capacité à avoir des enfants. Malheureusement, cette tragédie n’est pas unique. Elle révèle à quel point le système a longtemps ignoré les besoins spécifiques des femmes sourdes. Il ne s’agit pas simplement d’une histoire sur la santé, mais d’une histoire sur la dignité humaine.
À Goma et dans les environs, les programmes de santé sexuelle et reproductive partent souvent de bonnes intentions, mais ne parviennent pas à inclure tout le monde. Les affiches, les campagnes radiophoniques et les réunions communautaires ciblent ceux qui peuvent entendre et lire, laissant les femmes sourdes sans information, exclues et non représentées. De nombreuses organisations humanitaires affirment que l’ajout de la langue des signes à leur travail coûte trop cher. Cependant, le véritable coût de l’exclusion se traduit par des souffrances évitables, des grossesses non désirées, des infections et des pertes humaines.
Pendant la guerre, cette marginalisation devient encore plus dangereuse. Les autorités ont envoyé des alertes concernant les blessures par balle par SMS et sur les réseaux sociaux, mais beaucoup de personnes n’avaient pas de téléphone portable et d’autres étaient coupées du monde en raison des coupures d’Internet. Les femmes sourdes ne pouvaient pas entendre les avertissements. Les messages sur la prévention du VIH, les violences sexuelles ou les avortements dangereux ne leur parvenaient jamais. Lorsqu’elles étaient victimes de viols ou d’abus, elles avaient du mal à les signaler, car personne ne pouvait interpréter leurs paroles. Dans les camps de déplacés, elles vivaient isolées, comptant sur des gestes approximatifs pour survivre. Lorsque les autorités ont demandé aux familles déplacées de rentrer chez elles, de nombreuses personnes sourdes n’ont pas compris le message et ont erré sans but. Leur silence, souvent confondu avec l’absence, cache une douleur collective et une résilience silencieuse.
Pour beaucoup d’entre elles, la santé sexuelle et reproductive reste hors de portée. Les consultations médicales reflètent rarement leur réalité. Les professionnels de santé, qui ne sont pas formés à la communication inclusive, partent souvent du principe que les femmes sourdes n’ont pas de vie sexuelle ou ne peuvent pas devenir mères. Ces préjugés dressent des barrières qui les empêchent d’exercer leur droit de choisir, de se protéger et de décider de leur propre corps. Certaines ont recours à des méthodes dangereuses ou à des avortements illégaux parce qu’elles ne disposent pas d’informations claires. Dans ce contexte, le manque de communication devient une autre forme de violence.
Pourtant, même dans ce contexte d’exclusion, des signes d’espoir apparaissent. À Goma, les femmes sourdes commencent à s’unir. Elles se réunissent dans de petits espaces discrets, souvent à l’Observatoire pour la défense des droits des personnes handicapées (ODDPH), pour partager leurs expériences et trouver des solutions. Ensemble, elles traduisent des brochures sur la santé en langue des signes, s’enseignent mutuellement comment parler de contraception, de consentement et de grossesse, et s’encouragent les unes les autres à revendiquer leurs droits. Leur force ne vient pas de leur voix, mais de leur détermination. Ces femmes prouvent que le leadership ne dépend pas de la parole, mais du courage.
L’une d’elles m’a dit par l’intermédiaire d’un interprète : « Nous ne voulons pas que les gens parlent à notre place, nous voulons qu’ils nous comprennent. » Ces mots simples résument bien le combat des femmes sourdes dans un monde qui refuse de les écouter. Elles ne cherchent pas la pitié, mais la reconnaissance. Elles ne demandent pas de faveurs, mais l’égalité. Elles n’attendent pas des promesses, mais des actes.
Les institutions locales et internationales ont la responsabilité vitale d’inclure les femmes sourdes, non pas comme un fardeau, mais comme une justice en action. Le changement commence par des mesures simples : embaucher des interprètes en langue des signes, produire du matériel de communication visuelle, former le personnel médical et communautaire à la communication inclusive et impliquer les femmes sourdes dans la conception des programmes. L’inclusion n’est pas une question de ressources, mais de priorités. Alors que la région se reconstruit, reconstruisons également la confiance et la dignité.
Les guerres peuvent prendre fin, mais leurs séquelles sociales perdurent. Parmi ces séquelles, l’exclusion des personnes handicapées, en particulier des femmes sourdes, reste largement invisible. La paix restera incomplète tant que nous n’entendrons pas leurs voix silencieuses. Écouter différemment est également un moyen de construire un avenir plus juste. Pour cela, nous devons repenser nos pratiques, nos budgets et nos mentalités.
Les femmes sourdes de Goma nous rappellent une vérité universelle : l’égalité ne se mesure pas à l’aune des mots couchés sur le papier, mais à celle de l’accès réel aux droits et aux opportunités. Dans une guerre où tout semble urgent, elles montrent que l’inclusion ne peut attendre ; c’est une nécessité humanitaire. Elles se battent pour le droit de vivre pleinement, de prendre des décisions concernant leur corps et de participer à la société comme tout le monde.
Leur combat est aussi le nôtre. Chacun d’entre nous, décideurs politiques, professionnels de santé, travailleurs humanitaires et citoyens, doit écouter, apprendre et agir. Soutenir les femmes sourdes ne consiste pas à leur donner la parole, mais à reconnaître leur humanité. Derrière chaque silence se cachent une histoire, une douleur et un rêve.
Alors que le monde avance, oubliant souvent ceux qui sont invisibles, nous devons nous rappeler que le véritable progrès dépend de notre capacité à inclure ceux qui sont laissés pour compte. Dans les gestes, les regards et la persévérance des femmes sourdes, nous trouvons un message puissant : l’inclusion commence par l’écoute.
Les femmes et les filles sourdes de Goma ne demandent pas la charité, mais la justice. Leur combat transcende le handicap et la guerre. Il fait appel à notre humanité commune. Leur message transcende le bruit du conflit et le poids du silence : « Nous sommes là. Écoutez-nous. »
À propos de l’auteur
Monique Kabanza, secrétaire exécutive de l’Observatoire pour la défense des droits des personnes handicapées (ODDPH), défend les droits des personnes handicapées en République démocratique du Congo. Elle milite pour l’inclusion des femmes et des filles handicapées dans les programmes de santé sexuelle et reproductive, défend le droit de chaque femme à l’autonomie corporelle et œuvre pour la pleine participation des personnes handicapées et d’autres groupes marginalisés aux processus humanitaires, de développement et de paix.
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DRC: When silence puts lives in danger
December 1, 2025
By Monique Kabanza Sebiguri
In Goma, in the east of the Democratic Republic of Congo (DRC), war does more than destroy houses and roads. It breaks bonds, silences voices, and limits opportunities. Amid this turmoil, an invisible struggle unfolds, led by those we rarely hear: deaf women and girls. They live in a world that refuses to speak their language, in a society that mistakes silence for ignorance or submission. Yet their silence is not a choice. It stems directly from systemic exclusion that strips them of their right to information, health, and bodily autonomy.
I remember a scene that left a deep impression on me. In a small health centre on the outskirts of town, a young deaf woman tried to explain her pain through gestures and expressions. The healthcare workers, busy and overwhelmed, could not respond. No interpreter, no visual tools, and no training existed to help them communicate with her. For several weeks, she suffered in silence after a condom became stuck in her vagina. With no one she could trust and no way to explain her situation, she waited, hoping the pain would fade. When she finally reached the hospital, it was too late. The infection had spread, and she tragically lost her ability to have children. Sadly, this tragedy is not unique. It reveals how the system has long ignored the specific needs of deaf women. This is not simply a story about health; it is a story about human dignity.
In Goma and the surrounding areas, sexual and reproductive health programs often start with good intentions but fail to include everyone. Posters, radio campaigns, and community sessions target those who can hear and read, leaving deaf women uninformed, excluded, and unrepresented. Many humanitarian organisations insist that adding sign language to their work costs too much. However, the true cost of exclusion shows in preventable suffering, unwanted pregnancies, infections, and lost lives.
During war, this marginalisation becomes even more dangerous. Authorities sent bullet-injury alerts by text and social media, but many people lacked mobile phones, and internet blackouts cut others off. Deaf women could not hear the warnings. Messages about HIV prevention, sexual violence, or unsafe abortions never reached them. When they experienced rape or abuse, they struggled to report it because no one could interpret their words. In displacement camps, they lived in isolation, relying on rough gestures to survive. When officials told displaced families to return home, many deaf people missed the message entirely and wandered aimlessly. Their silence, often mistaken for absence, hides collective pain and quiet resilience.
For many of them, sexual and reproductive health remains out of reach. Medical consultations rarely reflect their reality. Health workers, without proper training in inclusive communication, often assume that deaf women have no sexual lives or cannot become mothers. Such prejudice builds walls that block their right to choose, to protect themselves, and to decide about their own bodies. Some resort to unsafe methods or illegal abortions because they lack clear information. Poor communication, in this context, becomes another form of violence.
Yet even within this landscape of exclusion, signs of hope appear. In Goma, deaf women are beginning to unite. They meet in small, discreet spaces, often at the Observatoire pour la Défense des Droits des Personnes Handicapées (ODDPH), to share experiences and find solutions. Together, they translate health brochures into sign language, teach each other how to talk about contraception, consent, and pregnancy, and encourage one another to demand their rights. Their strength does not come from their voices but from their determination. These women prove that leadership depends not on speech but on courage.
One of them told me through an interpreter: “We don’t want people to speak for us; we want them to understand us.” These simple words capture the struggle of deaf women in a world that refuses to listen. They do not seek pity but recognition. They do not ask for favours but equality. They do not wait for promises but for action.
Local and international institutions hold a vital responsibility to include deaf women, not as a burden, but as justice in action. Change begins with simple steps: hiring sign language interpreters, producing visual communication materials, training medical and community staff in inclusive communication, and involving deaf women in programme design. Inclusion is not a question of resources; it is a question of priorities. As the region rebuilds, let us also rebuild trust and dignity.
Wars may end, but their social scars endure. Among those scars, the exclusion of persons with disabilities, especially deaf women, remains largely invisible. Peace will stay incomplete until we hear their silent voices. Listening differently is also a way to build a fairer future. Doing so requires us to rethink our practices, our budgets, and our mindsets.
The deaf women of Goma remind us of a universal truth: we measure equality not by words on paper, but by real access to rights and opportunities. In a war where everything feels urgent, they show that inclusion cannot wait; it is a humanitarian necessity. They fight for the right to live fully, to make decisions about their bodies, and to take part in society like everyone else.
Their struggle is also ours. Each of us: policymakers, health professionals, humanitarian workers, and citizens must listen, learn, and act. Supporting deaf women is not about giving them a voice but about recognising their humanity. Behind every silence lies a story, a pain, and a dream.
As the world moves forward, often forgetting those invisible, we must remember that true progress depends on our ability to include those left behind. In the gestures, gazes, and persistence of deaf women, we find a powerful message: inclusion begins with listening.
The deaf women and girls of Goma are not asking for charity but for justice. Their struggle transcends disability and war. It calls on our shared humanity. Their message cuts through the noise of conflict and the weight of silence: “We are here. Listen to us.”
#SilentNoMore #PushForward4Inclusion
About the author
Monique Kabanza, Executive Secretary of the Observatoire pour la Défense des Droits des Personnes Handicapées (ODDPH), advocates for the rights of persons with disabilities in the Democratic Republic of Congo. She campaigns for the inclusion of women and girls with disabilities in sexual and reproductive health programmes, defends every woman’s right to bodily autonomy, and works for the full participation of persons with disabilities and other marginalised groups in humanitarian, development, and peace processes.

A big problem, why so many sourds? In Burkina we found that the men
prohibited women eating eggs, source of vitamin A. They wanted the eggs to be kept to grow into chickens for sacrificing. Result – deafness. So we got in a supply of vitamin A in pills from France. Result – deafness ended, sacrifices performed at will, men happy.
JB
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